: Info franceinfo Affaires Buitoni et Kinder : un avocat médiatique soupçonné d'avoir abusé des victimes
Me Richard Legrand est soupçonné de démarchage frauduleux de victimes contaminées par la bactérie E.coli. Une instruction déontologique a été ouverte par l'Ordre des avocats.
L'Ordre des avocats du barreau de Paris a ouvert lundi 5 septembre une instruction déontologique à l'encontre d’un avocat parisien portant sur de graves soupçons de démarchage frauduleux des victimes des scandales sanitaires Buitoni et Kinder-Ferrero, a appris franceinfo de sources concordantes. Selon le signalement transmis à la bâtonnière de Paris et que franceinfo a pu consulter, Me Richard Legrand et/ou un tiers complice se sont fait passer sur Facebook pour des victimes contaminées par la bactérie E.coli afin d’inciter de véritables victimes à contracter avec son cabinet.
La plateforme internet Pharos du ministère de l’Intérieur a également reçu un signalement fin avril concernant cet avocat. Le Barreau de Paris ne souhaite faire aucun commentaire sur une affaire à l'instruction. À ce jour, l’avocat compterait 22 clients liés à ces deux scandales.
Tout commence courant mars dans la foulée de la révélation d’intoxications chez des enfants et des adultes ayant consommé des pizzas Fraich'Up de la marque Buitoni. Sur Facebook, le groupe "Syndrome hémolytique et urémique typique - Sortons du silence" est particulièrement actif. Constitué en association, ce groupe réunit depuis des années des familles de victimes contaminées par la bactérie Escherichia coli. Avec le scandale Buitoni puis celui des chocolats Kinder-Ferrero, le groupe passe très vite de 500 membres à plus de 2 000, dont des familles victimes récentes de ces intoxications en quête d’informations. Très vite, les membres de ce forum sont approchés – le plus souvent par messages privés – par des profils de personnes se prétendant parents de victimes des pizzas Buitoni ou des produits Kinder.
De supposées victimes infiltrent également de nouveaux groupes créés au printemps comme "Salmonellose Kinder avril 2022" qui compte à ce jour 266 participants. Fin mars, Christine Pomino, l’un de ces profils douteux, crée même un groupe Facebook intitulé "Collectif national entraide procédure victimes E.Coli Buitoni" qui a compté jusqu’à 120 participants. Point commun de tous ces profils suspects : ils incitent les victimes à contracter au plus vite avec le cabinet de Richard Legrand, en avançant des arguments parfois fallacieux comme l’absence d’honoraires si l’action collective intentée contre les groupes Nestlé et Ferrero devait échouer. Franceinfo a tenté d’entrer en contact avec Christine Pomino. Sans succès.
Démarchage intensif
Selon plusieurs membres de ces groupes contactés par franceinfo, les vraies victimes font l’objet pendant plusieurs mois d’un démarchage intensif à la limite du harcèlement : messages privés proposant les services de l’avocat, proposition de séminaires en ligne animés par cet avocat et son frère (médecin) sur “la prise en charge et l’accompagnement juridique des victimes pour obtenir la meilleure indemnisation”, rappel immédiat par téléphone pour contracter.
Sandra* est la mère d’une petite fille hospitalisée après avoir consommé une pizza de la marque Buitoni. Début avril, elle découvre sur Facebook le collectif créé par l’un de ces profils douteux. Elle entre en contact avec Christine Pomino, l'administratrice du groupe qui se dit maman d’une fille contaminée par la bactérie. “Elle m’a donné très vite le nom de cet avocat, comme elle l’a fait avec toutes les autres mamans, en me disant : 'Il est très humain'. Puis elle m’a invité à une discussion groupée via Messenger en présence de cet avocat et d’un médecin-expert.” Dans les minutes qui suivent la fin de cette discussion en ligne, Me Legrand rappelle. Impressionnée par la réactivité de l’avocat, Sandra signe un contrat quelques jours plus tard.
Démarchées de la même façon, certaines familles de victimes détectent une anomalie. C’est le cas de Jonathan*, papa d’une petite fille de 3 ans contaminée par la salmonelle après avoir mangé un Kinder Surprise. Administrateur d’un groupe Facebook, il démasque et bannit l’un de ces profils suspects courant avril après une discussion privée. "Cette personne se faisait passer pour une victime mais sans donner aucun détail. Elle a été chercher tous les membres du groupe un par un pour les orienter vers Richard Legrand. Si cet avocat n’est pas une personne compétente, je trouve ça horrible."
Contacté par franceinfo, Me Richard Legrand nie toutes démarches frauduleuses commises par lui ou un tiers pour conquérir des clients. À ce stade, la justice n’est pas saisie de cette affaire. "Si les faits sont avérés au terme de cette enquête déontologique, précise une source à l’origine du signalement, cet avocat risque des sanctions disciplinaires. La suspension voire la radiation. Mais pénalement, les faits peuvent relever de l’escroquerie, voire de l’abus de faiblesse". Avec d’éventuelles conséquences sur la procédure Buitoni qui fait l’objet d’une information judiciaire depuis mai pour homicide involontaire, blessures involontaires, mise sur le marché d’un produit dangereux pour la santé et mise en danger d’autrui.
Richard Legrand porte la robe d’avocat depuis moins de deux ans. Il a prêté serment le 24 février 2021. Son cabinet est domicilié sur les Champs-Elysées à Paris. Selon le registre du commerce, il a essentiellement travaillé dans l’immobilier en Île-de-France avant d’embrasser la carrière d’avocat. Depuis la révélation du scandale Buitoni, cet avocat s’est beaucoup montré dans les médias, proposant spontanément des interviews aux rédactions lors de temps forts du dossier. Il s’est notamment présenté comme l’un des avocats des victimes des pizzas Buitoni dans l’émission "Touche pas à mon poste" de Cyril Hanouna sur C8, le 18 avril dernier. Le 10 mai, il écrit une tribune largement reprise dans la presse, adressée à Emmanuel Macron sur l’affaire Buitoni.
Me Richard Legrand ne semble pas disposer d’expérience particulière dans le domaine sanitaire ou de la santé. Le site internet de Richard Legrand présente son frère, le docteur Charles Legrand, comme la caution médicale du cabinet. Spécialiste du droit médical et du droit de l’expertise médico-légale, Charles Legrand affirme exercer en hôpital. Contacté par franceinfo, la Société française de médecine légale et d'expertises médicales dit ne pas le compter parmi ses membres.
*Les prénoms ont été modifiés
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