Cet article date de plus de trois ans.

Etats généraux de la justice : "Il y a un sous-dimensionnement permanent", selon l'avocat Dominique Raimbourg

"Il faut qu'on réfléchisse à un problème de la justice qui n'est pas dimensionnée pour traiter les dossiers que lui envoie la police", estime sur franceinfo Dominique Raimbourg, avocat et ancien député PS de Loire-Atlantique.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Dominique Raimbourg, le 21 Juin 2016. (? VINCENT ISORE/IP3 / MAXPPP)

"Il y a un sous-dimensionnement qui est permanent, qui génère une insatisfaction et une frustration", a tenu à souligner samedi 5 juin sur franceinfo Dominique Raimbourg, avocat, ancien député PS de Loire-Atlantique, co-directeur de l’Observatoire Thémis - Justice et sécurité de la Fondation Jean-Jaurès, alors qu'Emmanuel Macron a décidé de lancer les Etats généraux de la justice. L'Elysée a souligné le "profond attachement" du président à "la séparation des pouvoirs". Dominique Raimbourg pointe également "une politique pénale qui ne se pose jamais la question de l'intendance."

>> Ce que l'on sait des états généraux de la justice annoncés par Emmanuel Macron

franceinfo : Est-ce que ces Etats généraux de la justice sont une bonne chose ?

Dominique Raimbourg : Je pense que c'est une bonne chose. Il faut qu'on réfléchisse à un problème de la justice qui n'est pas dimensionnée pour traiter les dossiers que lui envoie la police. Il y a un sous-dimensionnement qui est permanent, qui génère évidemment une insatisfaction et une frustration. Chaque année, la police identifie presqu'un million 400 000 auteurs parmi les plaintes et les enquêtes qu'elle fait. Elle transmet ça à la justice. Mais la justice n'est capable de juger que 500 000 personnes. Et elle traite 500 000 autres auteurs par la troisième voie, c'est-à-dire le rappel à la loi, la médiation, la médiation-réparation. Mais elle ne peut juger que 500 000 personnes. Et qui plus est, sur les 500 000 personnes qu'elle juge, elle n'en juge par une voie classique que 300 000 environ. Il y en a 200 000 qui sont jugées par cent audiences. Et donc ça, c'est insatisfaisant. Et comme elle n'est pas dimensionnée pour traiter tout ce contentieux, il y a une lenteur qui est une lenteur tout aussi difficile à supporter. Ça fait perdre du sens aux condamnations et évidemment, ça fait perdre du sens à la réponse pénale.

Est-ce que c'est l'institution qui est critiquable ou la politique pénale ?

C'est le sous-dimensionnement de l'institution confrontée à une politique pénale qui ne se pose jamais la question de l'intendance. Le budget de la justice augmente régulièrement, mais pour autant, la question de l'intendance n'est jamais posée. Il faut des moyens pour traiter le contentieux. Une convocation devant le tribunal, c'est en moyenne neuf mois d'attente. Mais quand cela passe par une instruction pour les affaires les plus compliquées, cela demande 43 mois. Et 43 mois pour les affaires les plus compliquées et la délinquance astucieuse, la plus intelligente, ce n'est pas supportable. Et donc, il y a cette difficulté. Et à l'autre bout de la chaîne, il y a l'autre difficulté qu'est la pénitentiaire. Aujourd'hui, nous sommes quasiment à 65 000 détenus et il y a 61 000 places. Ça, c'est aussi un problème. On dit, on va répondre en construisant des prisons. Mais pour construire une place de prison, il faut au minimum cinq ans. Et parmi les gens qui sont suivis en milieu ouvert, il y a 170 000 personnes aujourd'hui suivies en milieu ouvert, et pour les suivre il y a 6 500 contrôleurs d'insertion et de probation.

"On a un sous-dimensionnement de la pénitentiaire par rapport à la justice qui n'arrive pas à traiter les cas de la justice, et un sous-dimensionnement de la justice par rapport à la police qui n'arrive pas à traiter les cas de la police."

Dominique Raimbourg, avocat, ancien député PS de Loire-Atlantique

à franceinfo

Quelles sont les solutions pour palier ce sous-dimensionnement ?

À mon avis, il faut d'une part prévoir un plan de rattrapage budgétaire sur plusieurs années, peut-être dix ans. Et il faut prévoir aussi dans l'intervalle des processus de déjudiciarisation, c'est-à-dire traiter par d'autres moyens que les tribunaux un certain nombre de contentieux. Je pense au contentieux routier de la première conduite sous l'empire de l'alcool sans accident. On peut se contenter des suppressions de permis prononcées par le préfet. Je pense aussi à d'autres petits contentieux où on pourrait prévoir des amendes administratives. C'est insatisfaisant sur le plan du droit, peut-être de la défense parfaite des droits de l'homme. Mais dans le même temps, on a besoin de soulager l'appareil pour qu'il puisse se remettre à flot.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.