Attentat de l'Hyper Casher : cinq mois après, un survivant témoigne
Cinq mois tout juste après les manifestations contre le terrorisme en France, la vie a repris son cours "normal", Charlie Hebdo et l'Hyper Casher n'étant plus la priorité. Mais pour ceux qui ont survécu aux attaques des frères Kouachi et d'Amédy Coulibaly, diffcile de mettre ces événements derrière soi.
Pas de souci physique, mais à l'intérieur, "une tout autre affaire"
C'est le cas pour Michel, l'un des survivants de l'Hyper Casher de la Porte de Vincennes à l'est de Paris. Il a une petite cinquantaine d'années, et lorsqu'on lui demande comment il va, il répond que si physiquement il n'a pas de souci majeur, à l'intérieur "c'est une tout autre affaire* " : avec des hauts des bas, et parfois des très bas.
"Blasé de tout, envie de ne rien faire"
"C'est difficile à décrire, c'est un petit mal qui est en sommeil, un mal-être en fait en soi. J'ai un côté un peu lymphatique, blasé de tout, envie de rien faire. Le soir il y a des petites poussées d'angoisse, on ne sait pas pourquoi ça revient. Toutes les pétarades qu'il y a eu, les cris, il y a avait une odeur de poudre, la nuit ça revient souvent, je sais que j'ai un sommeil plutôt agité."
Un sentiment de culpabilité
Michel ressent une culpabilité : Ahmedy Coulibaly a abattu deux hommes sous ses yeux à la kalachnikov. Michel a vu son attirail, sa silhouette, son visage, son regard. Il s'est posé la question 1000 fois : "pourquoi quatre personnes sont mortes dans ce supermarché ? Pourquoi moi je suis vivant, je suis encore là ? " Des obsessions sur lesquelles il travaille avec son psychiatre.
Dès le mois de mars, Il a voulu absolument reprendre son travail. Il est commerçant. Avec sa famille, il s'efforce d'être souriant comme avant, de profiter de cette vie qu'il sait si précieuse. Mais des moments ordinaires lui sont devenus insoutenables.
"Si je rentre dans une boutique, j'ai tendance à regarder une sortie de secours"
"Mon quotidien il n'est pas très très joli : le métro, les lieux où il y a du monde, j'ai tendance à ne pas y aller. Avant je n'avais pas tendance à regarder les gens, maintenant j'analyse les têtes des gens, et si je rentre dans une boutique, j'ai tendance à regarder une sortie de secours. A la caisse il ne faut pas que ça dure trop longtemps parce que c'est un moment d'angoisse. On va plutôt aller dans des gros supermarchés où il y a des rayons casher, peut-être moins exposés que des boutiques que casher, où ça fait peur. On va à la synagogue, mais on est sur le qui-vive, on a tendance à regarder à droite, à gauche, derrière. C'est une douleur".
Des heures de terreur encore très présentes
Pour Michel, il y a clairement un avant et un après ces 5 heures d'enfer le 9 janvier au sous-sol de l'Hyper Casher, dans cette chambre froide : "dans ce frigo " comme il répète souvent. Dans un premier temps, c'est lui qui dit "non je ne veux pas vous en parler ", et puis finalement, ce film, il le re-déroule spontanément. Et là Michel parle au présent, comme s'il y était encore, dans le froid, la peur, ventre à terre.
"On va mourir, on ne sait pas dans combien de temps, mais on va mourir"
"On part dans une scène de terreur en fait. Il (Amédy Coulibaly, NDLR) rentre dans la boutique, panique totale (...) quand le rideau électrique s'est fermé, tout le monde s'est senti emprisonné. Il se passe beaucoup de phases pendant ces 5 longues heures, des moments de soutien, on s'aide, il y a des moments où on croit sortir, des moments où on se dit qu'on va pas tarder à mourir. On ne voyait pas comment l'issue pouvait être autre, considérant qu'on avait déjà des morts, donc 'on va mourir, on ne sait pas dans combien de temps, mais on va mourir'".
Des liens créés par le drame
Ce cauchemar, Michel ne l'a pas vécu seul. Il y avait plusieurs personnes dans la chambre froide, notamment une mère et son bébé. Des personnes qui ne se connaissaient ni d'Eve ni d'Adam la minute d'avant, mais qui sont désormais liées.
"Il y a des mères au foyer, il y a des hommes, des gens de tous âges, mais les choses font que on a tendance à se revoir. Quand on se parle, il y a un lien qui nous retient, qui nous a attaché, une solidarité, on aurait pu mourir ensemble, on se comprend."
Quant à l'avenir, c'est "un jour après l'autre ", c'est sa formule. Il est fatigué, doit gérer de nombreuses démarches administratives avec son avocat, le fonds de garantie, les assureurs.Il s'intéresse de près à l'enquête. Les juges lui font à lui et aux autres parties civiles des points réguliers. Ensuite, faire son alya ? Quitter la france pour Israël ? Il y songe parfois, et confie : "changer de décor pourrait me faire du bien ". Puis il ajoute : "mon pays reste la France, je ne me vois pas la quitter, pas maintenant ".
*Le nom a été changé
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