Outreau : les temps forts du troisième procès
Pendant trois semaines, la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine a revisité en accéléré ce dossier tentaculaire, qui s'est soldé par l'acquittement définitif de Daniel Legrand.
Le premier procès avait duré neuf semaines, le second, cinq. Le troisième procès d'Outreau s'est déroulé, lui, pendant trois semaines, au terme desquelles Daniel Legrand a été acquitté, vendredi 5 juin. La cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine a revisité en accéléré ce dossier tentaculaire, symbole d'un fiasco judiciaire sans précédent. Voici les onze temps forts observés dans les coulisses ou dans l'enceinte du palais de justice de Rennes (Ille-et-Vilaine).
1La malédiction d'un prénom
Cela peut paraître être un détail, mais il a pesé très lourd pour deux personnes dans le dossier Outreau : Daniel Legrand père et fils portaient le même prénom, ce qui leur a valu d'être arrêtés et jetés en prison en même temps. Une "malédiction", selon la défense. Nadine Legrand, la mère de l'accusé-acquitté, a livré l'explication, toute simple, à la barre, au premier jour du procès.
- Me Hubert Delarue : "Vous lui avez donné le même prénom que son père, pourquoi ?"
- Nadine Legrand : "J'ai eu deux filles avant. Je me suis dit 'Si, maintenant, j'ai un garçon, je l'appellerai comme son père'."
2La grande sœur aimante
Il y en a eu, des témoignages poignants, cauchemardesques, fracassants lors de ce troisième rendez-vous judiciaire. A commencer par ceux des enfants brisés par cette affaire, Daniel Legrand d'un côté, Jonathan, Dimitri et Chérif Delay de l'autre. Mais s'il faut retenir un passage à la barre, ce sera celui de Peggy Legrand, la grande sœur de l'acquitté. Un moment plein d'humanité, où elle a livré, dès le premier jour du procès, un état des lieux triste à pleurer :
"C'est une histoire qui nous est tombée dans le coin de la gueule, voilà, c'est fait et, maintenant, on est encore là. Moi, je l'ai vu au fond du trou, Daniel, c'est quelqu'un qui ne se remettra jamais.(...) Il est brisé ce gamin, là, c'est fini. S'il nous arrive quelque chose, je me demande toujours : 'Qu'est-ce qu'il va devenir ?" Je prie tous les jours le Seigneur pour que nos enfants n'aient pas la vie qu'on a eue. J'espère vivre assez longtemps pour pouvoir m'occuper de Daniel."
3La pièce à "conviction"
Elle est projetée sur l'écran de la salle d'audience. Sans cette liste de noms, Daniel Legrand ne serait pas dans le box des accusés aujourd'hui, pour la troisième fois. Elle a été établie par l'assistante familiale de Dimitri, sur les dires de l'enfant, en 2001. Il y est notamment inscrit "Dany legrand en Belgique" (sic). A partir de ce document, deux Daniel Legrand, père et fils, ont été arrêtés. S'agissait-il d'un nom de famille ou de l'adjectif 'grand' ? Dimitri a assuré qu'il s'agissait bien de Daniel Legrand fils, sans convaincre la cour.
4Le moment comique
Dans tout procès d'assises, si lourd soit-il, le public est parfois secoué d'un fou rire, ne serait-ce que pour relâcher la pression. Ce moment est arrivé cette fois-ci avec l'audition par visioconférence – technique un peu trop répandue dans ce procès – du médecin légiste Jean-Pierre Dickes. Tant la mauvaise sonorisation que l'attitude du témoin ont fait pouffer. Le docteur a examiné un fils Delay, mais il ne sait plus lequel. Son rapport est sur une disquette, il n'a plus de lecteur et doit se le faire faxer. Quant à ses commentaires, ils sont déplacés : "Si c'était une pénétration orale, l'enfant me l'aurait dit" ou encore "Me Forster, un conseil si vous me permettez ..." "Non, vous n'avez pas de conseil à me donner !" répond l'avocat, outré.
5L'incident de séance
Depuis le début du procès, Dimitri Delay est accompagné par une garde rapprochée composée par des membres de l'association Wanted Pedo, qui assure lutter contre la pédocriminalité et distribue des tracts dans le palais de justice. Ils s'inscrivent dans la mouvance des "révisionnistes", qui contestent la vérité judiciaire d'Outreau et les 13 acquittements.
Lors des suspensions d'audience, ils interpellent régulièrement les journalistes et les avocats de la défense pour les provoquer. Dans la salle d'audience, ils jettent des coups d'œil hostiles dans le box de l'accusé. Excédés, les avocats de Daniel Legrand signalent ces agissements au président de la cour, Philippe Dary. Un des jeunes individus se lève alors et crie : "C'est normal, c'est un pédophile !" Il est définitivement exclu. Ces individus vont néanmoins continuer leurs provocations à l'extérieur de la salle jusqu'à la fin du procès, perturbant, avec les mêmes insultes, la sortie du tribunal de Daniel Legrand et de ses avocats, après l'acquittement, vendredi 5 juin.
6La réplique du président
Depuis l'annonce, en 2013, que le reliquat de dossier concernant Daniel Legrand serait finalement audiencé, les parties s'invectivent par médias interposés sur la légitimité de la tenue de ce procès. Cette question a continué à agiter les débats. A tel point que le président lui-même a eu cette phrase : "Le problème de ce procès, c'est qu'il a lieu, il faut qu'on aille jusqu'au bout."
7Le visage de Myriam Badaoui
Tout le monde l'attendait. Myriam Badaoui, l'accusatrice mythomane, est venue témoigner la deuxième semaine. Plusieurs personnes, dont son fils Jonathan et son avocat, faisaient état d'une métamorphose physique pour cette femme obèse et androgyne, allant jusqu'à évoquer de la chirurgie esthétique. Excessive, comme à son habitude, Myriam Badaoui est arrivée au tribunal cachée sous une couverture de survie et est entrée dans la salle d'audience emmitouflée sous une capuche et un foulard. Elle n'a pu cacher son visage, toutefois, aux curieux venus assister au procès dans la salle de retransmission vidéo. Pas de changement spectaculaire dans ses traits, si ce n'est son amaigrissement. La métamorphose est ailleurs, dans son discours. "Je ne veux plus mentir !" a-t-elle juré à plusieurs reprises, innocentant de nouveau Daniel Legrand.
8Le cri d'une acquittée à la barre
Le défilé des acquittés à la barre, venus soutenir Daniel Legrand, est l'un des enseignements de ce procès : tous sont toujours autant traumatisés par l'affaire, quinze ans après. Climax de trois semaines d'audience à l'atmosphère très tendue, l'ex-épouse de l'huissier Alain Marécaux, acquittée en 2004, a hurlé à la barre pour dénoncer ce nouveau procès de Daniel Legrand. En larmes et effondrée, elle a lancé à l'accusé dans le box : "C'est pas normal qu'on t'ait mis là, Daniel, c'est dégueulasse !"
9Les deux chemises rouges
L'avocat général avait ménagé son effet pour son réquisitoire, posant deux chemises rouges cartonnées devant lui. Elles sont le symbole, selon lui, du peu de charges qui pèsent contre Daniel Legrand. "De tous les cartons" de l'affaire Outreau, des vingt-sept tomes du dossier, "voilà ce qu'il reste qui concerne de près ou de loin Daniel Legrand fils", a résumé Stéphane Cantero, avant de requérir l'acquittement pour cet homme de 33 ans, jeudi 4 juin.
10Un Jonathan très digne
Le verdict vient de tomber. Sans surprise, Daniel Legrand est acquitté. Beaucoup plus électrique au-dehors, l'atmosphère est très sereine dans la salle d'audience. Jonathan, le seul des trois frères à être venu écouter la décision des jurés, discute tranquillement avec ses deux avocats. Aucun regard déplacé n'est adressé à l'acquitté. A la sortie, Jonathan se montre très digne, comme il a su l'être durant tout ce procès. "C'était la règle du jeu, ce n'est pas un échec, je repars la tête haute", déclare-t-il de sa petite voix. Refusant de s'exprimer sur les cris et les insultes qui fusent à l'égard de Daniel Legrand, il s'en tient à distance, se prêtant au jeu des questions-réponses avec les journalistes, à l'opposé de ceux qui rejettent le verdict. Jonathan est déjà dans d'autres projets. Il veut écrire un livre.
11Une famille réunie
Lors de son réquisitoire, l'avocat général avait déclaré : "Il est temps que monsieur Daniel Legrand retrouve sa vie, sa mère, sa sœur. Cette famille si digne devant les épreuves qu'elle a subies." C'est la première image qui a suivi l'acquittement de Daniel Legrand. Les sœurs et la mère du jeune homme l'ont immédiatement rejoint dans le box, le serrant dans leurs bras, l'embrassant. Les quatre réunis sont restés longuement assis là, comme abasourdis par les trois semaines qu'ils venaient de vivre. Dehors, une horde de journalistes les attendent. Ainsi qu'une bande de complotistes qui hurlent à l'erreur judiciaire. Daniel Legrand ne les écoute pas. Il sort, triomphant.
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