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A Brest, la justice se donne du temps pour trancher sur le cas de "Monsieur Caca"

Un homme d'une cinquantaine d'années a enduit des dizaines de distributeurs de billets de banque avec ses excréments. Acte contestataire ou troubles mentaux ? La justice a demandé une expertise psychiatrique et renvoyé le jugement à octobre.

Article rédigé par franceinfo - Alexis Magnaval
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Publié Mis à jour
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Au total, plus de 50 distributeurs de billets ont été dégradés depuis 2014 dans le centre de Brest. (KOSTIS NTANTAMIS / AFP)

Une sale affaire. Barbe grise et cheveux longs, Serge est un cas particulier à juger pour le tribunal de grande instance de Brest (Finistère). Cet homme de 56 ans est accusé d’avoir, à plusieurs reprises depuis 2014, étalé ses excréments sur des distributeurs automatiques de billets. Un fait divers qui pourrait prêter à sourire si le prévenu n'était pas un récidiviste.

Condamné pour des faits similaires en 2014, ce Breton originaire de Bayonne avait dû verser une amende de 4 300 euros aux banques. Il avait, à l’époque, jeté de l’urine sur des ordinateurs de La Poste et des excréments sur des distributeurs. Il avait aussi menacé, à coups de flacon d’urine, une travailleuse sociale du Centre communal d’action sociale. En 2015, il remet le couvert et écope de quatre mois de prison ferme.

Une cinquantaine de distributeurs souillés

A l’été 2017, trois nouvelles découvertes glauques ont lieu dans les rues de Brest. D'abord dans la soirée du 14-Juillet. Le clavier, la touche "valid", la fente d’où sortent les billets...Les appareils sont maculés d’excréments. Personne ne repère le coupable, mais déjà la presse locale tient son personnage loufoque, nommé "Monsieur Caca" par Le Télégramme.

Dans la nuit du 22 au 23 juillet, vers 4 heures du matin, la police prend cette fois l'homme la main dans le sac. Ou plutôt la main sur une bouteille et une spatule. De haut en bas de la rue piétonne du centre de Brest, traversée par une ligne de tram, les banques ont presque toutes été recouvertes d'excréments. Au total, 53 DAB sont touchés, avance le quotidien régional.

En garde à vue puis relâché, Serge est placé sous contrôle judiciaire et convoqué devant le tribunal correctionnel. Mais le 30 juillet, une nouvelle dégradation lui vaut une mise en détention. A chaque fois, la même cible : les banques. 

"Seul, sans famille à son domicile, sans amis"

Six agences ont porté plainte. "Plus pour faire un signalement à la police que pour obtenir réparation, précise à franceinfo un responsable local de la Société générale, où l'on minimise le sérieux de l’acte. C’est très désagréable, mais on préfère ça à des coups de pavés dans la vitrine. C’est de la salissure, pas de la dégradation."

Si les enquêteurs l'avaient considéré, par le passé, comme quelqu'un "en guerre contre le système", la piste du geste de contestation politique paraît peu crédible. Serge, décrit par son avocat comme quelqu’un de "seul, sans famille à son domicile, sans amis", n'a rien d'un idéologue. Il a l'air usé, à l'image de sa veste en jean, qu'il porte lors de son audience. Derrière ses lunettes fines, un regard figé vers le président. Aux questions de ce dernier, il ne se justifie que brièvement, par bribes. Amorphe, il laisse des silences. De l’atonie plus que de la défiance.

Comment expliquer son geste alors ? "D’un point de vue très général, cela peut-être une démarche d’ordre confusionnel, par exemple, à la suite d'une intoxication avec des drogues", explique à franceinfo Magali Bodon-Bruzel, psychiatre à Villejuif (Val-de-Marne). A chaque fois, le suspect a été arrêté à des heures avancées de la nuit, entre 4 et 5 heures du matin. Mais jamais sous l’emprise de psychotropes. L'auteure de L’Homme qui voulait cuire sa mère (éd. Stock) évoque une autre hypothèse.

Cela peut être un élément délirant qui a du sens pour eux. Là, on parle d’une néo-construction mentale. Dans leur propre conception du monde, ils se disent : 'Si je mets des excréments de telle manière à tel endroit, je vais pouvoir sauver le monde d'une invasion d'extraterrestres.'

la psychiatre Magali Bodon-Bruzel

à franceinfo

Là semble être le cœur de l’affaire. Au procès, l'avocat de Serge, Julien Bradmetz, a sollicité une expertise psychiatrique. "La dernière, il y a deux ans, avait conclu à une altération du jugement du prévenu, sans juger utile de prescrire un suivi socio-judiciaire. A mon sens, on ne peut pas se contenter de cette expertise. Rien ne dit que, depuis, son état ne s’est pas détérioré. Son discernement est-il seulement altéré ou aboli ?" L’avocat fait référence à l’article 122-1 du Code pénal. Le texte discerne l’abolition du discernement, qui entraîne l’irresponsabilité pénale, de son altération, qui n’empêche pas le procès.

Une nouvelle expertise psychiatrique à venir

Serge avait déjà été hospitalisé, il y a trois ans, après ses premiers méfaits. Le préfet de Quimper avait ordonné, le 19 mars 2014, son placement en hôpital psychiatrique. Il y était resté jusqu’au 25 avril 2014. Désormais sous traitement, il reçoit chaque jour la visite d’une infirmière, qui s'assure qu’il prend bien son cachet. Il est aussi accompagné financièrement : il est aidé par une curatrice de l’Union départementale des associations familiales du Finistère, qui l’aide à gérer ses ressources.

Son avocat, Julien Bradmetz, veut donc une nouvelle expertise pour obtenir l’irresponsabilité pénale de son client. Malgré l'opposition du procureur, cette demande a été acceptée jeudi 14 septembre par les juges après délibération. La décision est renvoyée au 26 octobre, le temps de faire des examens psychiatriques. En attendant, Serge est maintenu en détention.

Quelle condamnation encourt-il s'il est déclaré apte à être jugé ? Lors du procès, Julien Bradmetz a donné un indice, anticipant un éventuel refus de l’expertise médicale. L’avocat a requis une assignation à résidence avec surveillance électronique. Et un créneau horaire pour lui laisser le temps d’aller faire ses courses. Les magasins étant fermés la nuit, voilà de quoi éviter d’autres péripéties nocturnes dans le centre-ville de Brest.

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