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Procédure complexe, absence de consensus… L'inscription de l'IVG dans la Constitution peut-elle aboutir ?

L'annonce par le groupe présidentiel à l'Assemblée nationale du dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle a fait réagir la classe politique. Du centre à l'extrême droite, certains s'interrogent sur l'opportunité ou l'utilité d'une telle mesure.
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Des manifestantes lors de la mobilisation mondiale pour le droit à l'avortement à Paris, le 24 juin 2022. (HERVE CHATEL / HANS LUCAS / AFP)

"C'est quand même surprenant que ce soit ce qui se passe aux Etats-Unis (...) qui entraîne un certain nombre de réactions effervescentes dans la vie politique française." François Bayrou, le leader du MoDem, s'est interrogé, dimanche 26 juin, sur l'opportunité d'inscrire dans la Constitution le droit à l'avortement. Après la décision de la Cour suprême américaine, qui a révoqué ce droit vendredilnouvelle présidente du groupe LREM à l'Assemblée, Aurore Bergé, a annoncé le dépôt d'une proposition de révision constitutionnelle pour inscrire "le respect de l'IVG" dans notre loi fondamentale. Franceinfo revient sur la motivation et les conséquences de cette proposition qui ne fait pas l'unanimité au sein de la classe politique.

Une façon de graver dans le marbre le droit à l'avortement

Pour justifier cette proposition, Aurore Bergé soulève le risque d'une remise en cause de l'IVG en France : "Malheureusement, rien n'est impossible et les droits des femmes sont toujours des droits qui sont fragiles", a déclaré la députée LREM. Selon elle, une inscription du droit à l'avortement dans la Constitution est une "garantie qu'on doit donner aux femmes".

"On ne change pas la Constitution comme on change la loi."

Aurore Bergé, patronne des députés LREM

sur France Inter

Inscrire ce droit dans la Constitution serait une manière de le protéger et de "le mettre à l'abri des majorités politiques de circonstance", a estimé sur France Inter Annabelle Pena, juriste et constitutionnaliste spécialisée dans le domaine des droits fondamentaux. "Remettre en cause ce droit supposerait dès lors de réviser la Constitution, une procédure lourde", confirme à La Croix (article réservé aux abonnés) Lisa Carayon, maîtresse de conférences en droit à la Sorbonne Paris 1.

De plus, faire entrer le droit à l'avortement dans la Constitution permettrait au Conseil constitutionnel de mieux contrôler tout texte qui chercherait à le limiter.

Interrogée par France Inter, la professeure de droit public Gwénaële Calvès juge toutefois "purement symbolique" cette constitutionnalisation. Selon elle, "c'est une manière de réagir à l'émotion qui s'est emparée du monde entier après la décision de la Cour suprême".

Une procédure complexe à l'issue incertaine

Cette constitutionnalisation du droit à l'avortement ne pourra pas se faire en un jour. L'article 89 de la Constitution détaille comment la loi fondamentale peut être révisée. D'abord, le texte doit être adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat.

La suite de la procédure dépend de la nature du texte étudié. S'il s'agit d'une proposition de loi constitutionnelle (c'est-à-dire d'origine parlementaire, comme celle annoncée par Aurore Bergé), elle devra être approuvée par référendum. Si le texte est un projet de loi constitutionnelle (c'est-à-dire à l'initiative du président de la République), le chef de l'Etat dispose de deux options : l'adoption par référendum, ou bien par trois cinquièmes des parlementaires (députés et sénateurs) réunis en Congrès à Versailles.

La perspective d'organiser un référendum sur ce sujet inquiète, y compris parmi les partisans d'une constitutionnalisation de l'IVG. Ainsi, la militante féministe Caroline Fourest a dit sur France Inter redouter "des manifestations qui rappelleront celles contre le mariage pour tous".

Seules 24 révisions constitutionnelles ont abouti depuis 1958, et aucune depuis 2008. Sous le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, la réforme de la Constitution voulue par le chef de l'Etat (qui prévoyait notamment la réduction du nombre de parlementaires, la limitation du cumul des mandats dans le temps et le recours accru au référendum) n'a pu voir le jour faute de consensus politique.

Une proposition déjà formulée, sans succès

Cette idée n'est pas nouvelleEn 2018, les députés de l'opposition, et notamment de La France insoumise, avaient proposé d'inscrire le droit à la contraception et à l'IVG dans la Constitution. Il s'agissait d'amendements issus des propositions du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes. Mais à l'époque, les députés avaient rejeté l'initiative. "Il n'est nul besoin de brandir des peurs" en France au regard de remises en cause dans des pays étrangers, avait réagi Yaël Braun-Pivet, alors présidente (LREM) de la commission des lois à l'Assemblée nationale, aujourd'hui candidate de la majorité pour le perchoir.

L'année suivante, Luc Carvounas, alors député PS et membre de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes, avait déposé à son tour une proposition de loi pour inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution. 

"Je me souviens très bien. Nous avions fait coïncider cette initiative avec le premier anniversaire de la panthéonisation de Simone Veil."

Luc Carvounas, maire d'Alfortville (Val-de-Marne) et ancien député

à franceinfo

Ce virage à 180 degrés opéré par le parti présidentiel sur cette question fait aujourd'hui sourire les membres de la Nupes. "La présidente du groupe LREM reprend cette proposition que les parlementaires LREM avaient rejetée à plusieurs reprises dans la mandature précédente", ont relevé dans un communiqué les présidents des groupes de gauche. Ils se sont toutefois félicités de ce "revirement" et ont déposé lundi 27 juin une proposition de loi constitutionnelle "adressée pour co-signature à l'ensemble des député-es (…) à l'exception de ceux du Rassemblement national".

Une idée qui n'emballe pas à droite

La proposition semble faire consensus entre le parti présidentiel et la Nupes. Mais au sein de la majorité, François Bayrou a fait entendre une voix dissonante, mettant en doute l'utilité de cette mesure. "Dans l'état où le pays se trouve, avec toutes les questions que nous avons devant nous, est-ce qu'il est bon, utile, de faire ça alors même qu'aucun courant politique en France ne remet en cause la loi Veil et ce qu'elle est devenue ?" a déclaré le président du MoDem sur BFMTV.

A l'extrême droite, le Rassemblement national est opposé à cette constitutionnalisation. "On est souverainistes, donc on ne va pas se mêler des affaires des autres", sous-entendu des Etats-Unis, a éludé le porte-parole du parti Philippe Ballard, samedi sur franceinfo.

"La loi Veil, on n'y touche pas."

Philippe Ballard, député RN de l'Oise

à franceinfo

La proposition de constitutionnaliser l'IVG ne fait pas non plus l'unanimité à droite : "Si on pouvait éviter d'importer en France tous les débats américains, on se porterait plutôt mieux", a déclaré le nouveau président du groupe LR, Olivier Marleix. Son homologue du Sénat, Bruno Retailleau, qui dirige le groupe le plus important à la chambre haute, estime que "pour masquer son incapacité à régler les vrais problèmes du pays, la majorité s'en invente des fictifs".

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