Marche contre l'islamophobie : on vous explique la polémique sur la présence d'étoiles jaunes dans le cortège
La photo de la sénatrice écologiste Esther Benbassa aux côtés de manifestants portant une étoile jaune évoquant celle imposée aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale a provoqué un tollé.
Une étoile jaune avec la mention "muslim" (musulman, en anglais), à côté d'un croissant jaune. Ce symbole arboré par certains manifestants sur leurs manteaux dimanche 10 novembre, lors de la marche contre l'islamophobie à Paris, a provoqué un tollé, tant il rappelle l'étoile jaune imposés aux juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Au lendemain de la manifestation, franceinfo vous résume la controverse.
Une photo postée par la sénatrice Esther Benbassa
La polémique est partie d'une photo tweetée par la sénatrice Europe Ecologie-Les Verts Esther Benbassa. Un cliché largement partagé et commenté sur les réseaux sociaux. Echarpe tricolore en bandoulière, l'élue y apparaît, tout sourire, entourée d'un groupe de manifestants, dont une petite fille tenant des drapeaux tricolores et vêtue d'un manteau sur lequel était collé un autocollant avec une étoile jaune.
"Je n'avais pas remarqué ces insignes", s'est ensuite défendue l'élue dans une série de tweets. "La condition des juifs dans les années noires et celle des musulmans aujourd'hui ne sont pas comparables, estime-t-elle. Mais que nos contemporains stigmatisés s'identifient à ces souffrances passées est tout à fait compréhensible. Personne ne vole ici sa souffrance à personne."
Une indignation de la classe politique et des représentants religieux
De nombreuses personnalités politiques ont réagi à la publication de la photo. Pour la députée LREM Aurore Bergé, "la comparaison est indécente". "La situation des musulmans de notre pays n'est en rien comparable avec celle des juifs dans les années 30/40", a-t-elle tweeté. Plus à droite, François-Xavier Bellamy, député européen des Républicains, a lui aussi fait part de sa sidération et jugé que la condamnation se devait d'être "unanime". A l'extrême droite, l'eurodéputé du Rassemblement national Jordan Bardella a lui aussi dénoncé sur Twitter une "abjecte comparaison". A gauche, certains s'en sont également ému, comme le sénateur socialiste de Paris, David Assouline, qui a déclaré dans un tweet "chercher [ses] mots pour dire [son] écœurement".
Même indignation du côté des représentants religieux. Pour l'imam de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, joint par franceinfo, "ce dérapage ne sied pas à cette manifestation qui dénonce l'exclusion de cette manière-là". Auteur d'un Appel à la réconciliation : foi musulmane et valeurs de la République française (éditions Plon), le religieux musulman estime que "ceux qui arborent cette étoile jaune ne connaissent pas l'histoire des juifs en France. On ne peut pas faire des comparaisons comme ça, on n'est pas dans les années 1930".
Pour le grand rabbin de France, Haïm Korsia, interrogé sur franceinfo, ce geste est "une aberration". "On peut dire que les uns ou les autres se sentent, ont l'impression ou sont discriminés, mais on ne peut pas comparer des choses qui ne sont absolument pas comparables", dénonce le religieux. Selon Haïm Korsia, cette photo a vocation à "banaliser" la Shoah, et cette "relativisation" de l'extermination systématique des juifs voulue par le régime nazi et "son utilisation à tout bout de champ par les uns et par les autres devient insupportable". Et le grand rabbin de France d'ajouter : "Evidemment, heureusement que les musulmans ne subissent pas la même chose aujourd'hui."
Pour rappel, près de six millions de juifs ont été exterminés par les Nazis durant la Seconde Guerre mondiale. En France occupée par l'Allemagne nazie, le port de l'étoile jaune a été imposé aux juifs en mai 1942. Au total, près de 80 000 juifs français et étrangers vivant en France ont été tués, la plupart d'entre eux après avoir été déportés dans les camps, entre 1940 et 1945.
Une "initiative isolée" pour l'un des initiateurs de la manifestation
Un des initiateurs de l'appel à manifester, le conseiller municipal de Saint-Denis Madjid Messaoudene, juge que "c'est effectivement, compréhensible que des personnes soient interrogées et touchées" par ce symbole. L'élu local de gauche radicale assure toutefois à franceinfo que "c’est une initiative isolée de manifestants, sans lien avec les organisateurs".
"Les personnes qui ont fait ça, lorsqu’on les interroge, expliquent que c’est justement une forme d’hommage à cette mémoire collective de la Shoah, une manière de dire 'plus jamais ça'", plaide Madjid Messaoudene. "Car le sujet, c’est bien la stigmatisation d’une communauté sur la base de sa religion en ce sens, les communautés musulmanes et juives sont sœurs. Raison pour laquelle tant de concitoyens juifs et l’Ujfp [Union juive française pour la paix] sont venus hier apporter leur soutien aux musulmans."
"Il n'y avait pas la moindre consigne des organisateurs en ce sens, confirme à franceinfo Marwan Muhammad, ancien directeur du controversé Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). De loin, dans la manifestation, je n'ai pas tilté. J'ai vu quelque chose de jaune, j'ai cru que c'était un symbole comme celui de SOS Racisme [une main jaune]. Mais, même si beaucoup de personnes ont tendance à faire le parallèle entre la situation des citoyens musulmans aujourd'hui et ce que nos compatriotes juifs ont eu à subir bien avant la Seconde Guerre mondiale, pendant la période dreyfusarde puis les années 1930, c'est incompréhensible, c'est illisible et c'est a minima une grosse maladresse et une faute."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.