Projet de loi immigration : le Rassemblement national a-t-il vraiment gagné la "bataille idéologique" ?
Le gouvernement a fait adopter son projet de loi immigration, mais à quel prix ? Le texte proposé par la commission mixte paritaire et adopté par le Parlement mardi 19 décembre est ressorti particulièrement durci par rapport à la version initiale du gouvernement. Marine Le Pen s'est d'ailleurs satisfaite de cette nouvelle version, parlant d'"une loi de durcissement des conditions de l'immigration". Et les 88 députés du Rassemblement national ont finalement voté en faveur du projet de loi.
Le texte est même "une victoire idéologique", selon la cheffe des députés d'extrême droite. Un constat partagé par la gauche, qui a fustigé "une minorité présidentielle lepénisée", selon les mots de la députée insoumise Marianne Maximi sur X. "Un texte qui traite des étrangers, voté avec l'extrême droite, par l'extrême droite et pour l'extrême droite, jamais je n'aurais cru que ce soit possible", a aussi lancé le député écologiste Benjamin Lucas dans l'Hémicycle.
"Un piège tendu par le RN"
Le malaise s'est installé dans la majorité, prise en tenaille entre les accusations de la gauche et le vote du Rassemblement national. "Le texte du Sénat [sur lequel est basé le texte final] est d'extrême droite sur beaucoup de mesures", estimait une députée de l'aile gauche de Renaissance, auprès de franceinfo, avant le vote. Un autre parlementaire dénonçait lui "un piège tendu par le RN", qui a passé "tout le week-end à dire que le texte n'allait pas pour finalement le voter", comme une façon de se l'approprier.
Plusieurs dispositions du projet de loi rappellent effectivement le programme de Marine Le Pen pour l'élection présidentielle de 2022. Le texte adopté par les parlementaires prévoit par exemple de rétablir le délit de séjour clandestin, supprimé en 2013 par François Hollande. Interviewé sur France Inter, Jordan Bardella, le président du parti d'extrême droite, s'est félicité des avancées sur le sujet "du regroupement familial". Le projet de loi durcit en effet les conditions du regroupement familial, notamment en augmentant la durée de séjour requise pour les demandeurs (de 18 à 25 mois) et la nécessité de disposer de ressources "stables, régulières et suffisantes". On est cependant loin de "l'interdiction" du dispositif voulue par le RN.
"Même s'il y a des avancées notables sur les thèmes défendus par le parti, on ne peut pas parler de victoire idéologique complète du RN."
Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l'extrême droiteà franceinfo
Sur la question des aides au logement, au cœur des tractations entre la majorité et LR dans la dernière ligne droite, le texte prévoit de les conditionner, pour les étrangers non européens en situation régulière à cinq ans de résidence ou 30 mois d'activité professionnelle. Or, le RN milite depuis longtemps pour réserver ces aides aux seuls Français.
"Un pas gigantesque vers la normalisation"
Autre point ambivalent, la question du droit du sol, que le RN souhaiterait abandonner. Sans aller aussi loin, le texte prévoit que les jeunes majeurs étrangers nés en France n'obtiendront plus automatiquement la nationalité, mais seulement s'ils en font la demande entre 16 et 18 ans. C'est précisément ce qui a poussé Eric Bothorel (Renaissance) à ne pas voter pour le projet, explique-t-il à France 3 Bretagne.
Face au résultat de la discussion parlementaire, le RN fait étalage de sa victoire. Sur France Inter, Jordan Bardella expliquait ainsi être heureux que l'on "parle maintenant de préférence nationale", une proposition défendue par le parti d'extrême droite depuis des années.
"La majorité et Les Républicains, en reprenant en partie nos concepts, nous valident, non seulement notre constat, mais aussi nos mesures."
Renaud Labaye, secrétaire général du groupe RN à l'Assemblée nationaleà franceinfo
En décidant de voter pour le projet de loi, le Rassemblement national a ajouté une dimension tactique à son offensive idéologique. Un piège duquel la majorité a eu du mal à s'extirper mardi soir, jusqu'à imaginer sérieusement un retrait pur et simple du texte. "Le RN vient de faire un pas gigantesque vers la normalisation", s'inquiète un cadre du parti Les Républicains.
Pour Jean-Yves Camus, les débats "risquent de renforcer le RN, qui est déjà à presque 30% dans les derniers sondages pour les élections européennes, car les gens préfèrent en général l'original à la copie". Cependant, poursuit le chercheur, "l'objectif principal du RN, qui ne figure pas dans la loi, est un système où l'immigration serait totalement arrêtée et où il existerait une différenciation des droits entre les Français et les autres".
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