Hébergement d’urgence : l’engrenage humain et financier
A l'origine il y a un principe : aucun enfant ne doit dormir dans la rue. Et un système généreux : la mise à l'abri des familles démunies. Comme ces deux femmes qui ont fait appel au Samu Social de Paris. La première a fui la Guinée-Conakry après une excision, elle est mère de jumeaux âgés de deux ans : "Je suis à l’hôtel depuis juillet 2011. Je suis restée longtemps dans une chambre où il y avait de l’humidité et pas d’eau chaude. Je n’ai personne, pas de famille en France. C’est dur."
Si je ne travaille pas comment je peux payer un loyer ?
La seconde, Algérienne, est venue en France pour faire soigner son fils handicapé, et s’est vite retrouvée sans-papiers et sans domicile : "J’étais dans la rue et je savais pas où aller alors j’ai demandé au 115. C’est pour mon fils que j’ai tout sacrifié pour qu’il s’améliore et qu’il aille bien. Je n’ai pas les moyens de sortir de l’hôtel. Si je ne travaille pas comment je peux payer un loyer ? En plus, on ne peut pas trouver de travail sans être régularisée."
35.000 personnes hébergées à l'hôtel en 2015
15.000 personnes hébergées à l'hôtel en 2010, 35.000 aujourd'hui. La demande a explosé ces dernières années. Au départ, l'Etat a préféré réserver ces chambres plutôt que de construire des centres d'hébergement. Une solution souple, en apparence peu coûteuse, 17 euros par personne et par jour contre 40 euros dans les structures pour sans-abris.
Mais ce système s'est révélé pervers. Christine Laconde la directrice du Samu Social de Paris, en a parfaitement conscience : "L’hébergement hôtelier a été et est encore dans une certaine mesure une drogue dure. Comment en est-on arrivé là ? On a tous considéré que l’hébergement hôtelier débutait et s’arrêtait assez vite. En pratique, non, car l’hébergement hôtelier ne durait pas 15 jours, ni même un ou deux mois, mais une année, voire des années."
Ces personnes, en grande majorité étrangères, sont dans une situation administrative souvent inextricable. Les associations les appellent les "ni, ni" : ni régularisées ni expulsables. Donc le plus souvent sans emploi et sans ressources. Et puis la vie chaotique de familles ballotées d'un hôtel à un autre, les empêche de construire ce qui pourrait leur permettre justement d'en sortir, c'est un cercle vicieux. Le dispositif devient très coûteux, note Erwan Le Mener, sociologue à l'observatoire du Samu Social de Paris.
Des hôteliers et des commerçants ont vu qu’en hébergeant des familles ils pouvaient gagner un argent considérable
Presqu'absurde : "Une chambre d’hôtel pour trois personnes coûte environ 1500 euros par mois. Or pour cette somme, même dans le parc privé, et même au cœur de Paris, vous trouverez mieux que 13m2 ! […] Des hôteliers et des commerçants ont vu qu’en hébergeant des familles, ils pouvaient gagner un argent considérable. J’ai épluché les comptes de certains établissements et les indicatifs de profit sont vraiment au beau fixe !"
Un hôtelier – qui a préféré garder l’anonymat – témoigne des méthodes frauduleuses de certains de ces confrères : "Quand des familles partent, on a l’obligation de tout de suite prévenir le 115.Or, il y a des hôteliers qui, tant qu’ils n’ont pas reçu de fax d’annulation, considèrent que la famille partie est toujours là. Et qui paie pour une famille – peut-être nombreuse - qui n’est plus là ? C’est l’Etat ! Ils ont bien mis en place un système draconien avec des appels pour le renouvellement… Mais c’est vrai qu’il y a des abus et que des hôteliers continuent à facturer quand les gens ne sont plus là."
L’ensemble des secteurs font le tour des hôtels le matin pour rechercher des chambres disponibles. On est en réelle saturation de dispositif
550 hôtels au total hébergent des familles sans-abris. C'est 15% de l'offre en Ile-de-France. Le Samu Social Paris s'est même structuré en créant une sorte de "booking.com" du social. Stéphanie Tocqué nous présente le PHRH, le Pôle d'hébergement et de Réservation Hôtelière : "L’ensemble des secteurs font le tour des hôtels le matin pour rechercher des chambres disponibles. On est en réelle saturation de dispositif. Voyez-là par exemple, les familles de Paris : sur les 24 familles, 4 ont été réorientées sur Paris, les autres sur la banlieue : Cergy, Saint-Christophe, Goussainville, Valenton, Sarcelles, Malakoff…"
Les familles s'enferment dans le système
Et c'est un autre effet pervers : orientées de plus en plus loin de leur lieu d'ancrage d'origine, ces familles s'enferment dans ce système, elles ne cherchent parfois même plus à en sortir. Fabien Descoubes dirige le pôle régional de suivi des familles à l'hôtel créé par La Croix Rouge : "La sortie de l’hôtel est angoissante pour les familles. Même quand elles ont changé d’hôtel, parfois quatre, cinq, huit fois, elles sont dans un système qu’elles connaissent et maîtrisent avec tous ces paradoxes et ces difficultés. Elles se sont parfois adaptées à l’hôtel : le mode de garde des enfants avec la voisine d’à côté, l’association de proximité... Et puis il y a aussi, clairement, un manque à gagner, car beaucoup de familles soutiennent leurs proches restés au pays."
Pour sortir de cette spirale, sans remettre des familles à la rue, le gouvernement a lancé en mars dernier un plan d'action qui s'appuie notamment sur le parc privé. On les appelle des locations solidaires : des loyers garantis grâce au suivi d'associations. Mais en attendant qu'il porte ses fruits, le nombre de nuitées hôtelières continue d'augmenter, même si le rythme s’est ralenti.
Une enquête à retrouver en intégralité ►►► Hébergement d'urgence, la spirale infernale - Un reportage de Claire Chaudière
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