Violences sexuelles : ce qu'il faut retenir du rapport qui pointe le "système" établi au sein de la communauté religieuse des Frères de Saint-Jean
Pas moins de 72 frères mis en cause et 167 victimes recensées. Les violences sexuelles et "abus spirituels" commis au sein de la communauté religieuse des Frères de Saint-Jean ont été documentés dans un rapport interne de la commission interdisciplinaire de la communauté, publié lundi 26 juin.
Le rapport de plus de 800 pages, intitulé "Comprendre et guérir – Origines et analyses des abus dans la famille Saint-Jean", a été rédigé dans l'espoir "que de tels méfaits ne reproduisent plus". Il fait suite aux premières révélations survenues dès 2013 sur les violences sexuelles commises par le fondateur de cette congrégation, Marie-Dominique Philippe, longtemps adoubé par le pape Jean-Paul II et mort en 2006 à 93 ans.
Un père fondateur qui avait également couvert les violences commises par son frère, Thomas Philippe, condamné par Rome en 1956 et mort en 1993. Un autre rapport, sur L'Arche cette fois (une communauté d'accueil pour des personnes souffrant de déficience intellectuelle) avait déjà révélé en début d'année les abus et violences commis par ce dernier. Franceinfo vous résume ce qu'il faut retenir du document rendu public lundi et qui revient sur "la part la plus sombre" de l'histoire de la communauté.
72 frères mis en cause, dont 37 toujours membres de la congrégation
Depuis la création de la communauté, en 1975, 167 victimes ont été recensées, selon les auteurs de ce rapport, qui se sont basés sur de nombreux témoignages et un travail d'analyse des archives. Un nombre qui les amène à évoquer "une sorte de virus (...) malfaisant" qui a "contaminé" la communauté Saint-Jean "dès son origine".
Outre les violences commises par le fondateur de la communauté religieuse, 72 des 871 frères de la congrégation sont accusés d'être à l'origine d'"abus sexuels", selon les termes utilisés dans le rapport. Six femmes sont également mises en cause. Les actes décrits sous le terme d'"abus" recouvrent à la fois "des paroles, des sollicitations, du harcèlement", mais aussi des agressions sexuelles et des viols. Certains de ces frères mis en cause ont fait plusieurs victimes. Onze d'entre eux ont notamment "abusé" de quatre personnes ou plus selon le rapport. "Il est malheureusement certain que le nombre d'abus réels est supérieur", précisent les auteurs.
Parmi les 72 frères incriminés, six seulement ont été condamnés par la justice, et dix enquêtes sont "encore en cours". Douze plaintes ont par ailleurs été classées sans suite par le parquet, assure le rapport, qui affirme 37 des frères incriminés sont toujours membres de la congrégation. Mais tous, ont, a minima, reçu une sanction disciplinaire ou sont visés par des procédures qui pourront déboucher sur leur renvoi, en fonction du degré de gravité des actes rapportés.
Les femmes majoritaires parmi les victimes
"La majorité des faits ont été commis par des frères prêtres dans le cadre d'un accompagnement spirituel de femmes majeures", selon les auteurs du rapport. Ainsi, 77% des victimes recensées sont des filles ou des femmes. Parmi elles, 41% sont des femmes laïques et 18% sont des sœurs. Les garçons de moins de 15 ans représentent quant à eux 6% des victimes, selon le recensement qu'a pu effectuer la commission interdisciplinaire de la communauté.
Même si le traumatisme de ces violences varie en fonction des victimes, les auteurs du rapport insistent sur les conséquences psychologiques et psychiatriques. Une perte de l'estime de soi et une "grande difficulté à avoir confiance en Dieu et en d'autres personnes" ont ainsi été constatées chez les victimes au gré des témoignages.
Un "système" instauré autour du fondateur dès la création de la communauté
Les auteurs du rapport, parmi lesquels on retrouve des membres de la communauté religieuse, mais aussi des laïcs, des historiens ou des théologiens, se sont attelés à "une relecture profonde" de l'histoire et de la culture interne de la congrégation des Frères de Saint-Jean. Ils pointent notamment le "caractère systémique" des violences sexuelles. Parmi les pistes d'analyse évoquées dans le rapport pour tenter de comprendre cette "dimension systémique", l'existence d'abus "dès la fondation de la communauté" aurait contribué à faire paraître comme "normales" ces violences. Le "cercle" qui s'était construit autour du fondateur, Marie-Dominique Philippe, est un autre élément d'explication. Cet entourage fonctionnait en effet comme une protection pour les agresseurs, en passant les violences sous silence. Les membres de ce cercle étaient par ailleurs eux-mêmes victimes ou "auteurs d'abus", peut-on encore lire dans le document de plus de 800 pages.
La "très forte aura intellectuelle et spirituelle" de Marie-Dominique Philippe est également dénoncée. Une aura qui lui octroyait une position d'autorité. Le piédestal sur lequel il était mis et l'admiration portée par de nombreux disciples a encore favorisé le développement de tels actes, notamment en instaurant une "dépendance intellectuelle et affective" chez les plus fragiles. Enfin, les "abus" qui se sont déroulés lors de la confession rendaient "quasi impossible la dénonciation" du fait de la dimension de confidentialité et de la dimension sacrée.
Des violences sexuelles qui s'accompagnent d'"abus spirituels"
Le rapport s'attache à relater les violences sexuelles qui ont eu lieu au sein de la communauté religieuse, mais il évoque aussi longuement le phénomène d'"abus spirituel". Les "abus sexuels dépendent généralement d'un abus spirituel, surtout lors d'un accompagnement dans la durée", insistent les auteurs du rapport, selon qui les deux phénomènes sont largement imbriqués.
Ils ne peuvent pas non plus être évoqués sans mentionner "les abus d'autorité", "les abus de conscience", qui ont également fait rage dans la congrégation. "Dans tous les cas, c'est la question de l'emprise qui se pose" résume le rapport. Selon les auteurs de ce travail, la doctrine religieuse de la communauté Saint-Jean a pu favoriser ces abus spirituels ou sexuels "en proposant des justifications" aux auteurs des violences, notamment lorsque les textes exaltent la "motion de l'Esprit au détriment de l'humain" et donc empêchent "les réactions saines de la conscience".
De même, le fondateur du groupement religieux avait régulièrement recours à la doctrine de "l'amour amitié" avec des laïques pour justifier des agressions sexuelles qu'il qualifiait de "pures" car "sans pénétration". Selon le père Marie-Dominique Philippe, un ami devait être capable de recevoir ces gestes et de les "supporter", témoigne un ancien frère. Avoir un ami était même "primordial", car "seul moyen de pouvoir accéder à la vie de l'authentique frère de Saint-Jean", raconte une victime. Cette théorie a ensuite été utilisée par d'autres membres de cette communauté religieuse pour justifier, à leur tour, les violences sexuelles commises.
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