Témoignages MeToo à l'hôpital : regards croisés d'une médecin expérimentée et d'une jeune interne sur les violences sexuelles

La parole se libère face aux violences sexuelles à l'hôpital, mais les mentalités évoluent-elles vraiment ? franceinfo a recueilli la parole de deux générations de femmes : Hélène, médecin de 52 ans et Sophie, interne de 24 ans.
Article rédigé par Solenne Le Hen - édité par franceinfo
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Une soignante dans le couloir d'un hôpital. Image d'illustration. (VALERIE VREL / MAXPPP)

Nouvelle réunion sur le MeToo de l'hôpital : le ministre de la Santé Frédéric Valletoux reçoit lundi 6 mai les Ordres de médecins et d'infirmiers, notamment. Depuis un mois, la parole se libère, des femmes dénoncent des agressions verbales et physiques à l'hôpital, tolérées pendant des dizaines d'années sous couvert d'esprit carabin et grivois. 

Cet esprit dit "grivois" perdure-t-il aujourd'hui encore ? Les mentalités évoluent-elles à l'hôpital ? Pour s'en rendre compte, franceinfo a interrogé deux générations de femmes. Regards croisés : l'une est médecin de 52 ans, l'autre une interne de 24 ans.

Aujourd'hui médecin anesthésiste-réanimateur, Hélène réalise avec le recul que sous couvert parfois d'humour, ses collègues masculins de tous âges lui en ont fait baver il y a 30 ans, quand elle était étudiante à l'hôpital.

"Très concrètement, on m'a touché les fesses, les seins, comme de la viande. C'était un système qui se passait au vu et au su de tout le monde."

Hélène, médecin de 52 ans

à franceinfo

"Des propos graveleux, des gestes déplacés, des baisers volés, voire (des choses) plus graves, ajoute-t-elle. C'était assez permanent et nous, les filles, notre boulot, c'était de répondre de façon pas trop désagréable pour ne pas se faire trop ostraciser. Ça donnait quelque chose comme : 'Merci vraiment pour l'attention que vous portez à ma plastique, est-ce que vous pourriez plutôt m'apprendre quelque chose ?' C'était une espèce de négociation permanente, une gymnastique, pour ne pas trop se prendre de mains et en même temps, ne pas passer pour la coincée de service, parce que c'était la meilleure façon de s'ostraciser. Ça faisait partie de l'environnement de l'hôpital, c'était marche ou crève, il fallait faire avec."

"Les choses changent doucement"

Cette médecin évoque aussi ces nuits de garde où la porte des chambres ne ferme pas, les grands professeurs qui se croient tout permis. "Il y en avait un particulièrement, c'était une pieuvre, il était tout gluant, raconte Hélène. Dès qu'on passait dans un certain périmètre, on était absolument certain de se prendre une main, une caresse, l'air de rien. Celui-là, il fallait surtout éviter de se retrouver dans son bureau. Et ce n'est que mon moi de 52 ans qui se dit rétrospectivement que j'ai eu quand même sacrément chaud aux fesses."

L'esprit salle de garde, les agressions sexuelles à l'hôpital, à quoi bon en parler 30 ans après ? "C'est important parce qu'il faut que ça change, parce que finalement on n'a rien dit pendant toutes ces années-là." Hélène accueille désormais toutes les étudiantes en médecine, toutes les internes en leur disant : "Au moindre propos ou geste déplacé, venez m'en parler, on ne laissera pas faire". Et les filles d'aujourd'hui ne se laissent plus faire, confirme à côté d'elle, Sophie, 24 ans, interne en anesthésie-réanimation à Paris.

"Les choses changent doucement, puisque partout où j'ai pu passer jusque-là, on a été très sensibilisées à ça."

Sophie, interne de 24 ans

à franceinfo

"Ce qui est certain, c'est que le groupe donne aussi de la force. Comme on arrive en étant de nombreuses femmes, en majorité notamment dans notre spécialité, on commence à être plus nombreuses que les hommes. Ça permet d'avoir une réponse collective plus importante et d'avoir du pouvoir à plusieurs, ce qui est plus difficile quand on est seule."

"Ils ont encore du pouvoir"

Elle se souvient quand même d'une remarque à table, à la cantine. "Je vais te prendre sur le bureau", cite de mémoire Sophie. "Je n'ai pas su quoi dire à ce moment précis. Ce n'est pas toujours facile. Après, on y repense et on se dit qu'il y avait mille et une bonnes façons d'y répondre. Ce qui est quand même à signaler et qui est un peu différent d'auparavant, c'est que ça n'a fait rire personne. Il n'y avait que des hommes autour de la table, il s'en est suivi un silence un peu gêné et la suite a continué sans qu'on n'en reparle plus jamais."

Les mentalités changent heureusement, estiment Hélène et Sophie. "Tu as raison sur le fait de dire que les nouvelles générations d'hommes qui arrivent maintenant, en tout cas ceux que je vois passer comme internes, sont généralement irréprochables, sensibilisés à ces questions, relève Hélène. 

"Le problème reste que vous avez encore affaire à des gens de ma génération, qui ont connu ces comportements comme normaux, et qui n'ont pas forcément vu les mœurs évoluer."

Hélène, médecin

à franceinfo

"Et ils ont encore du pouvoir, et souvent ils sont tout en haut, ajoute-t-elle. C'est à eux qu'on veut aussi s'adresser aujourd'hui." Pour Hélène et Sophie, ce MeToo à l'hôpital, cette libération de la parole, est une bonne chose, mais il faut que cela soit suivi de sanctions contre les agresseurs d'hier et surtout d'aujourd'hui.

MeToo à l'hôpital : regards croisés de deux femmes. Témoignages recueillis par Solenne Le Hen.

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