Procès de Christophe Ruggia : cinq ans de prison requis, dont trois avec sursis, contre le réalisateur poursuivi pour agressions sexuelles aggravées sur Adèle Haenel
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![Christophe Ruggia et Adèle Haenel lors du procès du réalisateur pour agressions sexuelles aggravées, au tribunal judiciaire de Paris, le 10 décembre 2024. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)](https://www.francetvinfo.fr/pictures/Lgg27HIuUJFVwkAtR9YIprCMTsY/0x1:4000x2251/432x243/2024/12/10/ruggia-675893c941617462550408.jpg)
Christophe Ruggia va-t-il échapper à de la prison ferme ? Le parquet a requis cinq ans de prison, dont trois ans avec sursis, mardi 10 décembre, contre le réalisateur de 59 ans jugé pour agressions sexuelles aggravées sur mineure. "Cela laisse une partie ferme de deux ans aménageable, sous la forme d'une détention à domicile sous surveillance électronique", a expliqué la procureure, Camille Poch, sous le regard attentif de l'actrice Adèle Haenel. Elle a aussi requis une inscription au fichier des auteurs d'infractions sexuelles, une interdiction d'entrée en contact avec la plaignante et une obligation de l'indemniser.
Pour déterminer la "juste peine", il faut prendre en compte les plus de vingt ans qui se sont déroulés depuis les faits, mais aussi "l'absence de reconnaissance des faits" par le réalisateur à l'audience, "leur gravité, leur récurrence, le nombre répété" des agressions dénoncées ou encore le fait qu'elles n'aient "cessé qu'à l'initiative de la plaignante", a déclaré la procureure. Entre septembre 2001 et février 2004, après le tournage du film Les Diables, dans lequel Adèle Haenel, 12 ans, incarne une jeune fille autiste, l'adolescente s'est rendue presque tous les samedis au domicile du réalisateur, où se déroulaient, selon elle, les agressions.
Des accusations "constantes" et anciennes
Il faut que "que la justice demeure un levier pour toutes celles et ceux qui n'en ont pas d'autre", a déclaré la magistrate, estimant que "malgré le temps qui a passé" depuis les faits dénoncés, si "la justice ne passe pas, le trouble à l'ordre public ne passe pas". En préambule, Camille Poch avait posé cet enjeu dans cette affaire emblématique du début du mouvement #MeToo dans le cinéma français : "Cette audience doit rappeler l'interdit, qui était l'adulte, qui était l'enfant, elle doit remettre le monde à l'endroit." La procureure a ensuite listé les éléments à charge, disant n'avoir "aucun doute" sur la réalité des agressions, décrites de manière "constante" et "authentique" par Adèle Haenel, et confiées progressivement à son entourage "dès 2006".
"Adèle Haenel ne se lève pas un matin en disant : 'et si j'allais parler à Mediapart'."
Camille Poch, procureurelors du réquisitoire
L'accusation a ainsi balayé la "défense improbable" de Christophe Ruggia, qui a parlé d'une "vengeance" car il n'aurait pas voulu réaliser un deuxième film avec l'actrice. Décrivant un "mode opératoire" systématique – "le goûter avec les Fingers blancs et l'Orangina, le rapprochement physique et le désir sexuel unilatéral d'un adulte qui va prendre le pas sur tout" –, Camille Poch a martelé que le prévenu, qui avait entre 36 et 39 ans, avait "fait le choix d'agresser sexuellement. Il avait toute sa conscience d'homme pour agir autrement."
L'explosion d'une colère contenue
Avant le réquisitoire, cette deuxième journée d'audience a été marquée par l'explosion de colère d'Adèle Haenel, qui bouillonnait de rage depuis le début de son face à face avec Christophe Ruggia. La comédienne césarisée venait de faire une courte déclaration à la barre : "Qui s'est soucié de l'enfant ? Agresser des enfants comme ça, ça ne se fait pas. Ça a des conséquences. Personne n'a aidé cette enfant."
Appelé à la barre pour son interrogatoire de personnalité, Christophe Ruggia a souhaité réagir, assurant qu'il avait essayé de protéger la jeune adolescente, notamment dans sa vie "au collège" où elle pouvait subir des moqueries. "Je lui ai dit de prendre un nom de scène", "le nom de son grand-père", a-t-il avancé, avant d'être interrompu par le cri d'Adèle Haenel. "Mais ferme ta gueule !", a-t-elle hurlé avant de quitter la salle avec fracas.
Lors de sa plaidoirie, l'avocate de l'actrice, Anouck Michelin, a reproché à "Monsieur Ruggia d'être allé jusqu'à salir le nom" de sa cliente, provoquant "l'exaspération de cette jeune femme qui se retient depuis deux jours" – la veille, celle-ci a traité le cinéaste de "gros menteur". Mais c'est "la colère" d'Adèle Haenel enfant dont la pénaliste a choisi de parler. "Cette enfant solaire qui aime jouer plus que tout au monde, à 12 ans, elle n'est ni d'or ni d'argent, elle est un diamant", a-t-elle lancé, très émue. Un diamant "martelé" par "un marionnettiste", mais qui a résisté malgré "les fragments confisqués". Et Anouck Michelin de comparer Christophe Ruggia à un "crapaud", ce terme qui désigne "l'accident de croissance", "la fissure" d'un diamant.
"Mes derniers mots seront pour toi ma petite Adèle. Tu as 12 ans et tu n'as rien fait de mal (...) Rassure-toi, le cinéma et le jeu ne s'arrêtent pas pour les diamants comme toi, quand tu seras grande, tu seras une grande actrice."
Anouck Michelin, avocate d'Adèle Haenellors de sa plaidoirie
"Je n'aime pas qu'on humilie, qu'on insulte inutilement un prévenu, même au terme d'un texte remarquablement bien écrit, et je n'aime pas, maître Michelin, vous voir pleurer", a rétorqué l'une des avocates de Christophe Ruggia lors de sa plaidoirie, dénonçant "le climat de terreur" et "les interventions de madame Haenel" pendant l'audience. "Moi ce que j'aime, ce sont les principes fondamentaux car c'est le socle de notre droit et ce n'est qu'en les respectant qu'on peut atteindre la vérité judiciaire", a plaidé Fanny Colin.
"Le seul #MeToo sans #MeToo"
Opposant "les détails" du dossier aux "fausses convictions" d'Adèle Haenel, la défense a rejeté la thèse de "l'amour amoureux" du réalisateur envers la jeune actrice et dénoncé un "effet de contamination" entre les témoins, du fait de la médiatisation de l'affaire par Mediapart en 2019. Fanny Colin s'est par ailleurs interrogée sur la description des scènes d'agression sexuelle par Adèle Haenel, qui ne connaissent "aucun changement, aucune modification, aucune progression" sur "100 samedis". "Nous sommes malheureusement informés de la progression des violences sexuelles sur les enfants", a-t-elle pointé, estimant que le "réel traumatisme et la souffrance" de la plaignante étaient en réalité dus à "son exposition à 12 ans" aux scènes de nudité et de sexe du film, dont des extraits ont été projetés lundi à l'audience.
"Ma crainte, c'est que l'institution judiciaire soit tenue de rendre justice le pistolet sur la tempe."
Fanny Colin, avocate de Christophe Ruggialors de sa plaidoirie
S'adressant au public de la salle, notamment composé de militantes féministes et d'associations de protection de l'enfance venues soutenir Adèle Haenel, Fanny Colin a tenu à rappeler que "le principe 'le doute profite à l'accusé' n'est pas un principe patriarcal destiné à protéger les agresseurs, mais un principe [destiné] à protéger les peut-être innocents". Demandant ainsi la relaxe de son client, elle a souligné qu'il n'avait pas de "passé judiciaire" et qu'il était "le seul #MeToo sans #MeToo". Dans ces affaires, "les accusations d'autres personnes s'accumulent souvent", a-t-elle précisé, enjoignant le tribunal de "retenir" le fait que son client n'avait pas fait l'objet d'autres accusations.
Christophe Ruggia n'a rien souhaité ajouter à la plaidoirie de ses avocates. La décision, mise en délibéré, sera rendue le 3 février 2025. Comme lundi, Adèle Haenel a quitté le tribunal sous les applaudissements.
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