"On a fait passer les résultats avant le bien-être des athlètes", déplore Anaïs qui a accusé, en vain, son coach de harcèlement moral
Les récentes affaires de viol, harcèlement sexuel ou moral vont-elles enfin briser l'omerta sur les violences dans le sport ? Une ex-athlète de l'US Créteil témoigne de la difficulté qu'elle a eue à se faire entendre, en 2007.
Deux entraîneurs d'athlétisme sont soupçonnés d'agressions sexuelles. Pascal Machat, reponsable nationale du demi-fond, accusé par une spécialiste du 3 000 m steeple, doit s'expliquer mercredi 11 avril devant la commission de discipline de la Fédération française d'athlétisme (FFF). Giscard Samba, lui, est visé par une enquête préliminaire pour des viols présumés remontant à janvier 2018 et plusieurs jeunes sportives écoquent à son sujet un comportement qui pose question. Ces affaires vont peut-être, enfin, briser l'omerta sur les violences dans le sport.
"On porte short et brassière parce que ça nous permet d’aller plus vite. Mais on n’est pas là pour se faire reluquer, pour entendre des plaisanteries salaces ou pour être matées. On est là pour faire du sport !" Anaïs Desroses est en colère. À 28 ans, l'ancienne athlète de l'US Créteil ne veut plus se taire.
Elle montre à qui veut bien l'écouter les lettres envoyées par sa mère il y a 10 ans pour alerter, en vain, son club, ses dirigeants et le député-maire de sa ville sur le comportement de son entraîneur, Giscard Samba. Une attitude qu'elle qualifie de harcèlement moral. Par exemple, "il m'a dit que j'étais tellement mauvaise que même ma mère me tournerait le dos, que j'étais nulle", raconte la jeune femme. Son coach l'aurait aussi menacée, en lui lançant : "Je te vire de l'entraînement au moindre prétexte." Selon Anaïs, "il fallait qu'il ait de l'emprise".
"Ils ont juste décidé de lui mettre un blâme à la suite des histoires qu'on avait déclarées, déplore l'ex-athlète. Pour moi, c’est surtout le sentiment qu’on a voulu le protéger parce qu’il avait des résultats et on a fait passer les résultats avant le bien-être des athlètes." Une de ses amies, Amandine*, avait même déposé une main courante au commissariat de Thiais, dans le Val-de-Marne, pour des allusions sexuelles très lourdes puis des menaces. Sans plus d'effet. Sollicité à propos de ces deux affaires, l'avocat de Giscard Samba n'a pas donné suite aux demandes de franceinfo.
La pression des dirigeants de clubs
Ce silence, cette chape de plomb, ne surprennent pas vraiment Sébastien Boueilh. Ancien rugbyman, victime de viols quand il était jeune, il a fondé l'association Colosse aux pieds d'argile depuis près de cinq ans et fait de la prévention auprès des jeunes dans les clubs, les écoles, les fédérations.
"Il n’y a pas eu une fois où je n’ai pas eu de victime en face de moi, raconte Sébastien Boueilh. Cela paraît terrifiant, mais c’est la réalité du terrain. Parler en milieu sportif, c’est compliqué : il y a la pression de certains dirigeants, de certains clubs, de certaines fédérations aussi qui ordonnent de ne pas divulguer les affaires pour l’image du sport. Quand on en est là, c’est triste."
Tous les sports sont concernés, mais plus l’enfant est dénudé, plus cela attire les prédateurs. Athlétisme, natation, gymnastique... Dernièrement, j’ai eu des témoignages dans le baseball, en pétanque et dans l'équitation.
Sébastien Boueilh, fondateur de Colosse aux pieds d'argileà franceinfo
L’omerta reste la règle dans le sport. "C'est un peu comme dans l'Église qui a mis beaucoup de temps à admettre les cas de pédophilie, estime Catherine Louveau, sociologue du sport et fondatrice du collectif Non aux violences sexuelles dans le sport. Le sport est un des premiers moyens éducatifs. Les sportifs sont des modèles donc, non, on ne peut pas toucher au sport."
Une étude commandée par la ministre des Sports en 2007 - Roselyne Bachelot - montrait que 31% des sportives et sportifs interrogés pensaient ou déclaraient avoir subi au moins une forme de violence ou de harcèlement.
* Le prénom a été changé
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