Violences sexuelles : "Libération" publie la lettre d'un violeur et suscite l'indignation
"C'est un texte fort et dérangeant. Il nous est parvenu il y a dix jours via l'adresse mail du journal", explique le journal. "Tout est indécence, mépris et violence", s'insurge la militante Caroline De Haas.
"'Je t'ai violée, Alma', la lettre d'un agresseur à sa victime", titre le quotidien, en une. Le journal Libération est vivement critiqué, lundi 8 mars, pour avoir publié et mis autant en avant la longue lettre d'un homme qui reconnaît avoir violé son ex-compagne au moment de leur rupture.
À la une de Libé lundi :
— Libération (@libe) March 7, 2021
«Fin de vie : mort sans ordonnance» pic.twitter.com/5Kyf4qgoZ2
"Le viol que j'ai fait est certainement d'une banalité extrême et dangereuse. La singularité de la situation doit donc être ignorée. Le viol n'a pas de contexte. Il a des explications tout au plus", écrit l'auteur de la lettre. "Oui, j'ai une rage envers moi-même. Oui, je me sens sale", poursuit-il. "Oui, je pleure d'avoir détruit une partie de la vie de celle que j'aimais le plus. Mais tout cela est incomparable à ce qu'elle ressent", ajoute-t-il. "Parole de violé", ajoute-t-il, précisant qu'il a été victime d'un pédocriminel lorsqu'il était collégien.
"C'est la honte"
"C'est LA HONTE !" s'indigne Osez le féminisme. "C'est à hurler", réagit l'autrice et militante féministe Valérie Rey-Robert, sur Twitter, jugeant cette publication malvenue, et encore plus choquante le lundi 8 mars, pour la Journée internationale des droits des femmes. "La parole d'un violeur ne peut s'exercer n'importe ou, pas sans contextualisation, encore moins lorsqu'ils ne sont pas jugés", poursuit-elle.
Perso je constate que la "libération de la parole" comme vous dites produit des hommes qui se sentent désormais assez à l'aise pour dire qu'ils ont violé parce que ne nous leurrons pas, la culture du viol est si structurelle que parler va paradoxalement les excuser.
— Valerie Rey-Robert (@valerieCG) March 8, 2021
"Ce texte n'a pas sa place en une", estime aussi Laélia Véron, maîtresse de conférences en stylistique et langue françaises, qui y voit une façon de le "valoriser". "Il doit servir de corpus, parmi d'autres textes. Il doit être analysé, parmi d'autres textes", juge-t-elle.
Un texte comme ça ne doit pas être valorisé, par une personnalisation à la Une. Il doit servir de corpus, parmi d'autres textes. Il doit être analysé, parmi d'autres textes, dans le cadre d'une démonstration et d'une analyse plus globales et mis en perspective sociologoquement.
— Laélia Véron (@Laelia_Ve) March 8, 2021
"Expliquer n'est pas excuser", se défend le journal
"C'est un texte fort et dérangeant. Il nous est parvenu il y a dix jours via l'adresse mail du journal", écrit Libération dans un article (article abonnés) expliquant sa démarche. "L'auteur décrit avec précision les déterminants personnels, culturels et sociaux qui ont participé à la commission de son acte. Il ne se justifie pas, ne s'autoflagelle pas, ne se défausse pas, il explique. Et expliquer n'est pas excuser", estime le journal.
"Dire qu'il donne le point de vue du violeur n'est que partiellement vrai. Sa réflexion vise à nous interpeller, à nous sortir de la zone de confort consistant à considérer que le violeur, le monstre, c'est l'autre", se défend le quotidien, faisant valoir "une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour entrer de façon plus éclairée sur le terrain de la prévention du viol."
La victime évoque son "soulagement"
"TOUT est indécence", s'insurgence la militante Caroline De Haas, condamnant "mépris" et violence" dans les articles du quotidien.
En fait, TOUT est indécence, mépris et violence dans ces papiers de @libe. TOUT.
— Caroline De Haas (@carolinedehaas) March 7, 2021
C'est l'angoisse absolue.
(Notre zone de confort ?!?!?! Sérieusement ? T'écris un papier sur le viol et tu parles de zone de confort mais ) pic.twitter.com/UYrJ7f9vce
La victime, Alma, a réagi auprès du journal (article abonnés). "En lisant les premières lignes, une vague de soulagement m'a envahie. Le mot 'viol' était écrit noir sur blanc", a déclaré au quotidien cette étudiante, à l'origine de la libération de la parole à Sciences-Po Bordeaux, puis dans plusieurs instituts d'études politiques (IEP) avec le hashtag #SciencesPorcs. "Mon violeur reconnaissait ce qu'il m'avait fait. Samuel reconnaissait m'avoir détruite", dit-elle encore. Pas question que son violeur "devienne un héros, car il a fait son mea culpa". Si Alma a éprouvé du "soulagement", elle "respecte parfaitement" les victimes qui ne souhaitent pas entendre leur violeur. La jeune femme n'exclut pas de porter plainte "quand elle se sentira prête".
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