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"Il m'a dit qu'il me tuerait avant que la police arrive" : on a suivi un procès pour violences conjugales

A l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Franceinfo a passé une matinée à la 24e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, où se jugent les affaires de violences conjugales. Voici le récit de l'un des procès.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le palais de justice de Paris, photographié le 28 janvier 2013. (THOMAS SAMSON / AFP)

Mélanie* est bien venue au tribunal, mais elle s'est vite éclipsée. "Elle vient de quitter la salle", indique le gendarme chargé, jeudi 8 mars, de veiller au bon déroulement de l'audience. A-t-elle pris peur en entendant son affaire appelée par les juges ? A-t-elle voulu éviter de se retrouver devant son agresseur ? Car Jean-Baptiste, 40 ans, est bien là, lui.

C'est l'un des cinq hommes appelés à comparaître ce matin devant la 24e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, spécialisée dans les violences conjugales. Assis derrière la vitre du box des accusés, il est le seul prévenu à comparaître détenu – pour une affaire d'escroquerie. Il est aujourd'hui poursuivi pour consommation de stupéfiants, rébellion armée et violences sur conjoint.

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L'histoire de Jean-Baptiste et Mélanie est un classique des affaires de violences conjugales : c'est celle d'une séparation, nouée lors d'une dispute le 3 août 2017. Selon sa déposition, lue par l'une des trois juges, Mélanie se réveille ce jour-là vers 6 heures. Sur son portable, elle constate que Jean-Baptiste a essayé de l'appeler "une cinquantaine de fois" après un échange de SMS "houleux", la veille. "J'ai rappelé, il était devant chez moi. Je lui ai ouvert et il s'est mis à me violenter en hurlant : 'Quand vas-tu arrêter de m'humilier ?'" a raconté la jeune femme aux policiers. Les coups et les menaces pleuvent.

Il a dit qu'il allait me tuer. Il m'a attrapée par le cou, je me suis débattue et il a pris un coussin pour m'étouffer. Il m'a dit qu'il me tuerait avant que la police arrive.

Mélanie

dans sa déposition

Des violences reconnues en garde à vue

Jean-Baptiste ne s'arrête pas là. "Il a voulu m'écarter les jambes pour filmer mon sexe", a raconté la victime. Il la menace de publier ces images pour "briser sa carrière". C'est finalement l'intervention de la gardienne de l'immeuble, alertée par les cris, qui met fin à l'agression.

Ces violences, le quadragénaire les a reconnues en garde à vue. Il a expliqué aux policiers que le couple s'était séparé une semaine auparavant, pendant des vacances en Grèce, après un peu plus d'un an de relation. "Elle avait caressé les fesses d'autres hommes", lui a-t-il reproché. Invité à rentrer dans les détails, Jean-Baptiste ne parle pas d'étranglement, ni d'étouffement avec un coussin. 

Je lui ai mis des claques dans sa tête et le cou, je crois. Je l'ai traitée de pute, ça c'est sûr.

Jean-Baptiste

dans sa déposition

Une lettre de "culpabilité inversée"

Après avoir lu les dépositions de la gardienne et de la cousine de Mélanie, la juge s'attaque à une dernière pièce : la lettre envoyée par la victime au tribunal.

Jean-Baptiste est susceptible de changer, il peut être meilleur (...) S'il s'est comporté comme ça, c'est à cause de ma trahison et de l'alcool.

Mélanie

dans une lettre aux juges

Dans son courrier, elle ne parle plus d'étranglement, mais de "dispute" au cours de laquelle les deux protagonistes "se battaient avec les mains". "A lire cette lettre, c'est un peu de sa faute", commente la juge, manifestement pas convaincue. La procureure ne l'est pas plus.

C'est une lettre qui illustre ce qu'on retrouve dans certaines procédures : la culpabilité inversée. Elle s'excuse presque que son conjoint subisse les conséquences judiciaires de ses actes.

Magali Josse, vice-procureure du parquet de Paris

à l'audience

La magistrate tente de déculpabiliser les victimes : "Comme je leur dis souvent, c'est le procureur qui poursuit, qu'elles portent plainte ou non. Pas elles", explique-t-elle à la fin de l'audience. Dans le cas de Mélanie, elle rappelle le contenu de sa déposition – "mon appartement ressemblait à une scène de crime, il y avait du sang partout" –, ses deux mains courantes déposées et le "système" imaginé avec sa cousine. "Si elle faisait biper son téléphone, cela voulait dire que ça n'allait pas et qu'il fallait appeler la police", rapporte la procureure. Pour ces faits et en raison du casier judiciaire chargé du prévenu – 12 mentions, notamment pour violences en état d'ivresse –, elle demande "un an de prison ferme, avec mandat de dépôt".

"Elle n'est pas exempte de tout reproche"

En face, l'avocat de Jean-Baptiste tente de placer une part de responsabilité sur la plaignante. "C'est lui qui a rompu, c'est elle qui lui demande de reprendre la vie commune. Ce matin-là, elle essaie de le retenir. Elle a un comportement belliqueux qui n'est pas exempt de tout reproche, plaide-t-il. La dispute est une dispute de deux individus, qui se ruent l'un sur l'autre." L'avocat demande pour son client une "peine d'avertissement, avec obligation de soins" pour ses problèmes de drogue et d'alcool.

Deux heures plus tard, la décision tombe. Jean-Baptiste est reconnu coupable des trois infractions et condamné à six mois de prison ferme. Dans son box vitré, un gendarme lui tend un stylo pour signer le document. Un autre lui remet les menottes. Rien d'inhabituel ici, résume Magali Josse : "Ce type de violences concerne toutes les catégories sociales et nous en traitons tous les jours." La magistrate l'assure, "les affaires de violences au sein du couple sont une priorité" pour le parquet de Paris : "Protéger les victimes, préserver les enfants, prévenir la récidive."

* Les prénoms ont été modifiés.

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