Définition pénale du viol : que peut changer l'introduction de la notion de consentement dans la loi, souhaitée par le ministre de la Justice ?

Six mois après la prise de position d'Emmanuel Macron, le nouveau garde des Sceaux, Didier Migaud, a déclaré, vendredi sur France Inter, être favorable à l'idée de faire évoluer la définition du viol en droit français, en y intégrant la notion de consentement.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Une pancarte dans un rassemblement en soutien à Gisèle Pelicot, le 14 septembre 2024 à Paris. (VALERIE DUBOIS / HANS LUCAS / AFP)

La question a surgi en fin d'interview. "Aujourd'hui, le consentement n'est pas compris dans [la définition du viol]. Le président [de la République] voulait l'inscrire dans le droit, est-ce que vous y êtes favorable ?" "Oui", a approuvé, sans en dire plus, Didier Migaud, le nouveau ministre de la Justice, interrogé sur France Inter, vendredi 27 septembre. La réponse du garde des Sceaux relance le débat sur l'inscription de l'absence de consentement dans la définition pénale du viol. Ce débat, récurrent depuis l'onde de choc provoquée par le mouvement #MeToo en 2017, a fait irruption le 8 mars, en marge de la Journée internationale des droits des femmes, quand Emmanuel Macron a déclaré qu'il allait "inscrire dans le droit français" cette notion.

Le sujet a resurgi avec le procès dit des viols de Mazan. Depuis le 2 septembre, Dominique Pelicot est jugé devant la cour criminelle du Vaucluse pour avoir drogué, puis violé et fait violer son épouse par des dizaines d'hommes, dont 50 comparaissent à ses côtés. Gisèle Pelicot, plongée dans un état proche du coma au moment des faits, n'avait pas livré son consentement pour ces actes sexuels. Les accusés, jugés principalement pour viols aggravés, ne s'en sont pas, ou peu, préoccupés : lors de leurs interrogatoires, ils ont manifesté de l'indifférence vis-à-vis de cette notion de consentement et ont semblé en avoir une connaissance floue, voire l'ignorer totalement.

"Empêcher l'auteur de se dédouaner"

A l'heure actuelle, le mot "consentement" n'apparaît pas dans la loi de façon explicite : l'article 222-23 du Code pénal définit le viol comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise". "Le consentement s'y définit plutôt par la négative en affirmant qu'il n'y a pas consentement s'il y a 'violence, contrainte, menace ou surprise'", analyse Valérie Rey-Robert, essayiste féministe, dans Une culture du viol à la française (Ed. Libertalia, 2020).

Or, des parlementaires estiment que cette définition du viol exclut un certain nombre de victimes. Le consentement "ne peut pas être déduit de la simple absence de résistance", considère la députée LFI Sarah Legrain. Elle souligne que "les cas de sidération, de dissociation ou d'emprise" font l'objet de "beaucoup de classements sans suite". "La société a déjà intégré le fait que le consentement, c'est ce qui fait la différence entre un rapport sexuel et un viol ; le droit pénal, lui, ne le fait pas", affirme de son côté la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, interrogée par l'AFP. Les deux parlementaires ont déposé chacune des propositions de loi pour introduire la notion de consentement dans la définition pénale du viol : Mélanie Vogel à l'automne 2023 et Sarah Legrain (Nouvelle fenêtre)  en février.

Cette modification législative permettrait également "d'élargir le champ des preuves qu'on peut apporter pendant un procès", souligne Mélanie Vogel.

"Il y a actuellement des situations dans lesquelles on n'est pas dans la capacité de prouver qu'il y a eu surprise, contrainte, menace ou violence, mais on est dans la capacité de prouver qu'il n'y a pas eu consentement."

Mélanie Vogel, sénatrice

à l'AFP

Avec ce changement, "il appartiendrait à l'homme mis en cause de démontrer que la victime avait exprimé librement son consentement à l'acte sexuel, et cela empêcherait l'auteur de se dédouaner en disant qu'elle ne s'était pas opposée", mettait en avant, dans une tribune publiée dans Le Monde en 2023, Audrey Darsonville, professeure de droit pénal. Elle précisait en mars à franceinfo que l'introduction du terme "consentement" permettrait d'inverser l'approche de l'enquête. "On va demander à l'auteur : s'est-il intéressé au consentement du partenaire ?"

Un risque de "déplacer le débat sur le comportement de la plaignante"

Mais comment apprécier cette notion de consentement ? C'est précisément ce qui suscite des craintes. Lors d'une audition au Sénat le 1er février, l'ancien avocat pénaliste Eric Dupond-Moretti, prédécesseur de Didier Migaud au ministère de la Justice, avait mis en garde contre un "glissement vers une contractualisation des rapports sexuels" et estimé que le "risque majeur" d'un tel changement était "de faire peser la preuve du consentement sur la victime, alors que le seul responsable du viol, c'est le violeur". Des réserves partagées par plusieurs avocats. Aujourd'hui, "on se tourne vers le mis en cause, même s'il conteste, et on va essayer de voir s'il a usé de violence, contrainte, menace ou surprise pour obtenir cette faveur sexuelle dont la plaignante dit qu'elle n'était pas d'accord du tout. Donc, on va chercher dans son comportement à lui", développait Christian Saint-Palais, président de l'association des avocats pénalistes, sur France 5, en mars.

"Définir juridiquement le viol par l'absence de consentement de la plaignante, c'est déplacer le débat sur le comportement de la plaignante", a, par exemple, écrit sur X, le 19 septembre, la pénaliste Julia Courvoisier, qui se dit "opposée" à une telle mesure.

"Fonder le viol sur l'idée que c'est un rapport sexuel dans lequel un des deux partenaires n'a pas consenti implique davantage l'idée de se questionner sur le comportement de la victime que sur celui du violeur. Quels signes a-t-elle donnés de son non-consentement ? Etaient-ils assez explicites ? C'est donc sans aucun doute un piège de réfléchir sur le viol en ces termes-là", expose également Valérie Rey-Robert dans Une culture du viol à la française.

Tout dépend des mots inscrits dans la loi. "Il faut être prudent et ne pas faire du comportement de la victime le critère de la qualification de viol. Car, dans ce cas, c'est son comportement qui serait au centre de la discussion judiciaire, et non plus celui de l'accusé", insiste Laurence Rossignol dans Le Nouvel Obs, jeudi 26 septembre. En outre, la sénatrice socialiste souligne qu'à ses yeux, "il ne suffira pas d'introduire cette notion de consentement pour rendre la justice plus efficace dans les affaires de violences sexuelles".

"Un pas important vers l'évolution des comportements"

Cependant, les condamnations ont beaucoup augmenté dans les seize pays de l'UE (dont l'Espagne, la Grèce ou le Danemark, selon le Parlement européen) qui ont choisi de faire évoluer leur définition du viol. En Suède, où une loi considère comme viol tout acte sexuel sans accord explicite, même en l'absence de menace ou de violence, depuis 2018, les condamnations pour viol ont augmenté de 75%, selon un rapport de 2020 sur les effets de cette réforme, cité par l'AFP.

Concrètement, dans ce pays scandinave, sont considérées comme viol deux situations qui ne tombaient pas sous le coup de la loi il y a six ans. Lorsque "la victime dit non et le montre avec son corps, mais ne se débat pas", et lorsqu'elle "reste silencieuse et passive pendant l'agression", note le Conseil national de la prévention du crime. Dans la société suédoise, des biais persistent, selon les associations féministes. Néanmoins, le principe de consentement, traduit par "libre volonté" (frivillighet) dans la loi, a bien été assimilé par l'appareil judiciaire, estime auprès de l'AFP Stina Holmberg, coautrice du rapport.

Une évolution que de nombreuses associations appellent de leurs vœux en France. "L'adoption d'une législation fondée sur le consentement n'empêchera pas que des viols soient commis, mais cela constituerait un pas important vers l'évolution des comportements et l'administration de la justice !", écrivait en mars Lola Schulmann, chargée de plaidoyer chez Amnesty International France, sur X, après la prise de position d'Emmanuel Macron sur l'évolution de la définition du viol.

Le chef de l'Etat a par la suite souhaité qu'une proposition de texte puisse voir le jour "d'ici à la fin de l'année". La dissolution de l'Assemblée nationale, en juin, a perturbé le calendrier et mis en pause les travaux sur ce sujet.

Toutefois, la députée Véronique Riotton (Ensemble pour la République), à l'origine de la mission d'information parlementaire sur la question, veut les relancer. "Nous avons travaillé sur l'introduction de la notion de consentement dans la définition pénale du viol lors de la précédente législature et nous comptons reprendre nos travaux", a-t-elle réagi sur son compte X, après les propos de Didier Migaud. La députée écologiste Marie-Charlotte Garin, corapporteuse de cette mission, avait rappelé en mars que l'idée n'était pas "de supprimer les quatre autres critères que sont la menace, la violence, la contrainte ou la surprise, mais de venir compléter la définition". Elle a assuré vendredi sur X qu'elle-même et sa collègue Valérie Riotton étaient "plus déterminées que jamais" pour "reprendre" les travaux à l'Assemblée.

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