Féminicide de Mérignac : "Il faut des sanctions disciplinaires, voire pénales pour non-assistance" à la victime, estime une spécialiste des droits des femmes
Isabelle Steyer ne se dit pas surprise par les conclusions du rapport d'étape d'inspection du gouvernement qui pointe une "suite de défaillances" dans le suivi du meurtrier présumé.
"Il faut des sanctions disciplinaires, voire pénales pour non-assistance" à la victime du féminicide de Mérignac, a déclaré mercredi 12 mai sur franceinfo Maître Isabelle Steyer, avocate au Barreau de Paris et spécialiste des droits des femmes. Elle réagit au rapport d'étape d'inspection du gouvernement qui pointe une "suite de défaillances" dans le suivi de l'auteur. Ce dernier a tué sa femme alors qu'il avait notamment l'interdiction de l'approcher. "C'était la chronique d'une mort annoncée", dénonce Maître Steyer, qui souligne que "dans à peu près un cas sur deux, il y a des défaillances graves" dans le suivi des conjoints violents.
franceinfo : "Une suite de défaillances" dans l'affaire du féminicide de Mérignac selon le rapport d'étape d'inspection, est-ce que cette première conclusion n'est pas une surprise pour vous ?
Isabelle Steyer : Aucune surprise. J'avais déjà pointé toutes les défaillances qui s'étaient déroulées malheureusement à la faveur de ce dossier, notamment l'absence de communication entre le commissariat et le conseiller à la probation, lui-même sans lien avec le juge d'application des peines. Effectivement, il y a une absence de communication sur la dangerosité de la situation de cet homme-là. Il va tranquillement voir son juge d'application des peines, ce dernier sait donc parfaitement où on peut l'interpeller, alors que de son côté le commissariat est en train de le rechercher. Donc c'est un homme qui donne le change pour paraitre un justiciable modèle qui exécute ses obligations, et parallèlement il harcèle cette femme et va même jusqu'à de l'étrangler une semaine avant dans un supermarché.
Il s'agit d'un cas isolé ou d'un phénomène systémique?
Dans à peu près un cas sur deux, il y a des défaillances graves. Nous avons régulièrement, dans 41% des cas, des femmes qui avaient déjà déposé plainte, pour lesquelles leurs maris avaient déjà été condamnées, qui étaient déjà sous contrôle judiciaire et pour lesquelles les obligations avaient été enfreintes. J'ai d'ailleurs engagé la responsabilité de l'Etat dans un dossier qui ressemble à celui-là, l'Etat a été condamné il y a exactement un an. Il s'agissait d'une action en responsabilité dans la mesure où la personne avait l'interdiction de rencontrer la victime et il avait tué la victime, son père et sa mère.
Si l'institution judiciaire a failli, "je n'aurai pas la main qui tremble", avait dit le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, qu'attendez-vous de lui ?
Eh bien, j'attends que les responsables soient nommés puisqu'on sait pertinemment que les conseils de probation avaient en leur main les plaintes, que rien n'a été transmis et que la mise à l'épreuve n'a pas été révoquée. Donc il faut des sanctions maintenant qui soient disciplinaires, voire pénales pour non-assistance, parce que le rôle d'une société c'est de protéger les citoyens, c'est de protéger les femmes victimes de violences, c'est une obligation. Donc, à partir du moment où elle faillit à cette obligation, c'est non seulement une responsabilité civile, mais c'est aussi une responsabilité pénale.
Que faut-il faire pour mettre fin à ce genre de "défaillances" ?
Il faut qu'il y ait des liens entre tous les intervenants. A partir du moment où une femme entre dans un commissariat il faut que, s'il y a des précédents, tous les magistrats ou tous les procureurs, toutes les personnes ayant à traiter de ce dossier soient informés de l'état de récidive dans lequel se trouve cet homme-là et donc de l'état de grave danger dans lequel se trouve la victime. Il faut impérativement qu'un espèce de cahier des charges et de critères des violences graves soit donné et soit connu de chacun des intervenants. Là, il était pour moi évident que c'était la chronique d'une mort annoncée.
Faut-il également élargir le recours aux bracelets électroniques anti- rapprochement ?
Bien sûr, il ne faut pas attendre que les femmes soient en danger visible de mort. A partir du moment où elle va déposer plainte, elle est en danger de mort parce qu'elle va désigner un homme violent et qu'il peut à ce moment-là passer à l'acte. Je ne vois pas pourquoi ces instruments sont dans des tiroirs. On a énormément de femmes victimes dont les agresseurs ont déjà été condamnés, on pourrait déjà les distribuer à des personnes qui ont déjà déposé plainte, ça pourrait être un critère. De la même façon, on pourrait se demander pourquoi on ne distribue pas de façon plus automatique les téléphones "grave danger". D'ailleurs, une des mesures n'exclue pas l'autre. On pourrait à la fois avoir un bracelet anti rapprochement et un téléphone grand danger, parce que lorsque la victime dénonce un système de fonctionnement violent, ce n'est pas forcément l'homme violent qui va la menacer, mais c'est aussi sa famille, ses amis et ses parents, toute la famille dont elle dénonce le dysfonctionnement.
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