Cancer de Charles III : "Rien ne laisse penser qu'une abdication serait en préparation", explique un spécialiste du Royaume-Uni
L'annonce a provoqué un choc au Royaume-Uni notamment dans la presse britannique. Le roi d'Angleterre Charles III est atteint d'un cancer, a annoncé dans un communiqué le palais de Buckingham. Une communication pour préparer une future abdication du roi ? Pas si sûr, selon Christophe Gillissen, professeur d'études irlandaises et de civilisation britannique à l'Université de Caen. Selon les premiers éléments, le spécialiste du Royaume-Uni estime que rien n'empêche Charles III de rester roi alors qu'il se soigne. Il souligne surtout le caractère inédit de cette communication qui s'inscrit dans la volonté de transparence de la royauté voulue par le souverain britannique.
franceinfo : Cette annonce de cancer de Charles III va-t-elle entraîner une abdication du roi ?
Christophe Gillissen : Pour l'instant, on ne sait pas. Peut-être que le roi ou peut-être que son médecin le sait. Mais le public, les journalistes, même les spécialistes du système politique britannique n'ont pour l'instant pas suffisamment d'informations. Il faut noter qu'il y a eu une certaine transparence dans l'annonce qui a été faite par rapport à ce qui se pratiquait auparavant. Mais cette transparence a ses limites. On sait qu'il est atteint d'une forme de cancer, et si cela reste assez vague - et le message de déclaration du palais est marqué du sceau de l'optimisme - le roi espère reprendre bientôt ses fonctions pleinement. Le Premier ministre britannique a indiqué que le diagnostic a été détecté "tôt" et donc que tous les espoirs sont permis. Si on en croit ses commentaires, il n'y a pas à l'heure actuelle de gravité particulière qui laisserait penser qu'une abdication serait en préparation.
Dans quels cas une abdication peut-elle arriver ?
On entre dans une zone floue de la Constitution britannique qui elle-même est assez floue à la base. Il peut y avoir une abdication si le roi le décide. C'est aussi simple que ça. C'est bien évidemment rarissime.
"En général, à la maison royale du Royaume-Uni, contrairement à certaines familles royales en Europe, les monarques restent jusqu'au bout. On l'a vu notamment avec Elizabeth II qui a rempli ses fonctions jusqu'à sa dernière heure."
Christophe Gillissen, professeur à l'Université de Caenà franceinfo
Il faut remonter à 1936 pour trouver un cas d'application au Royaume-Uni, mais c'était des circonstances très particulières qui n'avaient rien à voir avec la maladie ou la santé du monarque. Le nouveau roi Edward VIII souhaitait épouser une femme divorcée, ce qui posait problème puisque le monarque britannique est chef de l'Église anglicane, qui autorisait le divorce mais n'autorisait pas aux divorcés de se remarier. Il y avait eu tout une polémique et à l'issue d'un échange un peu musclé avec le Premier ministre de l'époque, Édouard VIII a préféré abdiquer afin de pouvoir marier avec Wallis Simpson.
Charles III peut-il être roi et se soigner d'un cancer en même temps ?
C'est ce qui va commencer, semble-t-il. Charles III indique qu'il continuera à avoir ses entretiens hebdomadaires avec le Premier ministre. Il indique qu'il continuera à consulter les dépêches, les documents, les rapports qui lui sont transmis. De toute évidence, il devra réduire la voilure pour tout ce qui est cérémonies, inaugurations ou visites d'État. Mais ça, ce n'est pas forcément un problème puisque c'est cette tâche peut être remplie par d'autres membres de la famille royale. On pense bien évidemment à William, le prince de Galles, qui est le premier dans la lignée de succession. Ça peut aussi être la reine Camilla. Donc oui, c'est possible.
Y a-t-il assez de personnes dans la famille royale pour qu'il puisse être remplacé ?
En ce moment, c'est un peu compliqué parce que la famille royale, et le nombre de personnes de la famille qui disposaient d'un budget de l'État britannique pour remplir des fonctions cérémoniales, etc. , a été fortement réduit. Une manière de montrer que la famille royale ne coûtait pas trop cher. Et depuis quelque temps, il y a le prince Andrew qui n'est plus en mesure de remplir des fonctions officielles, car il est perturbé par un certain nombre de scandales et donc il se fait le plus discret possible. Il a été déchu de certains titres par Elizabeth II. De même, le prince Harry, lui, a choisi l'exil. Il ne reste plus grand monde. D'autant que la princesse de Galles a été hospitalisée en même temps que le roi et donc n'est pas disponible. En ce moment, les rangs sont quelque peu dégarnis pour lui.
Une abdication serait donc une catastrophe pour la famille royale, juste après la mort d'Elisabeth II ?
Ce serait une situation délicate qu'il faudrait manier avec prudence. Mais je ne sais pas si ce serait forcément une catastrophe. On sait, d'après les sondages, que le prince William est beaucoup plus populaire que son père. Donc, si le roi devait abdiquer, ce pourrait peut-être même être une bonne chose de ce point de vue-là. Cela ferait beaucoup de successions en peu de temps. Est-ce que le prince William serait prêt ? Il a l'expérience et a été formé, il serait en mesure de le faire.
"Je pense que le roi Charles III restera sur le trône aussi longtemps qu'il estimera être en mesure de le faire."
Christophe Gillissen, professeur à l'Université de Caenà franceinfo
Pouvez-vous nous rappeler l'ordre de succession ?
Dans l'ordre, il y a tout d'abord le prince William, le fils aîné du roi. Ensuite, ce sont les enfants de William dans l'ordre de leur naissance. A noter que depuis une dizaine d'années, les fils n'ont plus la priorité sur les filles. La loi a été modifiée parce que l'opinion publique ne comprendrait pas qu'un fils plus jeune qu'une sœur puisse passer devant elle. Après les trois enfants du prince William, c'est le prince Harry, et ensuite ce sont les enfants du prince Harry. Après, cette ligne continue longtemps, mais la probabilité qu'on aille plus loin est quand même très mince.
Le prince Harry a d'ailleurs décidé de rendre visite à son père. Cette relation conflictuelle avec ce fils qui est parti de l'autre côté de l'Atlantique et qui publie des mémoires, c'est quand même une épine dans le pied du roi. Il a tout fait pour essayer de réconcilier les deux frères et puis se réconcilier avec son fils. Est-ce que, dans un moment pareil, cette visite est de nature à changer la nature de la relation entre le roi et le prince Harry ? Je ne sais pas.
Cette communication du palais de Buckingham est-elle quand même inédite ?
Tout cela est décidé dans un cercle très restreint donc ce sont des suppositions et des hypothèses mais on voit assez clairement que lorsqu'il était prince, Charles a eu des décennies pour réfléchir à la manière dont il allait régner. Il a compris que sa mère, Elizabeth II avait eu du mal à suivre le rythme des changements sociaux. Son style de règne avait bien évidemment évolué, mais restait un peu vieux jeu.
"Charles III veut projeter une image plus moderne et davantage en phase avec la société britannique. C'était très visible pendant son sacre. Je crois que cela inclut une certaine transparence, mais dans des limites raisonnables."
Christophe Gillissen, professeur à l'Université de Caenà franceinfo
Il y a la volonté de laisser paraître davantage les sentiments et le vécu de la famille royale. Elisabeth II respectait toujours le protocole à la lettre. Elle le faisait avec talent et en souriant, mais elle n'a que très rarement parlé de ce qu'elle pouvait éprouver elle-même. Il y a une exception lorsqu'il y a eu, en 1992, toute une série de difficultés qui se sont abattues sur la famille royale, de l'incendie du château de Windsor jusqu'au divorce de ses enfants. Le roi Charles III montre pendant le sacre et pendant cette annonce de sa maladie qu'il y a le roi, mais qu'il y a aussi un être humain qui n'hésite pas à partager quelques informations. Je crois qu'il a conscience que la monarchie est fragile aujourd'hui, que son avenir n'est pas forcément garanti, que pour que cette monarchie puisse se maintenir, il faut établir un nouveau type de relation avec la population britannique. Et donc lui a décidé d'opter pour cette transparence qui reste relative, bien entendu.
Cette forme de communication est-elle devenue nécessaire aujourd'hui ?
J'ai tendance à penser que cette stratégie est effectivement judicieuse. C’est-à-dire qu'Elizabeth II avait sa façon de faire, mais elle le faisait depuis des décennies. La population britannique l'acceptait comme elle était et n'allait pas attendre d'elle qu'elle change, même s'il y a eu quelques moments un peu compliqués. Au moment, par exemple, de la mort de la princesse Diana. Le roi Charles III est quand même moins populaire. Un certain nombre de Britanniques estiment qu'il est un peu hautain, qu'il n'a pas le même naturel que sa mère. S'il conservait une distance comparable, je crois que ça se passerait mal.
Il est peu probable que les Britanniques se lancent dans le chantier de la transformation d'un royaume en république parce que ça prend un temps fou. Ça soulève une multitude de problèmes. Ça aurait un impact considérable sur le Commonwealth. C'est un chantier constitutionnel majeur. Aucun gouvernement ne se lancerait là-dedans sans d’excellentes raisons. Mais malgré tout, la monarchie se maintient tant qu'une majorité de la population y est favorable. Donc il faut cultiver cette image, cette relation avec les Britanniques et répondre à leurs demandes. Je crois que c'est ça, la stratégie de modernisation et de transparence que l'on voit en ce moment. Et pour ma part, j'ai tendance à penser que c'est plutôt bien vu. C'est certainement nécessaire.
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