Affaire Vincent Lambert : "On doit faire émerger un consensus des proches", estime le père d'un patient cérébro-lésé
Philippe Petit est membre du conseil d’administration de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens. Il a fait, avec son épouse, le choix de garder son fils à domicile.
L'affaire Vincent Lambert a connu, lundi 20 mai au soir, un nouveau rebondissement inattendu. Alors que l'arrêt des soins et de l'alimentation avaient débuté dans la journée, les avocats des parents Lambert, Jérôme Triomphe et Jean Paillot, ont obtenu gain de cause. Saisie, la cour d'appel de Paris a ordonné la réalimentation de ce patient tétraplégique en état végétatif depuis plusieurs années, pour "faire respecter" la demande du Comité international des droits des personnes handicapées de l'ONU, qui réclame six mois pour instruire le dossier.
Qu'inspire ce feuilleton judiciaire aux proches de patients cérébro-lésés ? Comment vivent-ils eux-mêmes leur situation ? Et comment accompagnent-ils leurs proches ? Entretien avec Philippe Petit, membre du conseil d’administration de l’Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et père d'un patient de 30 ans en état "pauci-relationnel" (de conscience minimale).
Franceinfo.fr : Quelle est votre réaction après la décision de la Cour d'appel de Paris de réalimenter Vincent Lambert ?
Philippe Petit. Ma réaction n’est pas d’exulter de joie comme j’ai pu voir hier soir à la télévision [rassemblés près des Champs-Elysées, les avocats et les soutiens de Pierre et Viviane Lambert étaient en liesse après l'annonce de la décision]. Ces scènes m’ont choqué. Mais la décision de la cour d’appel de Paris montre que l’Etat n’est pas exemplaire envers les handicapés les plus vulnérables. La décision judiciaire n’est pas une victoire, c’est un sursis qui ouvre un espace pour réfléchir et reposer des vraies questions. La loi Claeys-Leonetti de fin de vie est perfectible car elle ne traite pas toutes les situations.
Que voulez-vous dire ? Quelles sont les failles, selon vous, de la loi Claeys-Leonetti ?
Toutes les familles concernées sont terrifiées par la décision d’arrêt des soins et d’alimentation de Vincent Lambert, même si on nous dit que celui-ci est un cas singulier. Elles se disent que l’on peut avoir le même type de raisonnement avec les autres patients cérébro-lésés. C’est une crainte majeure.
Arrêter une alimentation n’est pas un tabou pour moi. Mais dans le cas précis de Vincent Lambert, même si des proches disent qu’il n’aurait pas voulu vivre comme ça, il n’a pas laissé de directive anticipée ni désigné de personnes de confiance. En conséquence, la décision est prise par l'équipe médicale et elle est imposée, ce que je juge insupportable. Quand on n’a pas l’avis formel du malade, on doit faire émerger un consensus des proches, une décision collective. En ce qui concerne Vincent Lambert, l’initiative médicale a échoué parce qu’elle n’avait pas rassemblé au départ. Le consensus, ensuite, n’a jamais pu être réuni et les membres de la famille Lambert sont restés sur des positions irréconciliables.
Nous considérons qu’il faut avoir l’humilité et la patience de réunir la famille et tous les proches, qui viendront dire, selon eux, ce que la personne elle-même aurait souhaité. Cette réunion peut être menée selon les techniques de médiation et, avec le temps, on arrive à cheminer et à faire émerger un consensus. Sinon, on ampute la décision. Encore une fois, la fin de vie n’est pas un problème strictement médical. La loi Claeys-Leonetti est d'abord faite pour protéger les médecins et éviter à la famille de prendre une décision. C’est un paternalisme d’un autre âge.
Qu'est-il arrivé à votre fils, victime de traumatisme crânien ?
Antoine, qui est mon plus jeune fils, a été renversé à vélo par une voiture il y a seize ans. Il avait 14 ans à l’époque, il en aujourd’hui 30. Il n'est pas dans un état végétatif, mais pauci-relationnel, c’est-à-dire en état de conscience altérée. Il a une relation à l’environnement fluctuante, mais exprime des émotions. Il sourit. Quand il a un inconfort, ça se voit. Il réagit aux visages familiers. Il a du plaisir à voir son frère, sa sœur, ses neveux –nous avons trois petits enfants–, mais la relation établie avec lui est ténue.
Vous avez fait le choix de le garder à domicile. De quelle façon votre vie a-t-elle été modifiée ?
Le garder à la maison était une évidence pour tout le monde. Antoine avait 14 ans, sa place était chez nous. Je suis médecin de santé publique à Paris la semaine, mais je rentre le week-end dans le Pas-de-Calais où nous habitons. Auparavant animatrice en long séjour gériatrique, ma femme avait des compétences dont a pu bénéficier notre fils, comme la culture du handicap et de la perte d’autonomie.
Elle a fait le choix d'arrêter de travailler et supervise la vie quotidienne d'Antoine. Nous tenons à ce qu’il ait des journées les plus ordinaires possibles. Le matin, on l’habille, on le sort de son lit et il passe au fauteuil. Ma femme ou une auxiliaire de vie l'emmène chez le kinésithérapeute dans un véhicule adapté pour ses déplacements. Il va aussi à des ateliers de musicothérapie dans une unité EPR [consacré aux patients en état pauci-relationnel], ainsi qu'à un groupe d’entraide mutuelle où il rencontre d’autres traumatisés crâniens, donc des gens en situation comparable. Pour les vacances, nous avons pris l’habitude de partir avec lui dans un camping-car spécialement aménagé. Evidemment, c’est plus compliqué que juste prendre le train avec son sac à dos.
C'est une organisation qui demande une logistique très particulière...
Au quotidien, il ne peut pas être seul. Il a besoin d’une présence constante pour tous les actes de la vie. Mon épouse gère une véritable PME de cinq à six personnes quand l’effectif est au complet, car Antoine a besoin à la fois d'auxiliaires de vie en journée et de garde de nuit. Il faut donc faire un planning, ainsi qu'assurer le recrutement et la formation de ces auxiliaires, puisqu'il y a beaucoup de turn-over dans cet univers insuffisamment professionnalisé. C’est un dispositif coûteux, mais Antoine, qui a été renversé en vélo par une voiture, relève de l’indemnisation des victimes de dommages corporels [donc des assurances]. Cette indemnisation rembourse les dispositifs dont il a besoin en aide humaine et matérielle.
Qu'est-ce que cet accident a changé à votre vie ?
Cela nous a conduit à réorganiser nos relations sociales et familiales. Certains liens se sont resserrés, d’autres distendus. C'est vrai que nous n'avons plus grand-chose en commun avec les gens qui n'ont d'autre souci que l'organisation des prochaines vacances.
L’important pour moi, c’est de faire en sorte que sa vie ait un sens. Ce qui guide ma vie, c’est d’avoir une relation avec lui me permettant de penser qu’il n’est pas malheureux. Il nous a beaucoup apporté car cette relation-là demande d’être particulièrement attentif. On s’aperçoit qu’il s’agit d’une relation assez riche qui recentre sur les valeurs essentielles. Elle m’a permis, en outre, de rencontrer des gens formidables.
La religion entre-t-elle en compte dans vos choix ?
Non. Pour moi, les religions sont un instrument de pouvoir qu'il faut tenir à distance. Mais les médias ont tendance à classer : si on ne veut pas de l’euthanasie, c’est qu’on est intégriste catholique. Moi, je ne suis ni intégriste, ni pro-euthanasie. Mais attention : pour moi, arrêter les soins et l’alimentation ne relève pas de l’euthanasie quand c'est issu d’un consensus.
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