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Affaire Vincent Lambert : "La médiation en milieu hospitalier est un moyen d’aller vers un peu plus de paix"

Le neurologue Jean-Luc Truelle, qui forme des médiateurs dans le domaine de la santé, estime que cette technique permet souvent de résoudre les conflits. Il répond à franceinfo. 

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'hôpital de Reims où se trouve Vincent Lambert, photographié le 20 mai 2019. (MAXPPP)

A la surprise générale, l'affaire a rebondi une nouvelle fois. Saisie par les avocats des parents de Vincent Lambert, la cour d'appel de Paris a demandé, lundi 20 mai, que ce patient tétraplégique en état végétatif soit de nouveau réalimenté, alors que l'interruption des traitements avait commencé le jour même. Depuis janvier 2014, cinq arrêts des soins ont été décidés par les équipes médicales successives, avec le soutien de Rachel Lambert, épouse et tutrice de son mari, et de six frères et sœurs de cet ancien infirmier de 42 ans. 

A chaque fois, l'application de ces décisions a été reportée en raison de la procédure menée par Pierre et Viviane Lambert, les parents du patient. Cette bataille judiciaire qui divise une famille en deux clans irréconciliables aurait-elle pu être évitée ? D'autres conflits familiaux pourraient-ils l'être à l'avenir ? Professeur honoraire de neurologie, ancien chef de service à l'hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine), où il s’est occupé particulièrement des traumatisés crâniens, et coauteur de l'ouvrage collectif Médiation et santé, un nouveau droit de l'homme, Jean-Luc Truelle estime qu'il faut développer le recours à la médiation. Entretien avec ce médecin qui forme de futurs médiateurs en milieu hospitalier.

Franceinfo : Avez-vous eu affaire à des cas semblables à celui de la famille Lambert ?

Jean-Luc Truelle : Avant la loi Leonetti, j’ai connu des situations très superposables au cas de Vincent Lambert où, finalement, un accompagnement régulier et récurrent des familles a permis d’aboutir avec elles à un certain consensus. On peut par exemple leur dire : "S’il y a une complication grave qui met la vie du patient en danger, quel est votre point de vue sur ce qu’il faut faire ? Est-ce qu’il faut le traiter ou le laisser ?" Je me souviens de parents dont le fils était dans une situation terrible. La mère était incapable de se prononcer. En revanche, je dialoguais avec le père, et je lui ai demandé ce qu'il souhaitait en cas de complication grave. Il m’a répondu : "Faites ce que vous pensez devoir faire." Il y a  eu une complication grave, le garçon est décédé et le père ne m’en a pas voulu.

J'ai mené aussi des médiations où j'ai fait face à des conflits entre les directions  d'établissements pour personnes âgées ou handicapées et les familles. Mais là, il s'agissait plutôt de désaccords autour des soins à donner. 

Comment se passe une médiation dans le milieu de la santé ?

Rappelons d'abord un principe fondamental : la médiation n’est pas un acte de pouvoir. Le médiateur ne décide pas, il facilite la construction d’un éventuel accord par les parties. Il n’est ni juge ni arbitre, ni même conciliateur. Son rôle consiste premièrement à aider les parties à reprendre le dialogue, et deuxièmement à trouver un accord plus ou moins complet, ou au moins un accord sur le désaccord. Le tout se passe de façon formelle : on définit un certain nombre de séances qui durent deux ou trois heures, pendant trois mois. Si l'on n'a pas réussi à terminer en trois mois, on renouvelle les entretiens pendant trois mois supplémentaires. Le secret est garanti.

A ces généralités, je voudrais ajouter quelques précisions. Premier point : les parties en présence sont les mieux placées pour trouver dans leur souffrance les clés d’un rapprochement. Deuxième point : la liberté est totale. Les parties viennent volontairement, après avoir signé une convention de médiation pour témoigner de leur volonté de trouver entre elles une solution. Mais elles peuvent partir quand elles le veulent sans aucune justification. Enfin, troisième point : la médiation n’empêche en rien un procès, une démarche judiciaire ou je ne sais quel autre moyen de résolution de conflit. 

Est-ce que cela pourrait suffire dans le cas de Vincent Lambert, où la famille est désormais totalement divisée ?

Dans le cas de Vincent Lambert, ma réflexion de médiateur m’amène à dire qu'on aurait dû essayer dès 2013 de voir quel était le nœud du problème pour essayer de rapprocher les points de vue. Je ne suis pas devin et c’est toujours difficile de reconstruire le futur antérieur, mais j’ai quelque raison de penser qu’on aurait pu à ce moment-là arriver à trouver des points d’accord plus facilement qu'aujourd'hui.

Je me demande même si à l’heure actuelle, des entretiens séparés avec, d’une part, la partie de la famille qui est pour l’arrêt des soins et, d’autre part, la partie de la famille qui y est opposée n'améliorerait pas les choses. La médiation est le moyen d’aller vers un peu plus de paix. Là, on est dans une spirale absolument épouvantable depuis cinq ans, malgré des quantités d’interventions judiciaires et médicales. Cet échec médico-judiciaire montre qu’il y a des situations où il vaut mieux résoudre le problème en fonction de critères individuels sur le terrain plutôt que de recourir à la loi. Comme disait Aristote, il y a des situations où la loi est dans sa généralité et ne peut pas répondre à une approche individuelle.

La médiation est-elle efficace en général ?

J'ai mené 28 médiations entre des directions d'établissement et des familles, qui se plaignaient des soins et avaient souvent entamé des démarches en vue d’un procès. Dans une majorité de cas, une solution concertée a été trouvée alors que le conflit durait parfois depuis un, deux voire trois ans. Beaucoup de familles ont dit que si elles avaient connu plus tôt cette possibilité d'échanger dans un cadre confidentiel et apaisé, elles n’en seraient pas là. Des postes de médiateurs existent déjà dans les grands hôpitaux, mais beaucoup d'entre eux ne sont pas suffisamment formés à la médiation.

Une des leçons de l'affaire Lambert, où une famille se déchire depuis des années, c'est celle-là : faites vos directives anticipées et désignez une personne de confiance. Tout est alors bien plus facile pour les médecins comme pour les familles elles-mêmes.

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