Euthanasie : "Il faut trouver une solution en France", affirme un médecin belge qui voit arriver des Français "au bout du bout"
Médecin généraliste à Bruxelles, il pratique l'euthanasie depuis 2008. Émotions, sérénité... Il offre un témoignage bouleversant.
Le docteur Yves de Locht, médecin généraliste à Bruxelles qui procède à l’euthanasie depuis 2008 de patients qui sont "au bout du bout", a assuré jeudi 8 avril sur franceinfo ressentir "une certaine sérénité" quand il donne ce qu’il appelle "le dernier soin".
Les députés français examinent jeudi une proposition de loi sur la fin de vie qui autoriserait l’euthanasie en France pour les personnes souffrant d'une pathologie incurable. Selon le médecin, "des Français font des centaines de kilomètres" pour effectuer des demandes d’euthanasie en Belgique. "Nous ne souhaitons vraiment plus voir ça. Il faut trouver une solution en France", dit-il.
franceinfo : Comment avez-vous pris la décision de procéder à des euthanasies ?
Yves de Locht : J'ai attendu qu'il y ait une loi. J'ai suivi une formation de soins de fin de vie à Bruxelles. Et puis, ma première euthanasie a été faite avec l'aide d'un autre médecin, c'était un prêtre d’ailleurs, pour tous ceux qui ont des objections. Ma première euthanasie s'est déroulée avec l'aide d'un autre médecin. J'avais très peur. Ce n'est pas un geste d'affaires facile à faire, mais j'ai commencé comme ça vers les années 2008.
Comment être certain que le patient ne va pas changer d'avis ?
Il y a plusieurs entretiens entre le patient et moi. On se revoit. S’il habite trop loin, on s'envoie des emails. La veille de l'euthanasie et le jour même, je lui demande encore s'il ne change pas d'avis. Ça ne m'est jamais arrivé parce que nous voyons arriver des patients dans des états épouvantables, qui n'en peuvent plus. Je fais parfois des consultations en ambulance devant mon cabinet et je n'ai jamais vu d'opposition de dernière minute. C'est parfois un peu plus compliqué avec les familles, mais j'aime les rencontrer, dialoguer avec elles. Elles comprennent mieux ce qui peut se passer. C'est le choix du patient. C'est la première condition de la loi belge. Une décision du patient.
Est-ce que cela vous est arrivé de dire non ?
Oui, tout à fait. Nous avons ce qu'on appelle la clause de conscience. Un médecin peut dire non. Si les conditions de la loi ne sont pas remplies, si ce sont des membres très proches, des amis, ma famille, je ne me sens pas capable, émotionnellement en tout cas, de faire une euthanasie. Nous avons la clause de conscience qui, je crois, existe aussi en France.
C’est un débat sensible. Certains médecins disent que leur rôle est d’aider à soigner pas à mourir. Vous entendez cet argument ?
J’entends tous les arguments et de toute façon, l’euthanasie est au libre choix du patient. C'est une loi qui n'oblige personne à se faire euthanasier. C'est le patient qui décide. On peut terminer sa vie de différentes façons. Je comprends très bien qu'il y ait des opposants à l’euthanasie. On peut choisir une autre forme de décès. Mais les patients qui arrivent chez nous sont au bout du bout, ont essayé tous les traitements possibles, ce que je vérifie avec eux.
"Ils n'en peuvent plus et je me sens incapable de dire à un patient, revenez l'année prochaine. Vous n'avez pas encore souffert. On verra comment la maladie a évolué."
Dr Yves de Locht, médecin généraliste à Bruxellesà franceinfo
Ce qui est en principe plus ou moins la loi Leonetti en France, qui dit que le patient doit être quasi mourant pour pouvoir bénéficier d'une sédation terminale.
Est-ce qu’on vous a déjà traité de meurtrier ?
On m'a traité de tous les noms. La dernière injure, si j'ose dire, et d'un haut gradé religieux qui a dit qu’en Belgique, on euthanasiait des enfants autistes.
Vous faites référence à l'archevêque de Paris, monseigneur Aupetit, qui sur France Inter, le 5 avril, s'est indigné qu'on puisse effectivement euthanasier des enfants autistes en Belgique. Que lui répondez- vous ?
Je réponds d'abord que c'est archi-faux. Évidemment, nous n’euthanasions jamais d'enfants autistes. Ils sont soignés et on fait tout ce qu'on peut. En 2020, il n'y a pas eu d’euthanasie d'enfants très gravement malades. En 2019, il y en a eu deux en Belgique. Ce sont des enfants très, très gravement malades. L'échéance de vie est très courte. Il faut plusieurs médecins qui donnent leur avis et les deux parents doivent être d'accord. Les conditions sont très, très strictes.
Est-ce que beaucoup de Français traversent la frontière pour venir vous voir ?
Oui, c'est ça qui est dramatique. Des Français font des centaines de kilomètres, viennent parfois du sud de la France en train, en voiture ou même en ambulance parce qu'ils ne sont plus capables de bouger. Je fais des consultations dans des ambulances et nous, les médecins belges, nous ne souhaitons vraiment plus voir ça. Il faut trouver une solution en France. Ces Français sont au bout du bout et je ne peux pas leur dire revenez l'année prochaine.
Comment vous vous protégez docteur ?
J'ai une femme et des enfants, donc je peux en parler chez moi. Je peux en parler avec des médecins. Je ne fais jamais une euthanasie tout seul. Je suis accompagné d'un professeur très compétent à Bruxelles, qui m'aide avec qui je parle. Quand j'ai terminé une euthanasie, il y a beaucoup d'émotions, mais une certaine sérénité parce que j'ai donné ce que j'appelle le dernier soin. Il y a une certaine sérénité parce que le patient part en souriant et me dit "vous m'avez rendu ma liberté". Vous auriez dû le faire beaucoup plus tôt. Il y a toute une série de remarques que j'entends à chaque fois, qui font que je pense ne pas trop me tromper.
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