"C'est fabuleux pour la démocratie" : deux membres de la convention citoyenne sur la fin de vie ont répondu à vos questions
Les citoyens parlent aux citoyens. Deux membres de la convention citoyenne sur la fin de vie ont participé, lundi 3 avril, durant une heure, à une séance de questions-réponses avec les lecteurs de franceinfo.fr. Au cours de cet échange, ils ont défendu les principales conclusions de leur rapport et réagi aux annonces d'Emmanuel Macron. Ils ont également témoigné de leur expérience au sein de cette assemblée éphémère, un "modèle démocratique et citoyen" qu'ils aimeraient voir "se développer et prospérer".
Comme c'était de mise au sein de la convention citoyenne, Soline et Jean-Noël ont tenu à se présenter avec leurs seuls prénoms. Agée de 32 ans, Soline habite à Bouloire (Sarthe) et travaille dans le milieu du handicap. Elle se dit personnellement "défavorable à une ouverture vers l'aide active à mourir et avant tout favorable au développement des soins palliatifs". Professeur d'histoire-géographie à Paris, Jean-Noël, 48 ans, est "favorable au suicide assisté sous conditions, ainsi qu'à une possibilité d'euthanasie pour certains cas particuliers".
@Lulu28 : Que pensez-vous des annonces de Macron ?
Soline : Je suis un peu mitigée. Je suis très heureuse d'avoir enfin un plan décennal, et non triennal, qui va vraiment avoir du poids, et avec lequel on peut espérer une vraie évolution des formations. J'aurais tout de même aimé un peu plus de temps avant l'écriture d'un projet de loi sur l'aide active à mourir, pour qu'il soit bien mûri et réfléchi.
Jean-Noël : Je suis satisfait. J'ai le sentiment que le président a bien suivi nos travaux, qu'il a bien réceptionné nos conclusions et que son engagement à proposer une évolution de loi pour la fin de l'été 2023 était sincère. Je pense qu'il va tenir compte de notre rendu. On a vraiment le sentiment que cette convention a été plus aboutie que la précédente sur le climat et le président s'est engagé à en conduire de nouvelles, toujours avec le Cese [Conseil économique, social et environnemental]. D'un point de vue démocratique, c'est fabuleux !
@N56 : Un ''plan décennal'' ! On ne peut, sur des sujets comme celui-là, être encore dans l'immobilisme !
Soline : Un plan décennal n'est pas un coup de pub. C'est une réflexion sur le long terme qui va permettre, je l'espère, un travail de fond sur toutes les propositions et les réflexions que nous avons eues. On ne peut pas réformer la formation des médecins en trois ans, mais en dix. On peut y croire.
Jean-Noël : La première chose pour moi était que la loi évolue pour répondre à des situations qui sont vécues de façon invivable et critique.
@Stéphane : Dans un Etat qui se dit laïque, personne n'a été choqué comme moi d'avoir la présence aux conventions de représentants des cultes ?
Jean-Noël : Etant athée et ouvert à une aide active assistée à mourir, j'ai au contraire apprécié de connaître la position des cultes lors d'une audition. Notre volonté était à la fois de représenter tous les Français et de réfléchir sur des questions éthiques sur lesquelles on ne peut faire l'économie d'aucun positionnement spirituel.
@Non sapiens : Peut-on savoir combien de membres de la convention sont allés passer du temps dans une unité de soins palliatifs ? Voir les choses change souvent les idées…
Soline : J'ai organisé des visites dans différents services de soins palliatifs en Ile-de-France pour au moins 40 conventionnels durant les week-ends de convention. De plus, le Cese nous a transmis des attestations nous permettant d'aller en région visiter les structures et rencontrer les professionnels. L'intérêt de ces rencontres était d'avoir un temps privilégié avec une équipe de soignants. Nous sommes à chaque fois restés tard dans la nuit pour les entendre et comprendre leur point de vue.
Jean-Noël : Au moins 70% des conventionnels ont visité des services de soins palliatifs (USP, équipe mobile...). Cela m'a beaucoup touché, à un moment où je n'avais pas encore de position. Cela m'a conduit à écouter encore plus les témoignages des personnes demandant l'aide active à mourir (AAM).
@Arno84 : Bonjour, médecin en soins palliatifs, en lisant le rapport, je me suis demandé comment une aide active à mourir pouvait se mettre en place en pratique. C'est-à-dire : où ? Par qui ? Comment ? Merci.
Jean-Noël : On a réfléchi aux conditions d'accès, aux possibilités d'accompagnement, mais nous ne pouvons pas nous substituer ni aux pouvoirs publics, qui la mettront en place si la loi évolue, ni aux unités de soins.
Soline : De mon côté, j'espère à la fois que, dans le cas d'une personne malade, il y ait un accompagnement en soins palliatifs avant une autorisation d'AAM, pour que tout ait été fait sur la question de la souffrance et de la solitude. Par contre, afin de préserver les soins palliatifs et les équipes, il me semble nécessaire que l'AAM soit proposée dans un service autre et bien dissocié des soins palliatifs, pour maintenir la confiance des patients envers les équipes.
@Marc : Voulez-vous dire que des personnes qui pratiqueraient l'AAM ne seraient pas dignes de confiance ?
Soline : Ce n'est pas ça que je voulais dire, veuillez m'en excuser. Actuellement, certaines personnes peuvent avoir une peur des soins palliatifs, car ils l'associent à l'idée qu'on va les forcer à mourir. Je veux simplement préserver ces services, qui sont des lieux d'accompagnement de la vie avant tout.
@Un jeune qui pense à l'avenir : Bonjour, cette aide à la fin de vie sera-t-elle uniquement conditionnée à des souffrances atroces ou une mort inévitable ? A titre personnel, mon souhait est de mettre fin à mes jours si je perds une part importante de mes facultés motrices ou intellectuelles (en cas d'accident ou de vieillesse). Cela sera-t-il possible ou devrai-je aller en Suisse, voire le faire moi-même ?
Jean-Noël : La majorité d'entre nous est en faveur d'une AAM sous conditions. Nous avons beaucoup réfléchi aux conditions pouvant ouvrir à celle-ci et nous pensons que la demande doit être uniquement celle des personnes concernées. D'autres conditions nous paraissent capitales, comme le discernement et les pathologies. Néanmoins, il n'y a pas eu de consensus sur l'ouverture pour les mineurs et les maladies psychiatriques et psychiques. On n'espère pas que vous ayez à solliciter une AAM, mais nous espérons que vous disposerez bientôt de ce droit.
@Samedi : Quoiqu'on en dise, il n’y a pas de services de soins palliatifs dans tous les établissements médicaux. Personnellement, si je n'ai pas peur de la mort, j'ai une peur viscérale de la souffrance dans sa globalité (physique, psychologique …). C'est la peur d'être contrainte à la douleur ou à la dépendance qui m'incite à avoir besoin d'un plan de sortie.
Soline : C'est en ça que le plan décennal annoncé est une vraie bonne nouvelle. J'espère que cela permettra un vrai développement des soins palliatifs et une vraie répartition sur tous les territoires. Vivant dans le rural, c'est une question à laquelle j'ai été particulièrement sensible.
@Euthanasie Les pavés qui mènent à l'enfer : Est-ce que les conventionnels ont étudié le cas du Canada ?
Jean-Noël : On a entendu des Québécois, mais également des Suisses, des Belges, des Néerlandais et une personne de l'Oregon [Etats-Unis]. Certains modèles nous ont plus parlé que d'autres. Au Canada, le suivi des dossiers [le contrôle des procédures] se fait post-mortem, ce qui nous paraît inacceptable. On a observé les choix des autres pays en matière de modalités (soit euthanasie, soit suicide assisté, soit les deux), leurs conditions d'accès... Il y a un point statistique qui a marqué beaucoup d'entre nous, c'est le pourcentage relativement stable de demandes dans tous ces pays.
@pseudo : Pour ce qui concerne le "droit à mourir dignement", ma mère avait décidé cela en son temps. Le simple fait de savoir que la Belgique accepte son souhait l'avait soulagée. Elle est décédée chez elle, soulagée d’avoir le droit à mourir dignement, sans finalement y avoir recours. A méditer. merci
Jean-Noël : Pour nous, le choix individuel est important. Les intervenants nous ont plusieurs fois expliqué que le fait de disposer de la possibilité d'accéder à l'AAM suffit à beaucoup d'être rassurés sans pour autant la solliciter. Dans l'Oregon, où seul le suicide assisté est autorisé, 30% des gens qui ont sollicité l'AAM ne vont pas acheter le produit, 30% l'achètent et ne l'utilisent pas, et seuls 40% vont jusqu'au bout.
@Isa : Bonjour. Le travail de la convention semble bien refléter la position des Français et ses nuances. Je m’inquiète cependant du côté très conservateur de nos élus, notamment au Sénat, qui bloquent sur ces sujets depuis des années et semblent toujours sur la ligne de s’en tenir aux soins palliatifs. J’espère qu’on permettra enfin aux Français de choisir leur fin de vie en cas de souffrance. Bravo à cette convention pour son travail.
Jean-Noël : On espère être entendus. Que ce soit les conventionnels qui sont contre, avec le développement des soins palliatifs, et ceux qui sont pour, avec une évolution concrète et claire de la loi. A mes yeux, la loi Claeys-Leonetti avait beaucoup de qualités, mais évitait le sujet principal, qui était de donner le droit à partir à ceux qui le souhaitaient et qui connaissaient des situations pathologiques où la mort semblait pour eux la seule issue.
@elisabeth : Pourquoi pas des conventions citoyennes sur des sujets économiques, comme la réforme des retraites ou le retour de l'ISF ?
Soline : Le principe d'une convention citoyenne est un exercice fort. Il donne les moyens à un groupe de citoyens de se former, s'informer et comprendre la complexité d'un sujet. Nous serions ravis d'être le début d'une longue liste (immigration par exemple).
Jean-Noël : Je suis arrivé assez dubitatif sur la possibilité de produire de l'intelligence collective dans un contexte de tirage au sort et je suis ressorti convaincu de la réussite de la convention. J'ai l'envie de voir ce modèle démocratique et citoyen se développer et prospérer.
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