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Témoignages "Ce n'est pas le métier qui m'a dégoûté, mais l'encadrement" : des étudiants infirmiers racontent pourquoi ils ont rendu leur blouse

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le taux d'abandon des élèves infirmiers en première année est de 10%, soit trois fois plus qu'il y a dix ans, selon un rapport de la Drees publié le 11 mai. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Alors que le métier en faisait rêver beaucoup, les étudiants en soins infirmiers sont de plus en plus nombreux à arrêter leur formation en cours de route, choqués ou désabusés par la réalité de la profession sur le terrain.

C'est l'illustration d'une désillusion. En France, la formation d'études en soins infirmiers est la deuxième plus demandée par les lycéens sur Parcoursup, avec 658 000 vœux en 2023. Mais une fois l'école intégrée (près de 35 500 admissions en 2021 dans plus de 300 établissements en France), le taux d'abandon des élèves infirmiers en première année est de 10%, soit trois fois plus qu'il y a dix ans, selon un rapport de la Drees publié le 11 mai. Sur l'ensemble de la scolarité de la promotion entrée en 2018, ce chiffre grimpe même à 14%.

Un désenchantement précoce qui s'explique, en grande partie, par des premiers pas difficiles dans le monde professionnel. Une enquête de la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi), publiée en mai 2022, affirme que 59,2% des étudiants ont déjà pensé à arrêter leur formation. La cause principale ? "Un souci en stage", pour 32% d'entre eux. Manque d'encadrement, humiliations, précarité financière, système de santé à bout de souffle... Franceinfo donne la parole à quatre étudiants qui ont abandonné leur rêve pour préserver leur santé mentale

Margot : "Des infirmières en fin de carrière se vengent sur nous"

Avant d'intégrer un Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) à Bordeaux, Margot pensait découvrir "un métier qui a du sens" et "contribuer modestement au bien-être des gens". "Je le pensais naïvement", admet-elle. Lors de son premier stage dans un Ehpad, l'étudiante s'est rapidement retrouvée coincée entre l'envie de faire bien et le besoin de faire vite.

"Si un résident me sollicitait pour aller aux toilettes, j'étais obligée de lui dire d'utiliser sa couche pour avoir le temps d'en doucher un autre."

Margot

à franceinfo

Si cette maltraitance "non voulue" et "institutionnelle" la heurte, elle souligne que son deuxième stage, en Ehpad également, a été "bien plus dramatique". "Ma tutrice de stage m'humiliait devant les résidents, les familles, les collègues... Un jour, alors que je pleurais dans les toilettes, elle m'a dit : 'De toute façon, tu es trop nulle, tu ne sers à rien'. J'en ai perdu des cheveux à cause du stress", relate la jeune femme. Elle a fait part de son expérience à son école, qui lui a simplement répondu : "Tu es là-bas pour apprendre".

Difficile, selon elle, de parler de souffrance au travail quand on est un jeune qui débute. "Certaines infirmières en fin de carrière partent du principe qu'on n'a pas assez enduré pour pouvoir se plaindre. D'une certaine manière, elles se vengent sur nous". Si d'autres stages se sont par la suite mieux déroulés, Margot a accumulé "trop de traumatismes". Elle a définitivement arrêté sa formation en soins infirmiers en 2019, après avoir redoublé sa deuxième année. Elle travaille désormais dans la maroquinerie.

François : "J'étais un salarié à un euro de l'heure qui faisait du mal aux résidents, c'était insoutenable"

Alors qu'il travaille dans le commerce, François souhaite "faire plus en aidant les gens". "Le soin ne m'a jamais fait peur en soi", explique le jeune homme, qui a intégré un Ifsi marseillais en 2021... avant de le quitter dès la première année. "Si j'avais eu un meilleur stage, peut-être que j'aurais été infirmier, avance le jeune homme. Ce n'est pas le métier qui m'a dégoûté, mais l'encadrement." Son premier et seul stage dans un Ehpad a été "catastrophique". "On m'a montré comment faire une toilette à la va-vite, puis on m'a dit de faire. J'avais l'impression d'embêter tout le monde en posant des questions, alors que je n'étais clairement pas prêt", juge François.

"Je n'ai rien appris entre le début et la fin du stage."

François

à franceinfo

Pour boucler ses fins de mois, François s'épuise le week-end en travaillant dans un restaurant, en plus de sa semaine à l'Ehpad. "Quand t'es payé 36 euros par semaine et que tu touches 400 euros de bourses par mois, ce n'est clairement pas assez pour vivre, dénonce-t-il. J'étais un salarié à un euro de l'heure qui faisait du mal aux résidents. C'était insoutenable." A l'école, on lui a dit de "serrer les dents".  Selon lui, "entre 20 et 30 étudiants" ont, comme lui, abandonné lors de la première année, sur une promo de 140 personnes.

Jeanne : "Augmenter le nombre de places va accentuer le mal-être"

"Elles manquent de temps et de moyens pour nous encadrer correctement. Une infirmière pour trois étudiants, ce n'est simplement pas possible", regrette Jeanne, qui a stoppé l'Ifsi en deuxième année après un stage dans un service gériatrie à l'hôpital. "Les titulaires nous rabaissaient beaucoup, en nous disant qu'ils doivent nous surveiller comme des enfants. Ils voulaient une main-d'œuvre plus que des jeunes à former", ajoute la jeune femme.

"Ce stage est encore proposé aux étudiants, alors que beaucoup s'en sont plaints. Selon l'Ifsi, il y a un manque de terrains de stage, donc ils ne peuvent pas se permettre de le retirer."

Jeanne

à franceinfo

Alors que la Première ministre a annoncé le 26 avril dernier la création de 2 000 places supplémentaires dans les Ifsi, Jeanne estime que les étudiants sont déjà trop nombreux sur les lieux de stage. "Cela va accentuer le mal-être, car les conditions de stage ne seront toujours pas réunies pour apprendre le métier, anticipe-t-elle. Il faut d'abord améliorer la qualité de la formation pour que les étudiants déjà en école n'abandonnent pas." 

Salomé : "Chaque geste de ma part était critiqué... Je suis partie au bout d'une semaine"

A l'aube de sa troisième année d'école d'infirmière, Salomé a eu le déclic. "Je savais que si j'allais jusqu'au diplôme, mon esprit et mon corps n'allaient pas suivre", raconte-t-elle, alors qu'elle a bifurqué sur une école d'ostéopathie. "Cela m'a permis de savoir ce que j'aimais et ce que je n'aimais pas dans le médical, ce que je recherche dans le soin. En tant qu'infirmière, j'avais l'impression de donner mes gants plus que mon temps. C'était du travail à la chaîne, trois minutes par personne, quand aujourd'hui, j'ai jusqu'à une heure", illustre Salomé.

En plus d'un manque d'"humanité" côté patient, elle dit avoir subi une ambiance malveillante dans certains services. "Chaque geste de ma part était critiqué, en face ou par derrière. Je suis partie au bout d'une semaine", se remémore-t-elle à propos d'un stage en maison d'accueil spécialisée. Mais elle l'admet : pour les soignants, "ce n'est pas facile d'encadrer".

"L'école ne leur explique pas comment nous former. On le voit dans nos bilans de stage, les infirmières ne savent pas comment le remplir."

Salomé

franceinfo

Aujourd'hui, elle ne regrette pas son choix de réorientation. L'ostéopathe dresse le bilan : "C'est quand même un très beau métier. J'ai fait de belles rencontres, vu des équipes soudées et des infirmières exceptionnelles. Mais je n'en ai pas vu assez pour que cela me donne envie de continuer".

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