Reportage Plus de 200 enseignants contractuels ont suivi une formation à Paris : "Ce n'est pas en une journée qu'on devient prof"
Pour prendre en charge des élèves, il faut d'abord apprendre à être prof. Avec ou sans concours. Devant le lycée Jacques-Decour à Paris, mercredi 30 août, il y a du monde au portillon. Des jeunes en sortie d'études et des personnes reconverties en quête d'un métier ayant du sens s'apprêtent notamment à suivre une journée de formation express, organisée par l'académie de Paris, pour devenir professeur des écoles contractuel.
Dans la capitale, où tous les postes sur concours ont été pourvus pour la rentrée, leur présence reste indispensable pour assurer le remplacement de leurs collègues titulaires. Pap Ndiaye affirmait que le ministère de l'Education nationale avait embauché l'année dernière sur le plan national, dans le premier comme dans le second degré, "environ 4 500 contractuels nouveaux pour un total général d'environ 35 000 contractuels".
"On n'a pas toujours confiance en toi"
Lundi, face à une vingtaine d'enfants, ces non-titulaires seront donc seuls. Gabrielle, 25 ans, "appréhende" surtout la relation avec les autres enseignants et les parents. "Quand t'es jeune et contractuel, on n'a pas toujours confiance en toi", anticipe la jeune femme. Elle espérait devenir prof par la voie traditionnelle : décrocher un poste lors du concours de recrutement après son master en métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation. Un échec cette année l'a poussée vers une voie plus précaire, "1 700 euros net par mois", malgré son bac+5 et des affectations au pied levé avant chaque rentrée.
Gabrielle s'estime néanmoins chanceuse, puisqu'elle a obtenu un poste à l'année dans une classe Ulis (unité localisée pour l'inclusion scolaire). Comme elle a déjà effectué des stages durant ses études, cette journée de formation va lui permettre de se remettre dans le bain de l'école. "Ce n'est pas en une journée que l'on devient prof", concède-t-elle par ailleurs.
Dans la chapelle que le lycée abrite, un orgue en arrière-plan et des vitraux incrustés dans les murs, Yannick Meleuc, inspecteur de l'Education nationale, entame son discours avec une question. "Est-ce que certains d'entre vous sont des 'néo-pec' [nouveaux professeurs des écoles contractuels] ?" Quelques mains timides se lèvent. Au total, ils sont 14 à vivre leur toute première rentrée d'enseignant. Les quelque 200 autres personnes présentes étaient déjà contractuelles l'année dernière et ont été renouvelées. Mais cette journée de formation reste obligatoire pour tous, qu'importent les expériences précédentes. Au programme : droits et devoirs de l'enseignant le matin, préparation de la classe en français et en maths l'après-midi.
"On apprend sur le tas"
Face à une dizaine d'enseignants contractuels, dans une petite salle au premier étage, Claire Bocher, conseillère pédagogique, se veut ferme. "Vous pouvez avoir une classe toute jolie et 'instagrammable' à souhait, si le fond n'y est pas, ça ne sert à rien", signale-t-elle à son auditoire. En l'espace de deux heures, les sujets s'enchaînent, de la décoration d'une classe à l'obligation de réserve pour un fonctionnaire, en passant par la laïcité et le harcèlement. S'ensuit une discussion sur la sécurité. "A la piscine, vous êtes le seul responsable de vos élèves", stipule Claire Bocher. Ce rappel n'est pas sans lien avec une récente actualité. Lors d'une sortie scolaire dans la piscine Georges-Hermant (Paris), une élève de CP s'est noyée en juin alors même que plusieurs maîtres-nageurs et enseignants étaient présents.
Durant le temps de pause, Xavier, 55 ans, admet qu'un "accident est vite arrivé". L'année passée, lors de sa première expérience de prof contractuel dans une classe de maternelle, "une petite fille s'est ouvert le crâne" en heurtant un coin de la bibliothèque. "J'ai appris à les suivre à la semelle", sourit l'ancien cadre financier dans l'industrie pharmaceutique.
La raison de sa reconversion ? "Donner du sens à mon travail. Quand je sortais des comptes de résultat, je ne me sentais pas utile", répond Xavier, tout en tirant sur sa vapoteuse. Il admet que son ancien travail lui donne l'avantage de "savoir parler en public". "Après, on apprend sur le tas. J'ai eu deux jours de formation l'année dernière. Il faudrait plus de mise en situation", juge le contractuel, qui aimerait plus de reconnaissance sur son statut.
"Beaucoup pensent que nous sommes des profs au rabais. Il y a des parents qui ont mis un an à accepter ma présence."
Xavier, 55 ans, professeur des écoles contractuelà franceinfo
De retour en classe, Claire Bocher et sa collègue Sandra Vaubien reviennent sur les inquiétudes de ces enseignants. "La plupart n'ont toujours pas d'affectation et cela les stresse énormément de ne pas pouvoir préparer la rentrée comme ils l'aimeraient", relève Sandra Vaubien. L'école sera-t-elle loin du domicile ? Ma classe sera-t-elle en maternelle ou en élémentaire ? Vais-je y rester une semaine, un mois ou un an ? Ces questions ne trouveront réponse, pour certains, qu'une fois la rentrée passée.
"Ils craignent aussi la relation avec les parents. Notre rôle, c'est de leur rappeler que l'institution les a validés", ajoute Claire Bocher. Celle qui forme et accompagne les profs depuis 2005 remarque aussi une confusion liée à la peur de ne pas suffisamment occuper les élèves dans une journée. "Il faut se concentrer sur ce que l'on veut leur transmettre, bien plus que ce que l'on veut leur faire faire", résume la conseillère pédagogique.
Une position d'autorité "difficile à trouver"
Au milieu de la cour de récré, Eric, 59 ans, est loin de se sentir en terre inconnue. "Je suis passé du privé au public sans douleur", s'amuse-t-il, ajoutant cumuler une trentaine d'années d'expérience en tant qu'enseignant, CPE, mais aussi adjoint de direction dans le second degré. En d'autres termes, "il faut arrêter de croire que l'on est absolument des débutants".
Même s'il a déjà été prof contractuel d'une classe de CE2 l'année dernière, cette journée de formation lui permet de revoir les bases du métier. "C'est important d'échanger nos réflexions sur la position à adopter face aux élèves. Elle peut être difficile à trouver au début", souligne Eric.
Dans une autre classe, l'après-midi est consacrée au programme de l'Education nationale et aux différentes ressources dont disposent les contractuels pour l'appliquer. Alors que certains assureront les cours pour des CP, niveau où l'on apprend à écrire, Céline Hargous et Céline Négelé, conseillères pédagogiques, recommandent d'appliquer "la méthode Dumont", pour donner les bases du geste de l'écriture aux enfants. "Et à quel moment on leur demande d'utiliser le stylo plutôt que le crayon à papier ?", interroge une contractuelle. Plusieurs réponses fusent. Verdict : uniquement pour écrire une leçon et dans le cadre des évaluations. "Vous vous sentez prêts pour la rentrée ?" Quelques rires nerveux se font entendre dans la salle. "On sait que c'est compliqué", compatit Céline Hargous.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.