Réforme du collège : à Paris, les profs de latin et d'allemand "ont peur" pour leur métier
Dans le cortège parisien, francetv info a interrogé les manifestants mobilisés contre la réforme soutenue par la ministre de l'Education. Témoignages.
Slogans en latin dans le dos, drapeaux allemands à la main... Quelques milliers d'enseignants – 3 500 selon la police, 10 000 selon les syndicats – sont descendus dans les rues de Paris, mardi 19 mai, pour protester contre la réforme du collège, dont la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a répété qu'elle "se fera" malgré la contestation.
Un gros quart des professeurs des collèges publics (27,61%) ont répondu à l'appel d'une intersyndicale de sept organisations, selon le ministère de l'Education, alors que le Snes, principal syndicat du secondaire, a revendiqué "plus de 50%" de grévistes. A Paris, le défilé, parti des abords du jardin du Luxembourg, a rejoint la rue de Grenelle, où se situe le ministère de l'Education. Dans le cortège, de nombreux profs de latin et d'allemand étaient présents. Francetv info a recueilli leurs témoignages.
"Je ne suis pas 'un vieux croulant' latiniste"
Caroline, professeure de latin dans un collège de Marne-la-Vallée.
"Dans mon établissement, on a 20% d'élèves qui font du latin, et j'enseigne dans un collège plutôt défavorisé. J'ai une classe par niveau, ce qui représente une vingtaine d'élèves à chaque fois. Ces cours sont ouverts à tout le monde, ce n'est pas du tout élitiste. Je n'ai pas que des bons élèves. Mais ils sont motivés !
Mes élèves viennent parce qu'ils adorent la mythologie, ou parce qu'ils se disent que ça les aidera en français. Contrairement à ce que laisse entendre la ministre, je ne suis pas un 'vieux croulant'. J'ai 32 ans, et on ne s'ennuie pas dans mes cours. On fait des recettes antiques dans les cuisines de l'établissement, on fête les Saturnales, on se déguise..."
"Je ne compte pas balayer la cour"
Patricia, professeure d'allemand au collège Charlemagne, à Paris.
"Je suis farouchement opposée à la suppression des classes bilangues, européennes, et de la LV1 allemand dès la 6e. Toutes ces suppressions vont mener à la mort de l'allemand, car cette langue n'est pratiquement pas enseignée en primaire. Ce sera un choix qui n'existera plus. Tout cela est préjudiciable pour nous et pour les élèves.
J'enseigne la LV1 allemand pure et, actuellement, j'ai dix-neuf heures de cours. Avec cette réforme, je tomberais à sept heures et demie. Je me demande ce qu'on va me faire faire le reste du temps. Si on me propose des heures en centre de documentation et d'information (CDI), c'est non. Et je ne compte pas balayer la cour ! Pour moi, il y a rupture du traité de l'Elysée de 1963, qui scelle l'amitié franco-allemande. Pour être ami, il faut se connaître, accéder à la culture de l'autre. Et, pour ça, la première chose à faire est de parler la langue de l'autre !"
"On s'attaque à notre culture"
Anaïs, professeure de lettres classiques au collège Sonia-Delaunay, à Paris.
"Ce qui nous fait peur, c'est la mort du latin au collège. Mais, ce qui me dérange, c'est l'image que l'on donne du latin dans les médias et dans la bouche de la ministre. Selon elle, il y a un entre-soi culturel, un élitisme... J'enseigne en ZEP et, dans mon collège, ce n'est franchement pas le cas.
J'ai tous les niveaux sociaux et on ne sélectionne pas les élèves. On prend ceux qui veulent venir. En réduisant le nombre d'heures de cours, on s'attaque à ma profession, mais aussi à notre culture. On est tout de même une langue latine ! Nos mots viennent à 85% du latin et du grec. Pour moi, c'est absurde de ne pas le voir."
"On a besoin de jeunes qui parlent bien l'allemand"
Cécile, professeure d'allemand au collège-lycée des Francs-Bourgeois, à Paris.
"Je suis une professeure convaincue que l'allemand, tel qu'il existe dans les classes bilangues, est un excellent système. Je le sais, car je l'ai lancé dans mon collège. Et je vois bien que les terminales qui ont suivi ce cursus ont un niveau bien meilleur que les vrais 'seconde langue'.
Faire de l'allemand, c'est une option pour l'avenir, car l'Allemagne est un partenaire économique puissant. On a énormément besoin de jeunes qui parlent bien cette langue."
"Je ne vois que la précarisation de mon poste"
Anne-Sophie, professeure d'allemand dans une classe bilangue d'un collège du Val-de-Marne.
"On va mourir en LV1. L'allemand ne sera enseigné qu'en LV2. Et encore, pour un débutant, deux heures et demie de langue par semaine de la 5e à la 3e, c'est trop peu. Avec quel bagage va-t-on les lancer sur le marché du travail ? Déjà qu'on n'est pas des flèches en langues... Nous, en allemand, on est un 'plus'. Sans ce 'plus', on ne baisse pas forcément un niveau, mais on restreint une scolarité. Pourquoi fermer des portes à ces gamins ?
Cette réforme est une déception. Je ne suis pas systématiquement contre, mais elle se fait aux dépens de mon poste et du choix des enfants. L'annonce de la suppression des classes bilangues a caché tout le reste. Je ne vois que la précarisation de mon poste. On devra avoir plusieurs établissements pour faire nos heures. Et je m'interroge : comment m'investir dans les "enseignements pratiques interdisciplinaires" que l'on va me demander alors qu'on supprime mon poste ?"
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