Réforme de l'admission à Sciences Po : "Il faut sortir du système de reproduction social des élites"
François Dubet, sociologue, réagit sur franceinfo à la suppression des épreuves écrites pour entrer à Sciences Po Paris.
Il n'y aura plus d'épreuves écrites pour entrer à Sciences Po Paris à compter de la rentrée 2021. La nouvelle procédure d'admission se fera en quatre étapes. Tous les candidats seront jugés sur le contrôle continu au lycée et la moyenne de leurs épreuves écrites au baccalauréat. Ils devront aussi rendre un essai écrit sur leur motivation et auront un entretien oral pour les admissibles.
François Dubet, sociologue, professeur de sociologie émérite à l'université de Bordeaux II, a estimé mardi 25 juin sur franceinfo qu'il y avait une "prise de conscience d'une sorte de fermeture des élites".
franceinfo : La grande nouveauté, c'est donc que les épreuves écrites n'auront plus lieu. Ce sont ces épreuves qui sont les plus discriminantes socialement ?
François Dubet : Non, toutes les épreuves sont discriminantes. On a même observé que les privilèges sociaux jouaient en mathématiques, qui sont a priori neutres sur le plan culturel. Donc toutes les épreuves jouent. Mais ce qui est intéressant là-dedans, et on ne peut pas le reprocher à Sciences Po, c'est de dire : "On va mettre des quotas de boursiers, on va aller chercher les meilleurs élèves là où ils ne se destinent pas à Sciences Po, pour démocratiser." C'est la même question qui se pose actuellement à l'ENA, qui se posera dans toutes les grandes écoles. Donc il y a quand même l'idée maintenant acceptée que la France est un pays dans lequel les élites se reproduisent de manière extrêmement rigide et qu'il faut sortir de ça.
Sciences Po avait commencé il y a une dizaine d'années cette politique d'ouverture. C'est pour cela qu'ils peuvent aller plus loin ?
Oui, d'ailleurs, quand ils l'avaient fait, il y a eu beaucoup de protestations. Il y aura aussi des protestations pour défendre l'écrit et son objectivité. Mais je crois qu'il y a la prise de conscience d'une sorte de fermeture des élites. Mais je ne crois pas que cela va changer très fondamentalement le système des inégalités scolaires, parce que les très grandes inégalités scolaires ne sont pas seulement dans l'élite. Elles se jouent beaucoup plus tôt mais elles se jouent aussi beaucoup dans l'enseignement professionnel, beaucoup dans les filières sélectives qui sont partout dans les universités. Et donc là, il y a quelque chose d'un peu français, c'est de penser que tout se joue sur les élites et sur l'idée qui est sympathique mais pas forcément fondée que si les élites sont recrutées différemment, elles seront des élites différentes des autres, ce qui n'est pas garanti du tout.
L'idée de quotas, même si Sciences Po n'emploie pas le terme, n'est pas très française ?
Cela n'est franchement pas dans la culture française. Si on regarde les États-Unis, pendant une certaine période, les quotas ont quand même permis de créer une sorte d'élite qui venait des minorités qui n'accédaient pas aux meilleures universités. Donc on ne peut pas traiter ça complètement à la légère. Mais il est évident que si on laisse jouer le jeu scolaire naturel, tel qu'il se joue aujourd'hui, la plupart des enfants de catégories modestes, voire de catégories défavorisées, ne verront jamais les grandes écoles. Mais on raisonne sur quelques centaines d'élèves. Comme si la France jouait son destin là-dessus. Il faudra peut-être réfléchir plus sérieusement au statut de l'enseignement professionnel, aux formations qualifiantes courtes, et ça c'est peut-être plus difficile à faire.
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