Toutes les formations publiques de France ont dû rendre leur classement sur Parcoursup, le 18 mai. Derrière ces choix, des enseignants-chercheurs. Et certains, interrogés par franceinfo, ne se privent pas pour critiquer la méthode, notamment Florent Tétard, responsable d'un DUT à l'université Paris 13, ou Gabriella Marongiu, professeure d'anglais en langues étrangères appliquées (LEA) à l'université de Lille. Laurence Le Douarin, qui enseigne la sociologie à Lille, a même refusé de l'appliquer.Une multitude de critiquesTous sont d'accord sur les critiques à adresser au nouveau système d'admission. D'après eux, les enseignants ont manqué de temps pour réaliser ce classement. Florent Tétard s'occupe des commissions d'étude de dossiers depuis quatre ans, dans son DUT, une formation sélective. "Cette année, on a dû faire les entretiens pendant les vacances. Sinon, ce n'était pas possible de boucler." Il compare les deux procédures : "L'an dernier, on avait les dossiers dès le 11 mars. Là, on a dû attendre le 31." Étudier tous les dossiers à la main, ça demanderait de siéger en commission pendant dix ans.Gabriella Marongiuà franceinfoSon témoignage concorde avec celui de Gabriella Marongiu, professeure à Lille. Cette ancienne élue du Front de gauche en est convaincue : "Il est impossible humainement de traiter le nombre de données que l’on reçoit." Dans son département, deux professeurs d'informatique ont créé un programme adapté aux critères choisis : les notes en langues vivantes, maths, histoire-géo, sciences économiques et français. Sa commission a examiné tous les dossiers avec ce logiciel, "environ 3 000 au total", en leur attribuant une note sur vingt.Seule une centaine de cas a posé problème. Il s'agissait des dossiers trop similaires pour être ordonnés. Après avoir étudié les lettres de motivation et les "fiches avenir", des outils censés aider à comprendre le projet professionnel de l'élève, toujours impossible de les départager. "C'est finalement l'option du tirage au sort qui a été retenue." Pourtant, le choix aléatoire, l'une des principales critiques du système APB, devait être éliminé avec la nouvelle réforme.Des critères impossibles à utiliserCes dysfonctionnements, Laurence Le Douarin les avait "anticipés" : "Comment voulez-vous que dans les temps impartis, on puisse examiner finement et qualitativement les dossiers ?" Les commissions d'examen des vœux se reposent en majorité sur les notes. Les autres critères proposés sont le "projet de formation", soit l'équivalent d'une lettre de motivation, et les "fiches avenir". Ces fiches devaient être remplies par les professeurs des lycéens. Ils y inscrivaient des commentaires et des notes sur la cohérence du projet professionnel pour aider à faire la sélection. Un exercice plus ou moins bien réalisé selon les établissements. "On a constaté très rapidement que beaucoup d’enseignants n’ont pas joué le jeu parce qu'ils ne voulaient pas casser les étudiants", relate Florent Tétard. Certains ont même "boycotté" les fiches. Résultat : impossible d'en faire un critère fiable pour choisir les futurs étudiants.Comment voulez-vous que les enseignants connaissent 13 600 formations et leurs spécificités ? C’est impossible.Florent Tétardà franceinfoMême combat pour les lettres de motivation. Gabriella Marongiu explique pourquoi elles n'ont pas été prises en considération pour sa filière : "15% des lettres de motivation que nous avions reçues étaient des copies presque pures et simples des trois premiers modèles de lettres de motivation pour Parcoursup proposés par Google." Ce chiffre a été établi à l'aide du logiciel créé par le président et le vice-président de sa commission. Pour Laurence Le Douarin, c'est "évident" : "Quel élève va être sincère dans une lettre de motivation ? Ils n'ont plus la possibilité d'ordonner leurs vœux. Personne ne va écrire 'je préfère une autre formation que la vôtre'."Mais sa critique de Parcoursup va plus loin que les erreurs techniques. Selon elle, la réforme du système "pose de vraies questions philosophiques, éthiques et morales et remet en cause plus de 40 ans de politique éducative". Elle se place en désaccord avec la sélection à l'université, qui perpétuerait "un système méritocratique". Celui-ci permettrait aux inégalités de se maintenir, offrant aux seuls meilleurs élèves la possibilité de choisir leur formation.