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"Trop de travail", "désemparés" : des enseignants, élèves et conseillers d'orientation racontent leurs difficultés avec Parcoursup

Quelque 436 000 élèves ont reçu au moins un "oui", dès les premiers résultats tombés le 22 mai. Mais la grogne contre la plateforme d'orientation ne faiblit pas. 

Article rédigé par franceinfo - Inès El Kaladi
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Temps de lecture : 8min
Désormais, les angoisses du bac commencent au printemps, avec Parcoursup...  (JULIO PELAEZ / MAXPPP)

Fin du suspense ? Pas pour tout le monde. Depuis mardi 22 mai, les lycéens ont reçu les premières réponses à leurs vœux d'orientation pour l'enseignement supérieur, via la plateforme Parcoursup. Sur les 810 000 élèves inscrits, 436 000 avaient reçu au moins un "oui" mardi soir d'après les chiffres du gouvernement. "En une soirée, 63 000 candidats ont 'accepté' une proposition d’admission" se félicitait, mercredi 23 mai, un communiqué de presse du ministère de l'Enseignement supérieur. Mais les futurs étudiants sont encore nombreux à ne pas savoir ce qu'ils feront l'an prochain. Elèves, professeurs et conseillers d'orientation s'apprêtent à vivre quelques semaines encore difficiles, car le processus s'étire jusqu'au 5 septembre.

Des élèves "stressés" et "découragés"

Quand elle a reçu les premiers résultats, Romaïssa s'est fait une grosse frayeur : elle a essuyé trois refus fermes. Cette élève de terminale au lycée Voltaire, dans le 11e arrondissement de Paris s'en doutait un peu. "Il s'agissait d'écoles sélectives", s'explique-t-elle après coup. Ses sept autres vœux d'orientation sont "en attente". Alors la jeune fille, en liste d'attente pour une licence d'histoire, se rassure : "Je suis classée 200 sur 600, je pense vraiment que je peux l'avoir." "L'histoire, ça m'intéresse vraiment, donc je n'irai pas par dépit, explique-t-elle. Son premier vœu, une licence de droit à la Sorbonne, lui semble en revanche inaccessible. Dans cette filière en tension, "je suis remontée sur la liste mais je suis tellement loin que je sais que je ne l'aurai pas", déplore-t-elle. 

Les lycéens rencontrés par franceinfo témoignent du stress provoqué par cette dernière année de lycée. "Ç'a été très compliqué, nos profs ont appris sur le tas comment fonctionnait Parcoursup, se souvient Tess, 17 ans, soulagée mais pas complètement satisfaite après avoir été acceptée pour un seul de ses vœux. Au moins, j'ai un 'oui', ce n'est pas le cas de tout le monde."  

Et les tensions ne sont pas près de s'apaiser à l'approche du bac, d'autant que certaines épreuves avaient déjà lieu la semaine du 22 mai. Romaïssa se dit presque "découragée". "Bien sûr que je vais travailler pour le bac, mais ça ne motive pas de préparer des épreuves sans savoir ce qu'on va faire l'année d'après." Les mises à jour quotidiennes de Parcoursup ne la réjouissent pas non plus. "Je vais devoir vérifier sur mon téléphone tous les jours" l'évolution de ses classements et de ses demandes, les attributions Parcoursup s'étalant jusqu'au 5 septembre. 

Une charge de travail supplémentaire pour les enseignants

Ce stress est partagé par leurs professeurs interrogés par franceinfo. Les fins d'année scolaire sont rarement tranquilles : le programme doit être bouclé avant les examens, des révisions sont organisées par certains. Mais cette année est particulièrement chargée parce qu'il faut également assurer le suivi des attributions Parcoursup. "Il a fallu construire des projets avec les élèves : ça me tenait à cœur qu'ils aient des vœux réalistes, ainsi qu'un vœu parachute – c'est-à-dire dans une filière qui n'est pas en tension, décrit Héloïse Vian, professeure d'espagnol dans le Val-d'Oise. Mais il fallait aussi les aider à dépasser l'autocensure."

Les professeurs principaux ont utilisé leur temps de travail pour accompagner les élèves, mais cet accompagnement a parfois débordé sur leur vie personnelle. Marion Lajous est professeure de SES au lycée Thibaut de Champagne à Provins (Seine-et-Marne) et elle a passé une partie de l'année scolaire à corriger des lettres motivations demandées aux lycéens pour postuler.  "J'ai dit à mes élèves de ne pas dépenser un centime pour qu'une boîte privée le fasse pour eux", explique-t-elle. Même chose pour Héloïse Vian : "Certains de mes élèves sont arrivés en France il y a moins de trois ans, leurs parents ne sont pas francophones, donc il a fallu les aider pour rédiger ces fameuses lettres."

J'ai déjà prévenu ma direction que je ne serai pas prof principale l'an prochain. C'est trop de travail supplémentaire.

Marion Lajous, professeure de SES

à franceinfo

Un investissement que les élèves interrogés trouvent salvateur tout en remarquant qu'il n'est pas normal. "Je sais que j'ai eu de la chance parce que mes professeurs étaient très engagés. J'ai bien vu que dans d'autres classes ce n'était pas le cas", déplore Inès, en terminale S du lycée Alain, au Vésinet (Yvelines). "D'ailleurs, il a fallu que j'explique certaines choses à des amis parce que leurs profs ne l'avaient pas fait."

Depuis les attributions, dans la soirée du 22 mai, certains professeurs ont déjà commencé à faire les comptes : si le gouvernement met en avant le fait qu'un lycéen sur deux a reçu au moins un "oui", les chiffres cachent d'autres réalités. D'abord, ces statistiques varient grandement d'un établissement à l'autre, voire entre les classes d'un même établissement. "A Voltaire, un tiers des élèves seulement a reçu au moins un oui", affirme Marianne Cabaret, professeure d'histoire-géographie. Les autres sont en attente, certains – moins nombreux – ont uniquement reçu des "non". Ensuite, des enseignants rappellent qu'il reste à ce jour, près de 400 000 lycéens actuellement sans attribution. C'est, d'après eux, un chiffre plus élevé que l'an dernier avec la plateforme APB.

Des conseillers d'orientation impuissants

Il existe bien des personnes dont le travail est d'aider et de guider les élèves : les conseillers d'orientation. Seulement, la réforme du lycée et l'instauration de Parcoursup leur complique la tâche : le nombre de Centre d'information et d'orientation (CIO), service public d'orientation, est en constante baisse. D'autre part, la manière d'accompagner les élèves a été repensée : "Sous prétexte que les profs connaissent mieux les élèves, ça serait à eux de gérer l'orientation, s'indigne Nathalie Sutour, conseillère d'orientation en Seine-Saint-Denis. D'abord, il faut rappeler que nos collègues n'ont pas des journées qui durent 48 heures, ils ont déjà un emploi. D'autre part, il existe des milliers de formation, les profs ne peuvent pas toutes les connaître !"

Lors de la manifestation de la fonction publique le 22 mai, les conseillers étaient présents pour défendre les CIO menacés de disparition. "Je suis en grève aujourd'hui, mais je travaille quand même : j'ai passé du temps avec des collègues enseignants, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils vont dire à leurs élèves, ni comment les aider à arbitrer entre différents choix", témoigne Nathalie Sutour. Elle n'est pas plus rassurée depuis la publication des résultats. "Au début, je n'ai pas été submergée de mails, avoue-t-elle. Mais j'ai l'impression que c'est parce que les gens sont tellement désemparés qu'ils ne savent plus vers qui se tourner pour demander de l'aide." Quelques jours après les premières attributions Parcoursup, les mails commencent à arriver, les élèves qui contactent Nathalie Sutour sont perplexes et anxieux : "Ce n'est pas simple, à quelques jours des épreuves du bac, ils doivent à nouveau réfléchir à leur projet."

Parcoursup est simplement un outil au service d'une volonté politique. [...] Une politique qui va rendre plus compliqué l'accès à l'université, notamment pour les élèves les plus fragiles.

Nathalie Sutour, conseillère d'orientation

à franceinfo

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