"Moins de grèves", "meilleures chances", "éducation à l'ancienne"... Des parents expliquent pourquoi ils ont choisi l'enseignement privé pour leurs enfants
Un cas d'école pour le nouveau gouvernement. Tout juste nommée ministre de l'Education nationale, Amélie Oudéa-Castéra est au cœur d'une polémique liée à l'inscription de ses enfants à l'école Stanislas, un établissement privé catholique parisien, par ailleurs visé par une enquête administrative, notamment pour des soupçons d'homophobie. Pour justifier son choix, la ministre a d'abord évoqué "des paquets d'heures pas sérieusement remplacées" lors des six mois passés par son ainé dans une école publique. Une version rapidement mise à mal. Invitée de France 2, mercredi 17 janvier, la ministre a reconnu que "les états statistiques du rectorat" et "la parole" de l'ex-institutrice de son fils, qui se défendait de toute absence, lui "donnaient tort".
Cette controverse a braqué les projecteurs sur une pratique loin d'être anecdotique : en 2022, en France, plus de deux millions d'élèves, soit 17,6% des enfants scolarisés, étaient accueillis dans quelque 7 500 établissements privés sous contrat, selon un rapport de la Cour des comptes. Une tendance en légère hausse ces dernières années, puisque la proportion d'élèves scolarisés dans le privé n'était que de 16,6% en 2011, relève l'institution. Mais pourquoi l'enseignement privé séduit-il de si nombreux parents ?
Les postes vacants et les remplaçants contractuels comme repoussoirs
"Parmi leurs motivations, on voit effectivement monter le manque de remplaçants dans le public" , confirme à franceinfo Marie Duru-Bellat, sociologue spécialiste des questions d'éducation. A ses yeux, au-delà de la polémique, Amélie Oudéa-Castéra a soulevé "un vrai problème". "On a l'impression que l'école publique est en naufrage", pointe Justine, fonctionnaire, pour justifier l'inscription de sa fille de 3 ans dans une école privée de Villeurbanne (Rhône). "Les enseignants sont épuisés et peut-être moins investis qu'avant, ou alors leurs conditions de travail sont plus difficiles, donc ça crée des absences", estime-t-elle. "Le privé est beaucoup moins touché par les grèves des profs, du personnel de cantine et de garderie", ajoute Anne-Sophie, mère de trois enfants, dont un dans le privé. "Même si on peut comprendre leurs motivations, quand on est un parent qui travaille, au bout d'un moment, ça use."
"L'enseignement privé est utilisé de manière stratégique par les parents, quand ils rencontrent des difficultés dans le public."
Marie Duru-Bellat, sociologueà franceinfo
"Il existe plus de postes vacants dans le public que dans le privé, car les conditions de travail y sont plus difficiles", explique Pierre Merle, sociologue spécialiste des questions scolaires et des politiques éducatives. "Quand vous passez le concours pour devenir enseignant, vous êtes à peu près sûr de vous retrouver dans un établissement d'éducation prioritaire, avec des élèves en difficulté, loin de chez vous", expose ce professeur émérite à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation de Bretagne. Or "plus les conditions de travail des enseignants sont difficiles, plus il y a d'arrêts maladie", souligne-t-il. A l'inverse, "dans le privé, vous avez des élèves d'un meilleur niveau et une affectation souvent plus proche de votre lieu de vie".
Pour tenter de remédier à la pénurie d'enseignants, criante à chaque rentrée scolaire, le ministère de l'Education nationale a largement recours à l'emploi de contractuels, mais cette solution agit comme un repoussoir pour nombre de parents interrogés : "Pour répondre à une crise de vocation, on ouvre des postes à des personnes qui n'ont jamais fait les études pour, c'est n'importe quoi", s'indigne Anne-Sophie.
Une image d'excellence entretenue par le tri des élèves
Les familles adoptent également des "stratégies d'évitement" de certains établissements dont ils jugent le niveau insuffisant pour leurs enfants, note la sociologue Marie Duru-Bellat. Laurie-Anne et son mari ont ainsi choisi d'inscrire leurs deux enfants, âgés de 8 et 13 ans, dans le privé lorsqu'ils ont quitté Pau (Pyrénées-Atlantiques) pour Versailles (Yvelines). "Le collège de rattachement avait un niveau scolaire faible et une attitude générale des élèves pas satisfaisante", justifie la mère de famille, qui envisage ensuite un retour de ses enfants dans un lycée public.
Le recours au privé est alors perçu par les parents comme un investissement pour l'avenir scolaire et professionnel de leurs enfants. "Je ne cherche pas à ce qu'ils fassent Polytechnique, je veux juste qu'ils aient les bonnes bases, pour leur donner toutes leurs chances", témoigne ainsi Sandra, mère de trois enfants à Bois-d'Arcy (Yvelines).
"On voulait leur donner les meilleures chances, qu'ils puissent prendre de bonnes habitudes de travail."
Laurie-Anne, mère de deux enfants scolarisés dans le privéà franceinfo
"Les résultats scolaires de l'enseignement privé sous contrat apparaissent, dans l'ensemble, plus favorables que ceux de l'enseignement public", confirme la Cour des comptes dans son rapport. Mais cette réussite est majoritairement liée à "l'origine sociale des élèves, plus favorable dans les établissements privés" , celle-ci étant "fortement corrélée" avec les résultats scolaires. Si on occulte ce facteur, la performance des établissements "est relativement proche dans le public et dans le privé sous contrat", note la Cour des comptes.
"C'est plus facile d'avoir de bons résultats quand on sélectionne de bons élèves", résume Pierre Merle. A la différence des établissements publics, qui ont l'obligation d'accueillir tous les enfants de leur secteur géographique, ceux du privé peuvent en effet choisir lesquels ils acceptent. Ce tri à l'inscription se poursuit tout au long de la scolarité, "les élèves au niveau un peu faible étant parfois acceptés en terminale sous réserve de passer le bac en candidat libre", pour ne pas faire baisser les résultats de leur établissement, précise le sociologue.
Cette image d'excellence mise en avant par le privé convainc certains parents d'y inscrire leurs enfants dès la maternelle, comme Justine ou Sandra. Une pratique encouragée par la loi Blanquer, qui a rendu l'instruction obligatoire dès 3 ans depuis 2019, et permis à l'enseignement privé de prétendre à l'aide financière des communes dès cet âge, et non plus seulement à partir de 6 ans, rappelait Libération dès l'annonce de cette réforme en 2018. Des écoles privées qui n'offraient jusque-là pas d'enseignement en maternelle, faute de rentabilité, ont ainsi pu se lancer et attirer les familles dès les premiers pas à l'école de leurs enfants.
De l'entre-soi et la promesse de "bonnes fréquentations"
Outre une présence accrue des enseignants et un bon niveau scolaire, les familles qui ont recours au privé viennent aussi y chercher un entre-soi, note Marie Duru-Bellat : "Les parents veulent que leurs enfants aient de bonnes fréquentations. Dans l'enseignement privé, ils viennent chercher son public, qui est un public qui leur ressemble." Alexandra, dont la fille est scolarisée dans une école privée à Versailles, reconnaît qu'elle et son mari ont "l'impression d'être un peu plus entre nous" qu'à l'école publique, et de côtoyer "des parents qui ont une éducation semblable à la nôtre".
Cette homogénéité se traduit aussi dans l'enseignement dispensé. L'école privée où Sarah a inscrit sa fille aînée, à Lyon, est un établissement catholique (comme l'immense majorité du secteur privé sous contrat), avec lequel elle estime partager "les mêmes valeurs". De son côté, Sandra se réjouit que les enseignants de ses enfants pratiquent "une éducation à l'ancienne, avec de vrais livres et pas des tablettes". De nombreux parents interrogés ont d'ailleurs eux-mêmes passé au moins une partie de leur scolarité dans le privé.
"On vient de deux familles assez catholiques. Pour nous, c'était hyper important que nos enfants puissent grandir dans une école où on les ouvre à la foi."
Sarah, mère d'une fille scolarisée en école privéeà franceinfo
Pour d'autres parents, notamment dans l'ouest de la France où les écoles privées sont historiquement très nombreuses, le départ du public est parfois simplement une question de praticité. "La distance entre chez nous et l'école était la même pour le public et le privé, mais l'école privée était à côté d'un arrêt de tram, et en direction du travail de mon mari", souligne Maud, dont la plus jeune fille, âgée de 13 ans, est scolarisée dans un collège privé nantais. "Les écoles privées de ma commune ne faisaient pas cours le mercredi matin : c'était plus simple pour moi de trouver une solution de garde toute la journée que de devoir courir à midi pour aller chercher ma fille", argumente Stéphanie, qui habite Guyancourt (Yvelines).
L'école privée reste cependant un privilège économique – même si de nombreux établissements échelonnent leurs frais de scolarité en fonction des revenus des parents – et géographique. "A Paris et dans l'Ouest, l'offre est très dense. Mais en province, les familles n'ont pas toujours le choix", souligne Marie Duru-Bellat.
Entre public et privé, certains parents restent néanmoins tiraillés. "Je suis convaincue de l'importance du service public, mon travail m'amenant à exercer dans des collectivités territoriales", avance Jessica, coordinatrice d'actions culturelles, dont la fille est scolarisée dans une école privée à Meudon (Hauts-de-Seine). "Mais je ne peux pas mettre en péril son éducation scolaire, sous prétexte que les moyens ne sont pas à la hauteur de ce qu'on en attend dans le public." Et de reconnaître : "Ceci dit, c'est sûr que si tout le monde met ses enfants dans le privé, c'est la fin de l'école publique..."
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