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"Je vais porter plainte !" : les parents d'élèves menacent-ils de plus en plus les enseignants ?

Après le suicide, le 15 mars, d'un professeur de CP, accusé de violences par une mère d'élève, des enseignants affirment dans une pétition que les plaintes des parents à leur encontre sont en augmentation.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Environ 1 000 personnes ont participé, le 31 mars 2019, à Eaubonne (Val-d'Oise), à la marche blanche en hommage à Jean Willot, l'enseignant qui s'est donné la mort le 15 mars. (MAXPPP)

"Justice pour Jean Willot" : c'est le nom d'une pétition en ligne créée à la suite du suicide de cet enseignant de l'école élémentaire Flammarion à Eaubonne (Val-d'Oise), survenu le 15 mars. Elle avait recueilli plus de 11 000 signatures, mercredi 3 avril à 15 heures, une semaine après son lancement. Le texte est adressé à Nicole Belloubet et Jean-Michel Blanquer, respectivement ministres de la Justice et de l'Education nationale, pour réclamer l'ouverture d'un procès pénal afin "d'établir la vérité (...) dans tout le déroulement des faits qui ont abouti au suicide par pendaison de Jean Willot", ainsi que "l'ouverture d'une enquête pour dénonciation calomnieuse contre le(s) parent(s) à l'origine du geste de Jean Willot".

"Jean Willot s'est suicidé après avoir été visé par une plainte pour violences aggravées d'une mère d'un élève de sa classe de CP. Il apparaît que cette plainte a été classée sans suite et semble particulièrement infondée", écrivent par ailleurs les auteurs de la pétition, des enseignants d'un groupe Facebook qui compte environ 800 membres, réunis en collectif. "Devant la multiplication de ces plaintes qui entachent très gravement la relation enseignants-parents (...) nous souhaitons une réaction forte de l'Etat, notre employeur", poursuivent-ils.

"Pas de statistiques sur les plaintes"

Ont-ils raison ? Y a-t-il une augmentation des plaintes des parents d'élèves visant les enseignants ? Impossible d'apporter une réponse catégorique. "Il n'existe pas de statistiques sur les plaintes contre le personnel", explique à franceinfo Edouard Geffray, directeur général des ressources humaines du ministère de l'Education nationale. D'autant plus que ces situations sont gérées au niveau des rectorats. Certains d'entre eux ont quelques chiffres, mais "il n'y a pas de chiffre national qui permette de les corroborer".

Edouard Geffray dispose seulement des chiffres sur la protection fonctionnelle :  "Quand un fonctionnaire fait l'objet d'une attaque ou d'une plainte en lien avec ses fonctions, on peut appliquer la protection fonctionnelle, un dispositif qui permet de prendre en charge ses frais de justice. Dans l'Education nationale, il y en a entre 530 et 600 chaque année." Attention, dans ces chiffres sont compris tous les contentieux. Par exemple, un enseignant qui porte plainte contre sa hiérarchie pour harcèlement peut bénéficier de la protection fonctionnelle et être ainsi comptabilisé.

"Ni le quotidien ni le mensuel des enseignants"

"Ces plaintes restent rares" : au-delà des statistiques, Edouard Geffray se base sur ses échanges avec les rectorats, ainsi qu'avec les DRH des académies, qu'il rencontre tous les trois mois, pour répondre à la question. "Aucun chef d'établissement ne m'en a fait part. Ce n'est ni le quotidien ni le mensuel des enseignants", affirme-t-il. "Donc, lorsque cela fait irruption, c'est déstabilisant. Les enseignants se demandent : 'Qu'est-ce que j'ai fait pour avoir cette plainte ?'", estime-t-il.

Dans l'académie de Paris, par exemple, "les plaintes visant les personnels de l'Education nationale se comptent en unités", confirme à franceinfo le rectorat. Ce dernier comptabilise une plainte dans le premier degré public, une dans le second degré public et deux dans le privé depuis le début de l'année. "Nous ne faisons pas de statistiques sur le sujet, mais si on se base sur les plaintes portées à la connaissance de l'Education nationale ces deux dernières années, on n'observe pas d'augmentation", ajoute le rectorat de Paris.

"Une inflation de la menace"

Néanmoins, Edouard Geffray reconnaît qu'il existe "une inflation de la menace".  "L'augmentation des plaintes de parents d'élèves à l'encontre des enseignants est une impression qui provient du fait qu'il y a probablement plus de menaces de plaintes que de plaintes réelles", expose le DRH de l'Education nationale.

Julia*, professeure en maternelle dans une école du 18e arrondissement de Paris, en témoigne à l'AFP : "C'est devenu une menace assez fréquente depuis quelques années. Par exemple, il y a quelques semaines, le père d'un élève griffé par un autre m'a hurlé dessus au téléphone en me jurant qu'il allait porter plainte contre l'école et contre moi." Elle s'est sentie "écœurée" car elle estime "se donner beaucoup de mal" pour cet élève.

"Dès qu'ils sont mécontents, pour une raison ou pour une autre, ils menacent de porter plainte", raconte à l'AFP une directrice d'école de l'académie de Montpellier. Dans la majorité de ces cas, les menaces ne sont pas mises à exécution mais elles peuvent sérieusement compliquer le quotidien. "Je comprends que certains profs se sentent parfois démunis", déclare-t-elle.

Bientôt un "protocole d'accompagnement"

Pour éviter ce sentiment, les auteurs de la pétition pour Jean Willot demandent à la garde des Sceaux "d'utiliser tous [ses] pouvoirs pour que le Parquet poursuive les parents d'élèves concernés pour dénonciation calomnieuse contre des enseignants." "L'Etat ne peut pas, juridiquement, porter plainte pour une dénonciation calomnieuse qui vise un de ses personnels", confirme Edouard Geffray. Selon lui, un tel dispositif est compliqué à mettre en place, car pour prouver le délit de dénonciation calomnieuse, il faut démontrer son caractère intentionnel.

Pour Jean-Michel Blanquer, la solution passe par la création d'un "protocole d'accompagnement", y compris psychologique, lorsqu'un enseignant est visé par une plainte. Ainsi, le ministre de l'Education a annoncé, mardi, pendant les questions au gouvernement à l'Assemblée, qu'un groupe de travail serait mis en place au ministère pour faire en sorte "qu'aucun professeur ne se sente seul" dans de telles circonstances. 

"Les travaux sont ouverts avec, entre autres, les académies et les organisations syndicales, jusqu'à l'été, au plus tard", précise Edouard Geffray. Ils doivent aboutir sur la création d'un document. "Celui-ci détaillera comment l'institution peut aider un enseignant en cas de plainte, notamment si la plainte est sans fondement. Au lieu de paniquer le soir, notre collègue regarde le document pour préparer sa réponse. Il sera accompagné par le chef d'établissement ou l'inspecteur, et le rectorat, détaille le DRH de l'Education nationale. Il s'agit d'éviter tout phénomène hyper angoissant."

*Le prénom a été modifié.

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