: Témoignages "On se sent parfois maltraitants" : des enseignants racontent comment ils tentent de lutter contre le harcèlement scolaire
Alexandra se souvient très bien de cette élève, arrivée d'un autre collège dans sa classe de troisième, à la rentrée 2022 dans le Nord. Sa direction l'a prévenue : victime de harcèlement scolaire, celle-ci avait dû changer d'établissement. "Les insultes, les bousculades et les brimades ont très vite recommencé avec d'autres élèves. Il a fallu qu'on réagisse tout de suite", se remémore l'enseignante, qui informe alors le proviseur et la conseillère principale d'éducation.
Des entretiens individuels avec les élèves concernés sont immédiatement réalisés et une confrontation est organisée entre les jeunes filles. "Elles ont acté qu'elles ne s'appréciaient pas et qu'elles s'ignoreraient tout le reste de l'année", raconte la professeure. "Là, c'était presque parfait", se rappelle Alexandra, qui, en vingt ans de carrière, a dû gérer de nombreux cas de harcèlement scolaire. "Cette année-là, les conditions étaient réunies pour que cela se passe bien : la classe était calme, j'ai pu consacrer du temps à cette élève et sa maman." Et de conclure : "Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas."
Alexandra estime que si cette situation a pu être réglée, c'est grâce à ses vingt années d'expérience et à ses lectures personnelles. "Plus que les deux jours de formation" qu'elle a suivie, juge-t-elle, dans le cadre du programme pHARe, le plan de lutte contre le harcèlement scolaire mis en place par le ministère de l'Education nationale. Généralisé à l'ensemble des écoles et collèges à la rentrée 2022, il concernait, en avril 2023, "86% des collèges et 60% des écoles", assure le ministère dans un communiqué. Mais depuis la rentrée, plusieurs cas tragiques de harcèlement scolaire ont mis en lumière la gestion parfois problématique de ce fléau par l'Education nationale. Pressé d'agir, le gouvernement doit présenter, mercredi 28 septembre, un plan interministériel contre le harcèlement scolaire.
"Pas les moyens d'agir correctement"
Les syndicats, eux aussi, déplorent "le peu de formations" proposées aux personnels. "On les forme à la discipline, à la didactique, mais peu à la psychologie des adolescents", pointe ainsi Laurence Hopp, conseillère principale d'éducation et déléguée nationale du SE-Unsa. "Il faut qu'on puisse dire aux élèves : 'Oui, les adultes sont là pour vous, pour vous écouter', mais pour cela, il faut suffisamment de personnes formées dans chaque établissement", abonde la secrétaire générale du Snes-FSU, Sophie Vénétitay, sur franceinfo.
"Sur le terrain, je vois à quel point les enseignants ont envie de bien faire les choses, mais on se sent parfois maltraitants, car on ne nous donne pas les moyens d'agir correctement", déplore Alexandra. Patrice, qui enseigne l'histoire-géographie depuis 36 ans dans un lycée privé des Bouches-du-Rhône, garde en mémoire un échec cuisant. "Une année, quand j'étais encore un jeune prof, j'ai voulu parler du harcèlement que subissait un élève avec toute la classe. Malheureusement, les autres se sont encore plus moqués de lui."
"Je ne savais tout simplement pas comment m'y prendre. Même si, maintenant, je sais comment réagir, je serai prêt à m'inscrire à une formation sur ce sujet, plutôt deux fois qu'une."
Patrice, professeur d'histoire-géographieà franceinfo
Outre le manque de formation, "dans des classes qui sont surchargées, c'est difficile de repérer l'élève qui se replie sur lui-même, qui ne va pas bien", pointe Sophie Vénétitay. "Je pense que je loupe 98% des situations problématiques", regrette ainsi Alexandra. "Et puis, on a des cours à assurer, on ne peut pas être disponible tout le temps et rester écouter un ou une élève pendant un quart d'heure à la fin de chaque cours", poursuit Patrice. "Cela prend beaucoup, beaucoup, de temps", insiste-t-il. En tant que professeur principal, il affirme prendre sur ses soirées, ses mercredis après-midi et "parfois même le dimanche". "Quand j'ai des parents démunis au téléphone, je ne peux pas attendre le lundi pour régler ce genre de problèmes", souligne-t-il.
"Ni pédopsychiatre, ni éducateur spécialisé"
Parfois, même avec la formation adéquate et une équipe mobilisée, des situations restent insolubles. Aurélie, enseignante dans un collège du Haut-Rhin, l'a vécu. Dans son établissement, le programme pHARe a été mis en place depuis deux ans : "Tous les personnels du collège ont reçu une formation", salue-t-elle, notant "une nette différence dans la gestion des cas de harcèlement". "Avant, quand on constatait un cas ou que l'élève nous le signalait, on allait chercher le harceleur pour le punir. Mais le problème, c'est que les représailles étaient systématiques, souvent en dehors des cours et de l'établissement."
Malgré l'implication de tout le personnel, des réunions régulières sur le sujet, certaines situations dépassent leurs compétences : le cyberharcèlement en particulier. "Dans ces cas-là, nous enjoignons les parents à porter plainte et nous saisissons la justice", explique Aurélie. Les méthodes proposées par le programme pHARe, basées sur l'empathie et l'écoute, éprouvent aussi parfois leurs limites. "L'année dernière, nous avons dû gérer une situation très compliquée, avec une élève qui a changé de cible à cinq reprises. Nous avions l'impression de n'avoir aucune prise sur elle. Nous avons fini par l'exclure définitivement de l'établissement", rapporte la professeure de français.
"En être rendus à prendre des sanctions lourdes, c'est un peu un aveu d'échec."
Aurélie, professeure de françaisà franceinfo
Dans son collège "tranquille" de l'Allier, Juliette se souvient s'être sentie démunie en 2019. "J'étais face à une élève qui était clairement harcelée, mais on n'a jamais pu apporter la preuve de ce qu'il se passait", se remémore-t-elle. "Finalement, en écoutant la victime, nous l'avons aidée, même sans sanctionner les personnes que nous soupçonnions", affirme l'enseignante. "C'est aussi la limite de nos compétences et notre rôle en tant que prof : on n'est ni pédopsychiatre, ni éducateur spécialisé, observe Aurélie. Même si, parfois, on se demande si on agit en tant qu'enseignant ou en tant que psychologue."
Vous êtes victime de cyberharcèlement ? Vous avez été témoin d’une situation de harcèlement scolaire ? Si vous avez besoin d'une aide directe, ou que vous êtes inquiet pour l'un de vos proches, des numéros de téléphone gratuits et confidentiels ont été mis en place pour répondre à vos questions : le 3020 (consacré au harcèlement) et le 3018 (dédié au cyberharcèlement).
Vous pouvez aussi vous adresser à la direction ou un membre de l'équipe éducative de l'établissement dans lequel un cas de harcèlement est détecté. Vous trouverez enfin de nombreuses informations sur les manières de réagir sur le site du ministère de l'Education nationale.
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