"Infirmière scolaire", un documentaire au plus près de collégiens de l'Aube pour mettre en lumière "ce métier vraiment crucial"
Panser les petits maux comme les grands désarrois, telle est souvent la mission des infirmières ou infirmiers scolaires. Une tâche qui va au-delà de leur fonction première. C'est ce que dévoile Delphine Dhilly, qui a posé sa caméra dans un collège d'une commune rurale de l'Aube, et suivi le travail de l'infirmière Melissa Catanoso dans son documentaire intitulé Infirmière scolaire, diffusé sur France 2 mercredi 12 avril*.
Sans interview ni commentaire, la réalisatrice s'est glissée dans l'intimité des relations qui se nouent entre l'infirmière et des collégiens en proie à des tourments divers tels que le harcèlement scolaire, les tumultes familiaux ou les transformations liées à l'adolescence. Delphine Dhilly revient pour franceinfo sur ce délicat tournage.
Franceinfo : Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux infirmières scolaires ?
Delphine Dhilly : Pendant la période du Covid-19, France 2 m'a proposé d'explorer ce sujet et cela m'a tout de suite beaucoup touchée. J'ai également accepté de le faire parce que je me suis aperçue que le lieu dans lequel l'infirmière scolaire reçoit les enfants dans le collège est un endroit vraiment à part : il n'y a ni parents, ni profs, ni CPE [le conseiller principal d'éducation]. Cet espace est totalement dédié à l'écoute et à l'observation de l'adolescence dans tous ses moments chaotiques. Au début, je ne savais pas si j'allais tourner dans un collège ou un lycée, mais on s'est aperçus que les enfants au collège se livraient plus facilement et que ce serait plus facile d'être dans une forme d'intimité. Au lycée, il y a beaucoup plus de méfiance et de postures.
Nous avons souhaité, avec Blandine Grosjean, la productrice du film, que le tournage se passe à la campagne. Cela s'est imposé, peut-être parce que nous avons grandi toutes les deux en province. J'ai choisi la Champagne, dans le Grand Est, région où je suis née. Je ne sais pas vraiment comment l'expliquer, mais j'avais envie de faire une chronique dans la ruralité. Mais ce qui a été aussi déterminant pour le film, ça a été la rencontre avec Melissa, l'infirmière scolaire que l'on suit.
Comment avez-vous rencontré cette infirmière ?
Je l'ai rencontrée grâce à une professeure d'anglais de Troyes que j'avais connue lors d'un tournage précédent. Elle m'a dit : "J'ai eu une infirmière dans mon lycée qui était extraordinaire, maintenant elle est en collège." Lorsque j'ai rencontré cette infirmière, j'ai su tout de suite que j'avais trouvé la bonne personne. En plus, comme j'ai tourné à 20 kilomètres de là où j'ai grandi, cela résonnait étrangement. J'avais vraiment le sentiment de retourner dans le collège de mon enfance, même si ce n'était pas le cas. Il y avait les mêmes accents, le même monde agricole. J'avais vraiment envie de raconter les gamins de là-bas, en écho peut-être à ma propre enfance.
Mélissa, l'infirmière, a-t-elle été facile à convaincre ?
Nous avons d'abord beaucoup parlé au téléphone. J'ai eu la chance que le proviseur du collège, où elle travaille, accepte, que le rectorat donne son feu vert également. Je pense que pour Mélissa, ce film était important, car ce métier, qui est vraiment crucial, elle l'adore. Elle avait envie de le raconter, de le mettre en valeur et de le montrer, elle a été rapidement convaincue, pour mettre la lumière sur ce travail quotidien, un peu caché dont on ne parle quasiment jamais d'ailleurs. Et puis nous avons tissé un lien. Elle a vu mes films précédents, ce qui a permis de la mettre en confiance.
Comment les enfants vous ont-ils accueillie ?
Nous avions fait tout un travail en leur disant que c'était évidemment eux qui choisissaient d'être filmés ou pas. Nous avions demandé en amont la permission des parents. Chaque jour, selon les situations, nous leur posions systématiquement la question. Parfois, ils nous disaient : "Non, là, j'ai pas envie" ou "là, tu peux me filmer que de dos". C'était au cas par cas. Nous étions parfois surprises qu'ils acceptent d'être filmés alors qu'ils racontaient des choses très personnelles. Je me disais dans ces moments-là qu'ils voulaient peut-être faire passer un message. Le fait qu'ils acceptent de montrer leur vulnérabilité, cela prolongeait l'écoute de Mélissa
Nous étions en période de Covid-19, ils avaient les masques, mais nous avons eu la chance de pouvoir tourner pendant leurs cours de sport, car là je pouvais voir leurs visages sans masque et aussi leur corps à un moment où il est en pleine mutation, avec toute sa beauté et sa maladresse. De 11 ans à 15 ans, c'est vraiment la "transformation". C'est ce qui est beau au collège car les enfants se transforment vraiment radicalement. Ils passent de petits garçons qui jouent aux jeux vidéo à des jeunes hommes.
Le rôle des infirmières scolaires semble essentiel...
Effectivement, on a souvent le sentiment que les infirmières ou infirmiers ne s'occupent que des petits bobos, comme des maux de ventre ou de tête, ce qui est déjà beaucoup. Mais ils font bien davantage que cela. Ce qui est beau, c'est que j'ai découvert que ce petit bureau, qui fait office d'infirmerie où Mélissa reçoit les enfants, est une sorte de refuge où les adolescents peuvent venir se livrer, voire même se lâcher. Mélissa, qui les accompagne, repère les cycles durant lesquels le moral des collégiens est parfois entamé. Que ce soit du fait des saisons comme l'hiver, par exemple, qui est plutôt rude dans le Grand Est, ou du fait de la transformation de leurs corps.
Ce qui m'a émue, c'est comment un petit lieu, au sein d'un collège, recueille en fait tous les enjeux de l'adolescence avec ses moments de grande vulnérabilité. Avoir quelqu'un qui prend au sérieux ces enfants quel que soit le degré d'importance qu'ont leurs bobos, cela m'a beaucoup marquée. En tant qu'enfant, être entendu comme cela, c'est précieux pour leur construction. Ce qui peut paraître comme une simple attention aux "j'ai mal au ventre, à la tête, aux bras, aux genoux..." raconte finalement beaucoup de choses de notre société actuelle, dans laquelle on n'a pas le droit de montrer notre vulnérabilité.
En plus, le collège est une période pendant laquelle les adolescents sont littéralement écrasés par la norme, ils jouent des rôles. Je trouvais génial de pouvoir se mettre à l'intérieur et de voir comment Mélissa gère tout cela. En plus, elle n'est pas psy, donc c'est assez difficile pour elle, car elle n'est pas du tout formée pour cela. Elle fait de son mieux avec son écoute et ses armes.
Pensez-vous qu'il y a un manque d'infirmiers dans les écoles ?
Oui, le manque est criant. Je me dis d'ailleurs : comment est-il possible de faire fonctionner un collège ou un lycée sans le genre d'écoute qu'apportent ces infirmiers ? Nous avons tourné pendant un an et demi (de septembre 2020 jusqu'à avril 2022), avec des grandes périodes d'arrêts. Car en fait, Mélissa ne travaille que trois jours dans ce collège, donc nous ne tournions que trois jours par semaine. Les deux autres jours de la semaine, elle exerce dans une école primaire, ce qui est le cas de toutes les infirmières scolaires. Elles sont complètement débordées. Il n'y a vraiment pas assez d'infirmières ou infirmiers dans les écoles. En voyant ce film, on se dit qu'il en faudrait partout, tant leur rôle est important.
*Le documentaire Infirmière scolaire est diffusé dans le cadre de l'émission "Infrarouge" mercredi 12 avril à 23h sur France 2 et france.tv.
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