Fin des notes à l'école : une mauvaise nouvelle pour les bons élèves ?
Les acteurs de l'éducation, réunis jusqu'à vendredi à Paris, s'interrogent sur l'éventualité d'abandonner la notation au profit de méthodes alternatives d'évaluation des élèves, à l'école primaire et au collège.
Peut-on imaginer une éducation sans notes ? L'idée revient avec insistance dans la réflexion sur la lutte contre les inégalités scolaires. Vendredi 12 décembre, à Paris, s'achève une conférence nationale de deux jours organisée par le ministère de l'Education pour tenter de trouver un consensus. Un jury remettra en janvier des conclusions à la ministre Najat Vallaud-Belkacem. De nouvelles méthodes d'évaluation, inspirées de nos voisins et censées mettre fin à la hantise de la mauvaise note, pourraient être appliquées jusqu'au collège dès la rentrée 2016, et sont déjà expérimentées par certains enseignants.
Mais en voulant protéger les élèves en difficulté, ne risque-t-on pas de retirer aux éléments les plus brillants une source de motivation ?
Oui, ils sont habitués à être mis en compétition
Pour des élèves qui ont débuté leur scolarité en étant notés, la disparition de ce repère n'est pas toujours facile à comprendre. Bertrand Pelletier enseigne les mathématiques dans un collège de l'académie d'Orléans-Tours, et cette année, dans le cadre d'une expérimentation, il ne donne plus de notes à la classe de 5e dont il est le professeur principal, explique-t-il à francetv info. Partisan de cette méthode, il constate cependant que "c'est très dur de changer les mentalités. Les élèves sont au départ si habitués qu'ils demandent la notation." Un comportement qui, selon les études, se retrouve surtout dans les établissements placés en haut de la hiérarchie sociale et scolaire, "qui veulent pouvoir se comparer", tandis que "ceux des catégories défavorisées veulent plutôt s'en débarrasser".
"Les enfants français sont dans ce registre de la compétition, concède Christian Chevalier, secrétaire général du syndicat enseignant SE-Unsa, contacté par francetv info, mais ce n'est pas le cas chez certains de nos voisins, et leurs pays ne se sont pas écroulés pour autant." Un effort d'harmonisation des méthodes permettrait de venir à bout des réticences. Bertrand Pelletier constate d'ailleurs que certains parents d'élèves, sceptiques en début d'année, ont été convaincus par les explications des enseignants.
Oui, certains s'adaptent difficilement aux nouveaux exercices
Pour les professeurs qui l'expérimentent, la suppression des notes s'inscrit dans une refonte plus globale de la façon d'évaluer les élèves. Pour changer des interrogations classiques, basées sur la restitution d'une connaissance, Bertrand Pelletier organise aussi de nouveaux exercices, où les élèves doivent, par exemple, trouver par eux-mêmes une solution alternative à un problème.
Des situations auxquelles les élèves les plus "scolaires", abonnés aux bonnes notes, ont parfois du mal à s'adapter, témoigne le professeur de mathématiques. "Ils se disent 'à quoi bon, si le prof connaît la bonne réponse'" explique-t-il. Pourtant, dans l'esprit de l'enseignant, il n'y a pas toujours une seule "bonne réponse" mais plusieurs, parfois obtenues en mobilisant différentes compétences.
Non, ça les aidera à combler leurs quelques lacunes
Si le ministère de l'Education évoque une évaluation plus "bienveillante", pas question pour autant, en supprimant les notes, de gommer les lacunes des élèves. Au contraire, comme l'explique Bertrand Pelletier, une évaluation qui détaille le degré d'acquisition de chaque compétence peut faire ressortir les points à améliorer dans une bonne copie. Il constate que "la réaction des élèves est de chercher à me montrer qu'ils savent faire ce qu'on leur dit qu'ils ne maîtrisent pas". En revanche, "quand on donne un 18 sur 20, les enseignants comme les parents disent 'c'est très bien' et l'élève ne va pas chercher les deux points qui lui manquent", juge le professeur de maths. Cela permet aussi d'éviter le mécanisme des moyennes, qui pousse parfois certains élèves à se désintéresser des matières artistiques, jugées moins fondamentales.
Pour tous les spécialistes interrogés, la suppression de la note n'est en tout cas pas l'enjeu principal de la réforme à venir. "La finalité de ne pas mettre de notes est que les élèves s’intéressent à ce qu’on dit de leurs copies, et que leurs parents s'intéressent à ce qu'ils apprennent, explique Remi Goasdoué, maître de conférences et chercheur à l'université Paris-Descartes. Remplacer les notes par des évaluations sous forme de couleurs ou de smileys ne changerait pas grand-chose." L'important est plutôt d'expliquer plus en détail à l'élève ce qu'il maîtrise ou non.
Bertrand Pelletier n'a par ailleurs rien contre les notes : pour lui, elles peuvent être utiles, quand il ne s'agit plus d'enseigner un socle commun de connaissances, de compétences et de cultures, mais de sélectionner et trier les élèves pour les inscrire à des lieux de formation dont les places sont limitées.
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