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S'extraire de l'injonction d'être "sexy", le défi des sportives de haut niveau

Les campagnes de communications ou le marketing sportif sont régis par les canons stéréotypés. Ils enferment les sportives dans des rôles établis, dont il semble difficile de sortir. 

Article rédigé par The Conversation
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Les Britanniques Laviai Nielsen (à droite) et Eilidh Doyle (à gauche) se passent le relais, lors du championnat du monde d'athlétisme, le 13 août 2017, à Londres (Royaume-Uni).  (KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP)

Ces dernières années, le spectacle sportif des femmes est en plein développement. Selon le CSA on est passé de 7 % de retransmissions de compétitions sportives à la télévision en 2012 à 16 % à 20 % en 2016. De plus, lorsqu’ils sont diffusés, les matchs des équipes de France "féminines" remportent un certain succès avec notamment un record historique d’audience sur la TNT à l’occasion du quart de finale opposant la France à Allemagne lors de la Coupe du Monde de Football en 2015. Néanmoins, les femmes ont toujours plus de mal à attirer les sponsors que les hommes, et quand les sponsors sont au rendez-vous, ils s’intéressent particulièrement aux sportives les plus "sexy" selon les canons stéréotypés qui régissent le marketing sportif.

Dans l’optique de vendre le spectacle sportif des femmes et surtout de rétablir l’ordre établi en matière de représentations des normes de genres dans le sport, les institutions sportives tentent de sexualiser le corps des athlètes selon les normes hétéronormatives, par exemple en leur imposant le port de la jupe ou de la robe lors des compétitions. Et malgré des évolutions récentes comme la campagne publicitaire Crédit Agricole en soutien à l’équipe de France de football lors du dernier mondial qui insiste sur les performances des sportives, les campagnes de communication érotisent souvent le corps des femmes dans le sport ce qui est rarement le cas pour les hommes.

Les sportives "sexy" attirent les sponsors

Si les femmes sportives de haut niveau n’attirent que très faiblement les sponsors (3 % des opérations de sponsoring en France et 16 % des rencontres impliquant à la fois des hommes et femmes comme Roland-Garros), certaines sportives "sexy" réussissent à tirer leur épingle du jeu, notamment dans le tennis. Ainsi, Anna Kournikouva a multiplié les campagnes publicitaires, les photos de charme, et reçu le soutien des sponsors, ce qui lui a valu de remporter en 1999, 10,25 millions de dollars selon le magazine Forbes, alors qu’elle n’a jamais remporté de tournoi majeur.

En parallèle, c’est dans l’indifférence, la moquerie et l’hostilité que Venus et Serena Williams sont entrées dans le monde du tennis à la fin des années 1990. À partir de la seconde moitié des années 2000, malgré les discours racistes et sexistes tenus à leur propos, les sœurs Williams ont donné une nouvelle dimension au sport grâce à leurs performances sportives, suscitant l’intérêt des sponsors et des médias. Mais la révolution Williams n’a pas pour autant bousculé les stratégies de communication des institutions sportives, ni celle des sponsors.

En 2016, la surfeuse brésilienne Silvana Lima – qui surfe en short et non pas en bikini – dénonçait le diktat de la beauté dans le sport lorsque l’on est une femme, dans un reportage diffusé sur la BBC :

Je ne ressemble pas à un top-modèle, je ne suis pas une poupée. Je suis une surfeuse professionnelle. Mais chez les femmes, les marques de surf veulent à la fois un mannequin et une sportive. Et quand vous ne ressemblez pas à un mannequin, vous ne trouvez pas de sponsor. C’est ce qui m’est arrivé. Les hommes n’ont pas ce problème.

Silvana Lima

à la BBC

Des instances sportives qui sexualisent les athlètes

En 2010, le président du club de basket-ball de Lyon a obligé les joueuses de son équipe à troquer leur short pour une robe lors des compétitions : "C’est notre volonté de faire jouer les joueuses en femme". Le président de l’AIBA (Association Internationale de Boxe amateur) a lui aussi voulu imposer le port de la jupe aux boxeuses lors de leurs premiers pas aux Jeux olympiques de Londres en 2012, car il aurait souvent entendu dire : "On ne fait pas la différence entre les hommes et les femmes, puisqu’ils arborent les mêmes tenues et portent un casque". Finalement, suite aux plaintes des boxeuses, les sportives ont eu le choix entre la jupe et le short.

Selon Isabelle Lefèvre professeure en STAPS, la jupe est un marqueur qui permet, lorsque les sportives arborent les apparats associés habituellement à la virilité (muscles, performance physique, agressivité) de juxtaposer des critères permettant d’assigner aux femmes des normes de "la féminité" traditionnelle. Pour Elsa Dorlin, professeure de philosophie politique et sociale, la gouvernance internationale du sport préfère les sportives qui n’ont pas l’air de l’être, la performance de genre pouvant rapporter plus que la performance sportive. Par ailleurs, la promotion d’une image hétérosexuelle du spectacle sportif des femmes a pour fonction d’invisibiliser les lesbiennes qui sont perçues comme "déviantes" selon une vision hétérocentrée et hétérosexiste de la culture sportive.

Erotisation des corps : le marketing sportif

Dans l’optique d’attirer les médias, les sponsors et les spectateurs, les Fédérations sportives réalisent des campagnes de communication qui vont mettre en avant les attributs "féminins" des sportives. L’érotisation des sportives est un élément implicite du marketing mondial du sport, des opérations de sponsoring et de la couverture médiatique. En 2009, sur une idée du directeur de la communication de l’époque de la Fédération française de football, quatre joueuses de l’équipe de France de football ont posé nues afin d’attirer les médias sur les terrains de football avec le message suivant : "Faut-il en arriver là pour que vous veniez nous voir jouer ?".

Les campagnes de communication réalisées par la Ligue féminine de basket-ball entre 2005 et 2012 pour assurer la promotion de son Open avaient pour thème "Basket in the City" en référence à la série culte Sex in the City. Sur les affiches on pouvait voir (entre autres) des illustrations de silhouettes de femmes vêtues de robes et portant des talons hauts dans des postures suggestives. En 2010, sur l’affiche destinée à faire la promotion du football féminin, la Fédération française de football a mis en scène la mannequin et femme de footballeur Adriana Karembeu au détriment des joueuses de l’équipe de France. Ainsi le corps « féminin » reste objet du désir de l’homme et la femme est assignée au rôle d’épouse.

Un second mouvement a consisté, dans la deuxième moitié des années 2000, à mettre les sportives en avant sur les affiches, mais de manière sexualisée. En 2015, le club de volley le RC Cannes a choisi pour une affiche faisant la promotion d’une rencontre avec le club de Béziers la photo d’une joueuse de l’équipe de dos, vue de trois-quarts, portant un maillot et une culotte de volley échancrée afin de laisser apparaître ses formes. En 2016, la Fédération française de boxe a choisi quant à elle, pour faire la promotion de son gala de boxe 100% "féminin", le Ladies Boxing Tour, de rassurer les spectateurs au sujet de la "féminité" des boxeuses en affublant la sportive présente sur l’affiche d’une basket au pied droit et d’une chaussure à talon ornée de diamants au pied gauche.

Ces constructions stéréotypées et sexualisées de l’image des sportives ont pour fonction de représenter les femmes investies dans le sport de haut niveau selon les normes de désirabilitées hétéronormatives au détriment de leurs performances sportives.

Une prise de conscience ?

Suite aux dénonciations de ces campagnes de communication stéréotypées par les sportives elles-mêmes, les spécialistes du sport et les féministes, on a vu émerger en parallèle ces dernières années des stratégies de communication plus axées sur la performance des sportives.

En 2013 (entre autres), la Fédération française de basket-ball a tenté de s’amender avec la mise en scène des basketteuses dans une posture qui suggère la performance physique sur l’affiche de promotion de la Coupe d’Europe. Les sportives sont sur un terrain de basket, en tenues de compétition, et leurs mouvements sont réalistes par rapport à leur pratique sportive.

L’affiche de la Coupe de France de Football 2015 va aussi dans ce sens : les footballeuses posent en short et en maillot dans un stade de football ; l’une d’entre elles, au premier plan, tape dans un ballon. Ainsi, les sportives sont non seulement présentes sur les affiches mais aussi représentées de manière à être perçue pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des athlètes. En 2015, la FIFA (Fédération internationale de football association) a lancé une campagne sur les médias sociaux et les télévisions diffusée à l’international visant à promouvoir le football féminin et l’égalité des sexes dans le sport, avec un spot intitulé "Aucune barrière". Dans ce spot, de jeunes footballeuses font tomber un mur imposant symbolisant leur oppression, grâce à de puissantes frappes dans un ballon. Une fois le mur effondré, les sportives se retrouvent prêtes à jouer sous les feux des projecteurs d’un immense stade plein de supporters.

The ConversationOn assiste actuellement à un tournant dans lequel le spectacle sportif des femmes est en plein développement et perçu par les sponsors et les agences de communication comme une opportunité intéressante. Les formations spécialisées dans le management et la communication sportive devraient proposer des enseignements sur les stéréotypes de genres à leurs étudiants afin de les sensibiliser à ces questions comme c’est le cas notamment à L’Université Paris-Sud. Enfin, le Master ÉGAL’APS (Égalité dans et par les activités physiques et sportives) est l’unique master en France, associant les gender studies et les STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) afin de former des cadres spécialistes sur les questions d’égalité hommes-femmes dans le sport.

Natacha Lapeyroux, ATER ULorraine, Doctorante en Sciences de l'Information et de la communication, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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