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Droits des femmes : à quoi sert le budget accordé aux associations ?

Moins d'argent pour les droits des femmes ? La rumeur, appuyée par un projet de décret du gouvernement, alarme les associations féministes. Pour franceinfo, ces dernières témoignent des actions qu'elles mènent à bien.

Article rédigé par franceinfo - Mathilde Goupil
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Publié Mis à jour
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Le local de la Fédération nationale solidarité femmes à Paris, le 25 novembre 2016. (PATRICK KOVARIK / AFP)

Le sujet inquiète les associations féministes depuis plusieurs jours. Malgré les promesses de la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa, le budget alloué à la défense des droits des femmes pour 2017 pourrait être allégé de 7,5 millions d’euros, selon un projet de décret retrouvé par Le Monde. Une restriction d'un quart de la somme totale allouée en 2016, alors que la lutte pour le respect des droits des femmes ne représente que 0,0066% des dépenses totales de l'Etat.

"Ce n’est pas en internalisant les réceptions au ministère qu’on va trouver cet argent. Les associations seront forcément touchées", s'agace une responsable associative. A quoi servent précisément ces fonds publics ? Quelles seraient les conséquences d'une diminution de ces aides ? Pour franceinfo, plusieurs de ces associations témoignent.

1Ecouter les femmes victimes de violences

"Notre première mission est d'écouter", confie à franceinfo Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF). Parmi d'autres numéros verts thématiques (contre le viol, les violences au travail...), le numéro "3919 – Violences femmes info", tenu par l'association depuis 1992, permet aux femmes victimes de violences conjugales d'être "écoutées", "conseillées" et "orientées" par l'une des 25 salariées de la ligne. La FNSF est également à la tête d'un réseau de 67 associations locales, qui reçoivent quotidiennement les femmes victimes de violences.

Les femmes qui appellent ont souvent l'occasion de raconter pour la première fois leur histoire.

François Brié, directrice générale de la FNSF

à franceinfo

Avec un peu plus d'1,4 million d'euros en 2017, la FNSF est l'association la plus subventionnée du secteur. Pourtant, sa responsable se dit "inquiète" de la possible fonte des aides publiques. Alors que le nombre d'appels augmente chaque année (65 800 en 2015), le licenciement de salariées dégraderait le service rendu aux femmes victimes et les conditions de travail du personnel. "On ne peut pas gérer des situations complexes sans avoir un travail d’équipe, souligne Françoise Brié. Quand il y a un danger de mort, il faut avoir des regards croisés."

"L'accueil dans les associations fonctionne déjà grâce à quelques salariées mal payées et soumises à des pressions dingues, s'insurge auprès de franceinfo Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole d'Osez le féminisme, association qui ne touche pas d'aides du ministère. Avec cette baisse de subventions, on va renforcer la souffrance au travail de femmes qui font déjà un travail remarquable."

2Les accompagner dans leurs démarches

Qu'elles soient généralistes ou spécialisées, la plupart des associations de lutte pour les droits des femmes proposent aux victimes de violences de les accompagner dans les procédures encadrées par la loi. L'association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) fournit ainsi des conseils juridiques, peut se porter partie civile lors de procès pour agression sexuelle au travail ou intervenir comme experte lors de conseils de prud'hommes

"Quand des victimes nous saisissent, on donne dans un premier temps les démarches urgentes qu’elles doivent mettre en place pour constituer un dossier, recueillir la preuve et baliser leur parcours de dénonciation", explique Laure Ignace, juriste à l'AVFT, contactée par franceinfo.

L'association, composée de cinq juristes, touche en théorie 235 000 euros par an du service des droits des femmes, versés en deux fois. Mais depuis janvier 2017, rien : la convention pluriannuelle conclue avec le gouvernement reste bloquée aux services du ministère. "Ça devient urgent, s'inquiète Laure Ignace. On avait déjà 250 dossiers en cours en début d'année, et on reçoit deux nouveaux cas par jour."

Il y a une véritable explosion des appels depuis l'affaire Denis Baupin.

Laure Ignace, juriste à l'AVFT

à franceinfo

Grâce à son réseau local, la FNSF propose de son côté près de 2 000 places d'hébergement pour les femmes battues qui ont décidé de fuir le domicile conjugal. La secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, affirme que les structures d'accueil des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles ne seront pas touchées. Mais la promesse "n'a pas de sens, assure le collectif Les Effronté-e-s à franceinfo. Notre travail est transversal : quand une femme est impactée par des violences conjugales, on a besoin de s'occuper du suivi de sa santé, de lui trouver un logement, etc. Les associations qui font de l'accueil et les autres travaillent ensemble."

3Informer les femmes de leurs droits

"Quand les femmes nous appellent, beaucoup ne savent même pas qu'elles ont des droits", regrette Françoise Brié. Par le biais d'ateliers collectifs, les antennes locales de la FNSF amènent les femmes victimes de violence "à lutter contre les stéréotypes sexistes. L'objectif est de se demander : pourquoi j'ai moins de droits que mon agresseur ? Pourquoi je suis sous son contrôle ?"

Le site internet de la Fédération nationale solidarité femmes. (CAPTURE D'ÉCRAN)

Depuis 2011, le Planning familial répond aux questions des ados au numéro vert "Sexualités, Contraception, IVG". Mais sa coprésidente, Véronique Sehier, regrette auprès de franceinfo que le manque de moyens de l'Etat empêche d'offrir la même information sur l'ensemble du territoire. Dans son viseur : l'absence de cours d'éducation sexuelle dans certaines écoles, en dépit de la loi, ou l'impossibilité d'avorter dans certains hôpitaux l'été, avec les départs en vacances des médecins. "Dans un contexte ou les anti-choix [les opposants à l'avortement] veulent revenir à une forme de morale, les associations ont encore du boulot pour informer", scande-t-elle.

4Former les professionnels du secteur public

Comme de très nombreuses associations, le Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles et autres pratiques traditionnelles (Gams) organise une sensibilisation auprès des agents territoriaux, des enseignants, des médecins ou des travailleurs sociaux. Objectif : "avoir des relais au niveau des personnels en contact avec les femmes, pour pouvoir repérer une situation problématique et agir avant qu’elles ne soient victimes".

Là encore, on appréhende la coupe des aides publiques. "En dix ans de baisses successives de subventions, j’ai déjà perdu quatre salariées à temps plein", regrette la directrice du Gams, Isabelle Gillette-Faye, contactée par franceinfo. Aujourd'hui, elle s'interroge même sur l'utilité de continuer son action, avec seulement trois salariées au siège à Paris. "Mettre la clé sous la porte est une option, prévient-elle. Si on réduit nos activités pour ne plus faire que de la formation, sans avoir d’éléments de terrain, ça n’a aucun intérêt."

Si on doit accueillir les femmes dans de mauvaises conditions, je préfère qu’on se saborde.

Isabelle Gillette-Faye, directrice du Gams

à franceinfo

5Faire évoluer la loi

Le risque de voir leurs subventions diminuer est d'autant plus insupportable pour les associations qu'elles estiment mener "une mission de service public". "Ce sont des associations qui assurent la politique de l'Etat français en matière d'égalité hommes-femmes", se désole Laure Ignace, de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail.

Comme le rappelle la chercheuse Sandrine Dauphin, elles contribuent depuis les années 1960 à l'évolution des lois sur l'égalité des sexes, notamment grâce au lobbying effectué auprès des parlementaires. Derrière ces tentatives d'influence, réside une véritable "expertise", assure Laure Ignace. La FNSF a ainsi mis en place un "observatoire" pour analyser le "parcours" du public qu'elle accompagne, vante Françoise Brié : âge de la victime et de l'agresseur, lieu de résidence, type de violence rencontré... Isabelle Gillette-Faye s'inquiète : "Qu'est-ce qu'on fera de cette expertise, si demain on n'existe plus ?"

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