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Des seins nus aux livres politiques... Comment les Femen veulent faire peau neuve

Des actions musclées, des slogans percutants, des poitrines comme étendards : le mouvement né en Ukraine en 2008 fête ses 10 ans, jeudi 19 avril, à Paris.

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Une Femen française manifeste à la Cinémathèque de Paris, le 30 octobre 2017, contre le réalisateur Roman Polanski, accusé d'agressions sexuelles. (JULIEN MATTIA / NURPHOTO / AFP)

A chaque fois, c'est la même scène : une militante, torse nu et peint de slogans, surgit face à un homme pointé pour son sexisme en scandant un message militant. Ce lundi 9 avril 2018, en Pennsylvanie (Etats-Unis), c'est face à l'acteur américain Bill Cosby, jugé pour agression sexuelle, qu'une Femen s'est dressée, la poitrine et le dos recouvert d'écritures : "Justice pour les survivantes", "Prenez le viol au sérieux" ou encore "La vie des femmes compte".

Dix ans après leur naissance, les Femen sont donc toujours là. Le mouvement féministe, apparu en 2008 en Ukraine, compte aujourd'hui une trentaine d'activistes et une centaine d'adhérents en France. Il célèbre, jeudi 19 avril, son 10e anniversaire à l'occasion d'une soirée à La Bellevilloise, dans le 20e arrondissement de Paris. Mais il ne fait plus autant parler de lui qu'à ses débuts.

Les premiers coups d'éclat médiatiques

Les Femen, créées par trois activistes ukrainiennes, se font connaître du grand public lors de l'Euro de football en Pologne et en Ukraine, en 2012, lors duquel elles dénoncent le tourisme sexuel. La même année, Inna Shevchenko, qui a rejoint le trio originel en 2009, se réfugie en France et reprend, seule, le flambeau de la branche française des Femen. Couronnes de fleurs sur la tête, slogans peinturlurés sur les seins nus, les activistes multiplient les coups d'éclat médiatiques. Dans leur ligne de mire : le patriarcat, l'Eglise et l'exploitation sexuelle des femmes.

Le succès médiatique est rapide. Le 12 février 2013, huit Femen font irruption dans la nef de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, poitrines nues, et sonnent des cloches, sous le regard choqué des fidèles et des touristes, pour fêter le départ du pape Benoît XVI. Une action qui leur vaut un premier procès en France. Suivront, parmi d'autres, une mise en scène d'avortement dans une église parisienne et des perturbations lors de manifestations du Front national.

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"Avec elles, les questions féministes sont revenues dans l'espace public" au début des années 2010, analyse Bibia Pavard, historienne spécialisée en histoire des femmes, contactée par franceinfo. "Elles ont remis les femmes dans la rue à l'époque où le féminisme est plutôt un débat intellectuel" et "ont participé à un renouveau de l'activisme féminin, dans la mouvance du collectif féministe La Barbe", qui lutte contre le monopole du pouvoir par les hommes blancs, poursuit la maître de conférences à l'Institut français de presse. Et d'analyser la mécanique bien huilée des Femen :

Elles ne proposent pas de solutions. Elles rendent visibles les contradictions. Elles prennent cause pour un problème qui doit ensuite être pris en charge par d'autres, par le politique par exemple.

L'historienne Bibia Pavard

à franceinfo

"Des actions faites un peu à l'arrache"

Interrogée sur le bilan de ces dix années d'activisme, Inna Shevchenko se félicite d'avoir ainsi "contribué à de nombreuses avancées : la pénalisation de la prostitution, la dénonciation des violences conjugales, la lutte contre les extrémismes politiques et religieux, le repli du FN..." Un bilan dense, d'autant que les activistes essuient souvent insultes, bousculades et coups. "Nous sommes constamment arrêtées, menacées. Nous avons été battues en Ukraine mais aussi en France lors d'actions contre les extrémistes Civitas, le FN", témoigne la Femen auprès de franceinfo.

Nous sommes confrontées à des procès quasiment à chaque action. Nous sommes la cible de terroristes et faisons face à de nombreuses menaces pour nos vies.

Inna Schevchenko

à franceinfo

Chaque irruption des Femen lors de manifestations du Front national se solde ainsi par des militantes évacuées par le service d'ordre du parti, comme le 1er mai 2015, en marge d'un discours de Marine Le Pen.

De quoi fatiguer les troupes, pourtant entraînées physiquement et mentalement à ces actions coups-de-poing. Depuis le début, plusieurs Femen originelles ont quitté le collectif, à l'instar d'Eloïse Bouton, 32 ans, qui a participé à la création de la branche française, avant de la quitter en 2014. Lassée de cet activisme collectif et "du manque de nuance des actions faites un peu à l'arrache", elle est aujourd'hui à la tête d'un média dédié aux femmes dans le hip-hop.

"Le turnover y est assez important", constate l'historienne Bibia Pavard. "Il faut régulièrement des nouvelles recrues et pour cela il faut une motivation pour des actions très encourageantes." Interrogée par 20 Minutes, Galia Ackerman, essayiste et coauteure du livre Femen (éd. Calmann Lévy), abonde : "Comme la répétition du coup-de-poing lasse, soit le mouvement doit évoluer, soit il va s'essouffler."

Le poids d'Inna Shevchenko

Cet enjeu repose sur les épaules d'Inna Shevchenko, 28 ans, cheffe de file du mouvement qu'elle tient d'une main de fer depuis 2012. A tel point que certaines militantes lui ont reproché d'avoir verrouillé le mouvement. "Il y avait une hiérarchie entre les anciennes, qui faisaient partie de la cour d'Inna et étaient sollicitées immédiatement pour les actions, et les nouvelles", se souvient Eloïse Bouton, contactée par franceinfo. "Au début, la communication interne n'était pas vraiment fluide car elle avait peur des fuites", ajoute Elvire, une ancienne Femen, qui décrit une personne "sûre d'elle" et "autoritaire".

Inna Schevchenko, leader du mouvement Femen, lors d'une manifestation à Paris le 1er février 2014. (MICHEL STOUPAK / CROWDSPARK / AFP)

La personnalité d'Inna Shevchenko a d'ailleurs fait des vagues au sein des Femen France. Dans 20 Minutes, le journaliste Olivier Goujon, auteur de Femen, histoire d'une trahison (éd. Max Milo), rappelle que deux cofondatrices ont été rapidement écartées du mouvement lorsqu'Inna Shevchenko a débarqué à Paris. "Après l'exclusion des membres fondatrices, le mouvement Femen, dirigé par Inna, va s'égarer à plusieurs niveaux", analyse aujourd'hui le journaliste. "En France, ça devient un mouvement vertical, avec le culte du chef. Femen France se concentre sur des actions à très forte plus-value médiatique et oublie le travail de fond", tacle-t-il.

Une vision contestée par certaines Femen interrogées par franceinfo. "Inna, c'est le courage, la droiture, l'intelligence, la tolérance, le partage", défend Patricia, qui a rejoint le mouvement il y a un an et demi. Elle évoque tout de même de "grosses discussions" au sein du mouvement, car "les filles ont du caractère" et "s'envoient dans la gueule""Les débats sont parfois houleux, mais toujours dans le respect", tempère-t-elle, assurant y avoir trouvé, en tant que militante, "plus de démocratie et d'écoute qu'au Planning familial ou au PS".

"Utiliser notre corps est pertinent et nécessaire"

Quoi qu'il en soit, la stratégie mise en place par Inna Shevchenko semble s'essoufler. "Depuis quelques années, il y a une multiplication des groupes et des mobilisations féministes, c'est la fin du côté pionnier qu'elles avaient", explique l'historienne Bibia Pavard. En France, les actions des Femen se font plus rares et beaucoup moins médiatiques. Dernières en date : une manifestation contre la venue du président turc Recep Tayyip Erdogan, le 5 janvier, et une discrète irruption lors d'une manifestation de Civitas contre la PMA, le 21 janvier. Toutes deux passées inaperçues dans les grands médias.

Les Femen sont noyées dans un flot de mobilisations.

Bibia Pavard

à franceinfo

Il faut dire que les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc sont passés par là, fédérant des féministes dans le monde entier, sans forcément qu'elles aient à militer dans la rue et à exhiber leurs seins. Si Eloïse Bouton se décrit comme "une ex-Femen à vie", elle regrette aussi qu'"on attende toujours le moment où je vais enlever mon tee-shirt".

La nudité en aurait-elle lassé certaines ? Pour Inna Shevchenko, hors de question de lâcher cette signature des actions Femen. "Utiliser le corps comme un outil de protestation, de libération, le montrer comme actif, agressif et politique est absolument pertinent et nécessaire", justifie-t-elle, en évoquant la récente action d'une Femen en Italie, lors du vote de Silvio Berlusconi pendant les élections législatives. "L'homme pourtant connu pour son sexisme a dû fuir devant ce corps de femme, faisant clairement la différence entre le corps érotisé et notre corps politique."

Et la méthode fait encore recette. "Le militantisme idéologique est très important, mais, à un moment, exposer son corps et être dans une forme d'engagement total m'a motivée", explique ainsi la nouvelle recrue Patricia.

Bientôt une branche en Iran ?

Dix ans après leur naissance, les Femen entendent toutefois élargir leur mode d'action. La formation politique des militantes est venue compléter leur préparation physique et mentale. Désormais, elles s'engagent dans des tribunes sur les réseaux sociaux quand l'action sur le terrain devient trop dangereuse, comme c'est le cas pour dénoncer la situation des homosexuels en Tchétchénie. "Nous participons non seulement à des débats, mais nous produisons aussi les résultats de notre travail et de nos réflexions", détaille Inna Shevchenko, qui a publié avec Pauline Hillier Anatomie de l'oppression (éd. Seuil), dans lequel elle explique sa vision politique de l'action des Femen.

Dans Rébellion (éd. des femmes), publié également en 2017 par le collectif, des activistes livrent leurs "témoignages liés à [leur] engagement et développent [leurs] idées" sur leurs combats. Finies les seules actions médiatiques, place à la pédagogie. Ainsi, des militantes animent des conférences dans des collèges et des universités afin de sensibiliser la jeunesse, précise encore Inna Shevchenko.

Le salut pourrait également venir de la propension du collectif à se développer à l'international. Dix ans après sa naissance, le mouvement Femen est désormais présent dans huit pays, dont la France, l'Espagne, la Suède, l'Allemagne, le Canada ou encore la Turquie. L'activité a repris dans son berceau ukrainien, et un groupe de femmes iraniennes les a récemment contactées pour lancer une branche dans la République islamique. Inna Schevchenko espère bien y poursuivre son "rêve d'une internationalisation du mouvement".

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