Cet article date de plus de six ans.

Maurice Genevoix au Panthéon : "C’est le témoin que l’on honore" affirme l'écrivain Michel Bernard

Publié
Temps de lecture : 6min
Article rédigé par franceinfo - Édité par Thomas Pontillon
Radio France

L'écrivain Michel Bernard, auteur de "Pour Genevoix", était l'invité de franceinfo mardi. Il a réagi à l'entrée de Maurice Genevoix au Panthéon annoncée dans la journée par Emmanuel Macron. 

Avec l'entrée de Maurice Genevoix au Panthéon, annoncée mardi 6 novembre par Emmanuel Macron, "c’est le témoin que l’on honore" affirme l'écrivain Michel Bernard, auteur de Pour Genevoix et ancien sous-préfet de Reims. "Parce que si le soldat inconnu n’a pas de témoin, il est pire qu’inconnu, il n’existe plus", poursuit-il, assurant que Maurice Genevoix "disait la vérité telle qu’il la voyait, sans a priori, sans chapelle, sans querelle. Grâce à lui, cette expérience des hommes du front va voyager dans le temps".

franceinfo : Pourquoi Maurice Genevoix n’était-il pas déjà au Panthéon ?

Michel Bernard : À une époque, il était extrêmement célèbre, lorsqu’il est mort en 1980, il a eu des obsèques nationales. C’était une figure littéraire majeure. On le voyait régulièrement dans l’émission de Bernard Pivot, il était un grand écrivain et un brillant causeur, il avait beaucoup d’humour. C’était un homme qui passait très bien à la télévision. Et puis je crois que la génération suivante, celle de 1968, a été rebutée par l’aspect officiel de Maurice Genevoix : secrétaire perpétuel de l’Académie française, académicien, très classique. Une vision non partisane, ni droite ni gauche. On était à une période - dont on est sans doute sortis - où on faisait une lecture toujours partisane de la Grande Guerre. Et Genevois était en deuxième ligne, parce qu’il disait la vérité telle qu’il la voyait, sans a priori, sans chapelle, sans querelle. La vérité qu’il avait connue. Il avait perdu l’usage du bras gauche.

C’était son but d’être la voix des Poilus et des tranchées ?

Non. Il a écrit d’abord pour se soigner de la guerre. Il est sorti de là complètement traumatisé, les combats des Éparges ont été absolument épouvantables. Il dit qu’il a vu mourir près de lui, parfois qu’il a tenu près de lui, 100 hommes, jeunes. On n’en sort pas indemne. Il a écrit pour se vider de la guerre, pour survivre lui-même, d’abord comme thérapie. Et puis le scandale de la mort d’hommes jeunes, c’était insupportable. C’est un homme hyper-sensible, c’est d’abord pour lui-même qu’il a écrit et pour ses camarades. Pour qu’on n’oublie pas ces pauvres garçons qui souvent étaient des gens très simples, des ouvriers, des paysans qu’il commandait pour certains parce qu’il était chef de section. Qu’il connaissait parce qu’il a vécu 6 mois avec eux avant ces combats terribles des Éparges. Leur disparition était pour lui un scandale alors qu’ils avaient la vie devant eux et qu’ils étaient pleins de vie justement. C’étaient des hommes de talents, de l’intelligence, du savoir-faire. Et puis une balle, un éclat d’obus, un ensevelissement dans la boue, et ils n’étaient plus. Mais dans son récit, il n’a pas d’a priori. Il est patriote, mais pas nationaliste, et il fait la guerre comme les autres, en bon républicain. Il faut défendre le pays car la France est envahie à ce moment-là et les soldats ont l’impression de se battre chez eux, pour défendre leur sol. Après, on se demande pourquoi on perd autant d’homme pour prendre ce point, cette colline, alors qu’il y a derrière d’autres collines qu’il faudra prendre aussi. Et à la fin, à la dernière colline, il n’y aura plus d’hommes pour la prendre. Voilà les questions qu’ils se posent. Ils ne comprennent pas pourquoi on s’obstine à les envoyer à ce massacre.

Le fait qu’Emmanuel Macron le fasse entrer au Panthéon, alors qu’il n’a pas une lecture idéologique de la guerre, est-ce une façon d’être dans quelque chose de plus consensuel, un siècle après ?

Surtout, c’est une manière de dire que l’hommage aux combattants a été rendu, il est solennel, il est grandiose : c’est le soldat inconnu, il est sous l’Arc de Triomphe. L’association de Maurice Genevoix au Panthéon a un autre sens. C’est le témoin que l’on honore. Parce que si le soldat inconnu n’a pas de témoin, il est pire qu’inconnu, il n’existe plus. Un jour, s’il n’y a personne pour raconter ce qui s’est passé, on ne comprendra plus pourquoi sous cette dalle de pierre, il y a un homme qui ne porte pas de nom. Grâce à Maurice Genevoix, ce témoignage est porté par une langue exceptionnelle, d’une grande beauté. Ce livre est un témoignage véridique, détaillé, précis, mais c’est aussi un chef d’œuvre littéraire. Grâce à Maurice Genevoix, cette expérience des hommes du front va voyager dans le temps. C’est ce que nous disons en désignant Maurice Genevoix pour le Panthéon. Il n’y a plus de témoins, il n’y a plus que les livres. Il n’y a pas d’images des combats, ni de sons. Avec ces livres, on a le visage, la voix des hommes et on a ce qu’ils ont subi et ce qu’ils ont fait et leur courage, parce que ces hommes ont tenu.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.