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L’Angle éco. Philippe Doucet : “La loi reste supérieure à la foi”

Quelle laïcité promouvoir aujourd’hui en France ? Député du Val-d’Oise et responsable des questions de laïcité au Parti socialiste, Philippe Doucet travaille à l’élaboration d’une charte sur ce sujet. Entretien pour "L'Angle éco".

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Pour Philippe Doucet, député PS, la laïcité, "c’est avant tout une liberté" (L'Angle éco / France 2)

Le concept de laïcité soulève actuellement en France des interrogations, et parfois même des inquiétudes. "L'Angle éco" a interrogé Philippe Doucet, député socialiste et ancien maire d'Argenteuil, responsable des questions de laïcité au PS. Il travaille à l’élaboration d’une charte de la laïcité, "valeur essentielle du pacte républicain", qu'il souhaite ouverte, à l'image de la société française.

Quel sens donnez-vous au terme laïcité ?

Philippe Doucet : La laïcité, c’est selon moi la liberté de croire ou de ne pas croire. C’est avant tout une liberté, et la légitimation du fait de ne pas croire. Aux Etats-Unis, par exemple, vous avez certes la liberté de conscience, mais le fait d’être athée peut être mal perçu. En France, non. La laïcité garantit en même temps la liberté de croire et le libre exercice des cultes. Depuis 1905, chaque religion se gère elle-même. Les cultes s’organisent hors des logiques de l’Etat.

Y a t-il une mauvaise compréhension de la laïcité en France ?

La loi de 1905 est mieux connue qu’il y a dix ans, mais elle n’est connue que par 51% de la population, et 30% des Français considèrent encore que l’Etat et l’Eglise s’arrangent entre eux. Aujourd’hui, le sujet majeur est le rapport à l’islam. Les Français ont le sentiment que la laïcité est menacée du fait de l’islam.

Pourquoi cette crispation ?

Nous sommes dans un pays très sécularisé. Il y a cinquante ans, vous rencontriez des curés partout ! Progressivement, les gens n’ont plus affiché leur religion dans la sphère publique. L’islam en France est une nouvelle visibilité religieuse qui dérange beaucoup de Français.

Faut-il y voir une certaine islamophobie ?

Je pense que ce n’est pas le cœur du sujet. Les Français ont surtout envie d’avoir une société sécularisée. Peu importe l’affirmation religieuse, ils considèrent que cela relève de la sphère privée.

Vous avez appelé en 2015 à l’adoption d’une “grande charte de la laïcité” en France. Pour quelles raisons ?

La gauche a respiré la laïcité pendant des décennies sans aucun problème. C’est une valeur de gauche. Le Front national nous a “volé” la laïcité, en faisant de ce concept un argument antimusulman. Nous avons eu des points de vue différents à gauche et n’avons pas été capables de réagir sur ce sujet. Il y a eu des divergences. Certains considèrent que la laïcité est une valeur d’émancipation et qu’elle est une valeur contre les religions : la loi doit être au-dessus de la foi. D’autres expliquent que l’on présente avant tout la laïcité dans une logique discriminatoire, de stigmatisation.

Votre vision de la laïcité est-elle différente de celle de Manuel Valls, par exemple ?

Pas vraiment, même s’il peut y avoir des différences d’expression. Il a peut-être une vision plus stricte, plus forte de la laïcité. Il considère qu’il s’agit d’une valeur essentielle du pacte républicain.

En tant que maire, vous aviez notamment défendu l’ouverture d’un Quick halal à Argenteuil en 2010…

Il y avait une logique de marché. Quick a réalisé une analyse en se demandant où l’ouverture d’un Quick halal serait possible. En tant que maire, mon sujet était la diversité de l’offre. L’essentiel était que les habitants aient le choix, et ils l’avaient : il y avait un McDonald’s à 50 mètres du Quick halal. J’aurais été en désaccord avec ce projet s’il n’y avait pas eu de restaurant McDonald’s à côté.

Que répondez-vous aux personnes qui vous ont critiqué pour ce choix ?

Nous parlons toujours de “logique communautaire” pour les musulmans, jamais pour d’autres communautés. Il y a certain prisme à ce niveau-là. Des gens veulent manger halal, d’autres veulent manger portugais ou chinois. Ma priorité, c’est le choix, la diversité commerciale. Dans un quartier d’Argenteuil où se trouvaient déjà une boucherie halal et un traiteur chinois, j’ai insisté pour que l’on ouvre une boucherie traditionnelle. L’enjeu, c’est que chacun y trouve son compte.

Certains maires refusent pourtant l’ouverture de commerces halal. Manuel Valls s’était lui-même opposé à un Franprix halal à Evry lorsqu’il était maire de la ville.

A l’époque, ce supermarché Franprix ne proposait que de la viande halal [le supermarché ne vendait ni porc ni alcool, ndlr]. Ce n’était pas possible. Là où il y a une boucherie halal, il faut une boucherie qui ne l’est pas. Ce n’est pas qu’une question de religion, c’est surtout un problème de choix.

Comment expliquer cette crispation de certains élus locaux vis-à-vis du développement de commerces halal ?

Du fait de la ghettoïsation de la société, des personnes ont peur de ne plus avoir le choix dans certains quartiers. Les gens voient également le halal avant tout à travers sa dimension religieuse : pour beaucoup, c’est une logique cultuelle. Mais n’oublions pas qu’il n’y a pas si longtemps, nous mangions tous du poisson le vendredi à l’école !

Quels sont aujourd’hui les principaux défis de la laïcité en France ?

Il faut que l’islam de France s’organise. En France, nous devons aussi rappeler qu’il y a le droit de blasphème. Nous avons le droit de nous moquer des religions. Il faut enfin que ceux qui sont dans le camp de 1789 se mettent d’accord sur le sens du mot laïcité. Nous devons réaffirmer cette valeur et rappeler les règles, qui sont toutes simples.

Le fait religieux en entreprise est-il, selon vous, une question qui émerge en France ?

Nous sommes en train d’étudier la question. Nous voyons bien que c’est un phénomène qui monte, nous regardons comment les entreprises gèrent le sujet. La loi de 1905 et la jurisprudence sont très riches sur la question. Les entreprises doivent s’en saisir. Elles peuvent écrire un règlement intérieur, par exemple. Cette question est du ressort de l’entreprise. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être vigilant. Mais pour une affaire Baby-Loup... pour un train en retard, combien avez-vous de trains à l’heure ?

Il s’agit néanmoins d’une question qui se pose de plus en plus.

Il y a aujourd’hui des personnes pour qui l’affirmation religieuse est plus importante qu’il y a vingt ans. Ce n’est pas pour autant qu’il faut revenir sur la loi. La loi reste supérieure à la foi.

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