Dans un bidonville Rom, en sursis, en Seine-Saint-Denis
Difficile de passer la grille recouverte de grandes bâches bleues, pour se cacher des regards. C'est l'entrée, jonchée d'ordures, en pleine ville de Pantin, d'un terrain inusité de Réseau ferré de France (RFF), investi depuis le mois de février par 150 à 350 Roms, hommes, femmes et enfants, tous venus de Bucarest et sa banlieue, en Roumanie.
_ Rien à voir avec les "gens du voyage". Le nomadisme leur est inconnu. Là-bas, ils sont sédentaires, depuis plusieurs siècles.
Le voisinage a ainsi vu, incrédule, entrer et sortir, jour après jour, des hommes portant des planches, des palettes, des couvertures... le temps de construire ce qui ressemble aujourd'hui à une véritable ruelle, avec ses petites cabanes, à peine à hauteur d'homme, alignées des deux côtés. Y vivent des familles. Les femmes, en jupes longues et foulards, quittent le camp en procession le matin vers le métro, pour aller faire la manche. Tandis que les hommes font "dans la ferraille", récupérant tout ce qui peut l'être, dans les rues ou à même les poubelles.
Ici, photo impossible. Si les premières femmes croisées, dans cette ruelle de bric et de broc, vous réservent un large sourire, quelques gros bras viennent vous expliquer que " la sortie, c'est par là " , qu'il est urgent de "dégager"...
_ Le camp est sur la défensive. Nervosité palpable. Est-ce la réunion de Nicolas Sarkozy ? Personne ici n'est au courant. C'est plutôt la perspective d'une nième expulsion qui les effraie.
Et pour cause : quelques minutes plus tard, une voiture banalisée se gare devant l'entrée. Quatre personnes en sortent. Des représentants de la préfecture venus leur signifier leur imminente évacuation. Pour Juan Rodriguez, président de l'association Coup de main, "ça peut aller très vite".
Allers-retours entre la France et Bucarest
Juan Rodriguez fait partie des quelques organisations qui ont leurs entrées dans "le bidonville". Ce Colombien a pris fait et cause pour les Roms et monté cette association, cousine d'Emmaüs. Elle aussi récupére à tour de bras, pour redistribuer vêtements, couvertures, matériels, et en revendre une partie pour se financer et faire de l'insertion.
Pour lui, expulser n'est pas une solution. C'est même devenu un "mode de vie" pour beaucoup de Roms, mode de vie "pendulaire", dit-il, rythmé par les allers-retours à Bucarest. Selon Juan Rodriguez, la majorité n'a qu'un rêve en tête (le même qu'une majorité de Français d'ailleurs) : construire en Roumanie.
S'ils migrent, c'est par nécessité. "Ils migrent en famille, glanent quelques centaines d'euros pendant plusieurs mois, puis rentrent au pays pour y bâtir un pan de mur, deux fenêtres... repartent encore, et ainsi de suite", raconte Juan Rodriguez.
_ Les problèmes d'hygiène, les jerricanes d'eau qu'il faut aller remplir dans les stations-services faute d'accès direct à l'eau potable, la mendicité ? Moindres maux, dans l'espoir d'une vie meilleure et installée en Roumanie.
Et les expulsions ? Un processus vain. Certains profitent à cette occasion de l'aide au retour volontaire, délivrée par l'OFII, l'Office français de l'immigration et de l'intégration : environ 300 euros par adulte et 150 par enfant. Mais, souvent, ils reviennent.
_ D'autres se dispersent dans la nature et reconstruisent de toute pièce en quelques jours un village de fortune, un peu plus loin, dans des conditions chaque fois plus difficiles. Selon Médecins du monde, "ces expulsions créent une spirale de la précarité lourde de conséquences sur la
santé". Les Roms, citoyens européens, vivraient en France "avec des indicateurs comparables à ceux des pays en voie de développement" : une mortalité néonatale neuf fois supérieure et une espérance de vie autour de 50-60 ans.
D'autres enfin, rares, trouvent un travail légal, obtiennent ainsi des papiers, scolarisent leurs enfants (alors que l'école leur est quasi-fermée en Roumanie) et s'installent dans les quelques structures qui leur sont dédiées.
Nicolaï, 23 ans, après avoir connu les baraques sous un pont, "les rats" et les expulsions, vit dans un village d'insertion à Saint-Denis. Il occupe avec sa femme et son enfant un Algecco. Il travaille comme salarié à Coup de main. Pas question pour lui de rentrer à Bucarest.
Juan Rodriguez ne nie pas les larcins ou les petits trafics, commis par certains Roms, "propres, dit-il, aux populations qu'on laisse en marge". Après des mois de négociations avec la DDE, son association a obtenu de louer un terrain, pour y installer des appartements en préfabriqué. Le lieu, prêt à ouvrir, s'appellera "la passerelle" : un lieu d'accueil provisoire, pour passer des cabanes à un futur appartement en dur, pour aider à l'insertion de quelques familles.
En attendant, certaines mairies font mine de ne pas voir les "bidonvilles", avant de solliciter l'expulsion. Apporter l'eau, l'électricité ou organiser le ramassage des ordures, signifierait officialiser l'existence de ces camps de fortune. Les lieux se transforment donc rapidement en décharge à ciel ouvert... que n'a de cesse de voir s'évanouir le voisinage.
Reportage de Cécile Quéguiner
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