Crachats, insultes, coups à la mâchoire... Des pompiers racontent comment ils sont passés de héros à cibles d'incivilités
Inquiets pour leur sécurité, les soldats du feu attendent des réponses concrètes pour mettre fin à ces violences de plus en plus fréquentes.
Quatre agressions en 48 heures et 56 plaintes depuis le début de l’année. Les sapeurs-pompiers de l'Essonne ont dénoncé, lundi 16 septembre, leur quotidien de plus en plus souvent marqué par des violences dans le cadre de leurs fonctions. Une situation qui concerne l'ensemble du territoire national, avec sept pompiers agressés par jour en 2017, selon l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP).
#TouchePasàMonPompier Sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, Personnels administratifs, techniques et spécialisés, Élus... Nombreux sont ceux à s'être regroupés ce matin en soutien aux sapeurs-pompiers agressés ces derniers jours dans le département #Solidarité pic.twitter.com/isjqGG3SXu
— Sapeurs-pompiers 91 (@sdis91) September 16, 2019
Alors que le 126e congrès national des sapeurs-pompiers se déroule du 18 au 21 septembre à Vannes (Morbihan) et devrait être "l'occasion de parler" de ces incivilités, des soldats du feu se confient à franceinfo.
"Je vais vous tuer"
Le 14 septembre dernier, à Etampes, Paul*, pompier depuis dix-sept ans au Sdis (Service départemental d'incendie et de secours) de l'Essonne, intervient avec un collègue après un appel passé en fin de matinée pour une fuite dans un appartement. Sur place, devant une porte fermée et un appartement a priori vide, ils tentent de trouver le gardien et tombent sur son fils, très agressif.
Il nous insulte et nous menace de mort. La raison ? On ne sait pas.
Paul, sapeur-pompierà franceinfo
Le fils du gardien s'avance vers les deux hommes avec la ferme intention d'en découdre. "On essaie de temporiser, de le raisonner mais c'est un déluge d'insultes qui s'abat sur nous." Paul tente de maintenir une certaine distance avec le jeune homme agité, qui répète : "Je vais vous tuer". La situation dégénère lorsque le pompier informe l'agresseur qu'il appelle la police. "Je tourne alors la tête et je me réveille au sol." Le jeune homme lui a décroché un coup dans la mâchoire, lui faisant perdre connaissance. "Je me relève et j'en reçois aussitôt un autre." Le fils, rejoint par un ami, en profite pour aller à son véhicule pour se saisir d'un objet. "On a vu que c'était une machette et on s'est mis tout de suite à courir", raconte à franceinfo le sergent, qui a eu cinq jours d'ITT. "C'est l'instinct de survie qui prend le dessus, mais c'est inacceptable qu'aujourd'hui on en soit arrivé là."
Des insultes, des crachats et des coups
De permanence la semaine où les quatre agressions se sont produites dans différents endroits "apparemment sans risque", le lieutenant-colonel François Schmidt, qui supervise 13 centres de secours dans le nord de l'Essonne, constate aussi que les insultes sont devenues plus fréquentes.
Crachats, insultes, jet de liquide biologique, lancer de cailloux ou coups de poing... L'intégrité de nos pompiers est mise à mal. Il faut que cela s'arrête.
François Schmidt, lieutenant-colonelà franceinfo
Même conclusion du côté de Yannick Ténési, président départemental du Syndicat national des sapeurs-pompiers professionnels (SNPP PATS78). Lui aussi a vécu des agressions. L'une d'elles – "en 2009, preuve que le phénomène est loin d'être nouveau", précise-t-il – a profondément marqué ce quadragénaire, aux 28 années de service. "Nous intervenions régulièrement chez une famille dont le fils de 18 ans faisait des tentatives de suicide, la nuit. Le père restait en retrait, mais nous reprochait toujours de faire trop de bruit. Je me méfiais de lui car, en plus d'être grand et massif, il avait pas mal d'armes chez lui." Ce jour-là, la mère appelle les pompiers en pleine journée, en expliquant que son mari avait fait une tentative de suicide. "Elle nous attendait en bas de l'immeuble et nous a informés que son mari, très violent, était enfermé chez eux."
Ne connaissant pas l'état de la victime, les pompiers sont dans l'obligation d'intervenir rapidement, sans attendre l'arrivée de la police. "La porte s'ouvre et une avalanche de coups s'abat sur mes deux collègues, qui arrivent à s'extirper tant bien que mal. Je me retrouve coincé dans un couloir, sans possibilité d'esquiver, face à un homme hors de lui qui se met à me frapper. Je lui réponds coup pour coup et arrive à prendre le dessus." L'homme, éméché, se retranche dans son appartement et son fils prend le relais. Le pompier finit par s'extraire et redescendre. "Quatre policiers étaient en bas de l'immeuble mais ils n'ont pas voulu monter. Nous avons déposé plainte mais elle a été classée sans suite car il n'y a pas eu d'incapacité de travail."
Sept pompiers agressés par jour
Les chiffres confirment ces récits. L'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) révèle ainsi qu'entre 2008 et 2017, le nombre d'agressions de pompiers déclarées a plus que triplé (+213 %), pour atteindre 2 813 pompiers agressés en 2017. Pour Yannick Ténési, deux types d'agressions prédominent : celles, organisées, "où l'on tombe dans un guet-apens et l'on se fait caillasser ou, pire, où des cocktails Molotov sont lancés sur nos véhicules" ; et celles qui surviennent lors des interventions, "quand les circonstances se dégradent et que quelque chose ne plaît pas à la victime secourue ou à son entourage." Le pompier évoque des agresseurs sous l'emprise de l'alcool ou souffrant de problèmes psychologiques, qui deviennent agressifs. "Avec eux, un mot de travers et cela part", observe-t-il amèrement.
Selon lui, cette violence a toujours existé, mais l'évolution des relations entre la population et les pompiers joue. "Avant, les pompiers répondaient à une agression physique par un coup de poing. Aujourd'hui, nous devons discuter pour tenter de désamorcer la situation", explique-t-il. "Nous devons faire attention à tout ce que l'on dit et fait pour éviter que cela se retourne contre nous avec un dépôt de plainte. En face, il n'y a plus aucun tabou, interdit, plus de limites. On agresse les pompiers."
Nous sommes devenus des assistances sociales ou des psys.
Yannick Ténési, sapeur-pompierà franceinfo
La hausse des statistiques s'explique aussi par le fait que les pompiers sont de plus en plus encouragés à porter plainte. "Dès le retour à la caserne, un soutien est mis en place", détaille le lieutenant-colonel François Schmidt, qui espère une prise de conscience de la société et des réponses pénales "fortes". "Nous accompagnons les pompiers agressés dans toutes leurs démarches et une cellule psychologique est à leur disposition."
"Pourquoi nous ?"
Devenus une cible pour une partie de la population, ces soldats du feu se posent tous la même question : "Pourquoi nous ?" Et pour cause : ils bénéficient d'un taux de confiance de la part de la population française quasi total. Avec 99%, selon l'enquête du cabinet d'études allemand GFK Verein publiée en 2014, ils sont en tête devant les infirmières, les urgentistes, les pharmaciens et les pilotes de ligne. Paul, qui reprendra le travail à la fin du mois, reste dans l'incompréhension après son agression en septembre : "Ce n'est pas notre métier, ça. Je n'ai pas peur mais j'ai un sentiment de dégoût. Nous sommes proches des gens, nous sommes là pour les aider. Pourquoi on en est arrivé là ?"
"La plupart s'interrogent, sans trouver de réponse à leur souffrance", confirme Marjorie Mercier, responsable du club des Sdis, un réseau privé entièrement dédié aux sapeurs-pompiers de France. La jeune femme relève un sentiment d'injustice de la part des victimes, qui déplorent une "faible prise en charge de ce problème de violence et à qui on propose peu d'outils pour répondre." Actuellement, les Sdis organisent dans leurs casernes des formations de prévention type "conversation non violente" ou "anticipation des conflits". "Mais rien n'est proposé pour agir ou réagir une fois dans la situation de conflit ou d'agression", déplore la responsable du club.
Yannick Ténési pointe, lui, le manque d'accompagnement des policiers : "Avant, dès que l'on intervenait sur la voix publique, il y avait la police. Maintenant, par manque de voiture et d'officiers, elle est de moins en moins présente. Et nous, nous n'avons ni la technique ni les armes pour répondre à la violence." En attendant une action du gouvernement, c'est à chaque département de trouver des solutions. Le Sdis de l'Essonne réfléchit à équiper ses sapeurs-pompiers de caméras-piétons, à l'instar des policiers municipaux, pour lutter contre les agressions. "Ça permettra de prouver la bonne foi des pompiers mais cela ne dissuadera pas les agresseurs", estime le sapeur-pompier. Pas question de renoncer à leur mission, même si lui et ses collègues sont désormais plus vigilants quand ils sont appelés sur des zones "à risque" : "Notre mission sera toujours plus forte que notre crainte."
* le prénom a été changé, à la demande de l'intéressé
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