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Congé de deuil après la mort d'un enfant : "On n'arrête jamais de le pleurer", témoignent des parents

Les députés LREM ont promis d'allonger la durée du congé de deuil parental, après un refus initial qui a suscité l'indignation. Franceinfo a recueilli les témoignages de parents concernés, qui veulent être "reconnus pour ça".

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
L'allongement du congé de deuil parental de 5 à 12 jours a fait l'objet de débat houleux, après qu'une proposition de loi centriste a été rejetée par les députés LREM et le gouvernement. (AWA SANE / BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

"Ça me met hors de moi quand j'entends dire que notre deuil coûte de l'argent à l'entreprise", s'indigne Séverine. L'allongement du congé de deuil parental – de 5 à 12 jours – a fait l'objet de débats houleux, après qu'une proposition de loi centriste a été rejetée par les députés LREM et le gouvernement. Au point qu'ils ont fini par rétropédaler. "Je ne sais pas s'ils se rendent compte de la violence de leurs propos. On est en train de nous dire 'ce que vous ressentez, on s'en fout'", déplore cette infirmière de 44 ans originaire de Loire-Atlantique.

Son fils Elouan est mort au printemps 2018 à l'âge de 11 ans. Les médecins lui avaient diagnostiqué un lymphome qui n'a jamais cessé de progresser pendant deux ans. Séverine se souvient dans le moindre détail de cette nuit du 5 mai. Elouan était essoufflé, en sueur, il grimaçait. Elle s'est installée dans son lit, elle l'a pris dans ses bras et lui a fait "ses papouilles", des caresses sur les jambes qu'il aimait tant. "Je lui ai dit que tout allait bien se passer, qu'il pouvait partir tranquillement."

Et puis à 7h30, "il a ouvert les yeux d'un coup en prenant une grande inspiration. Ses yeux se sont fermés. Il a repris une grande inspiration, et c'était terminé." Il a ensuite fallu appeler la mairie, les pompes funèbres, avertir les proches, décider d'un cercueil, d'une messe… "On ne peut pas faire ça en quelques jours et le lendemain tout va bien", souffle-t-elle d'une voix étranglée.

Un tourbillon administratif

Combien de temps faut-il pour faire le deuil de son enfant ? "Evidemment qu'on ne peut pas déterminer le deuil en nombre de jours, mais cette proposition de loi est avant tout une façon de reconnaître notre drame", répond Pascal, 61 ans, habitant en Ile-de-France. Son fils s'est suicidé une fin d'après-midi de 2004. Il était encore à son bureau quand sa femme l'a appelé pour lui annoncer qu'elle avait retrouvé leur Tanguy, 18 ans, pendu à la maison. "Je me suis écroulé", raconte-t-il après un silence, s'excusant "d'avoir des émotions".

Trois ans plus tôt, Tanguy avait déjà fait une tentative de suicide en se jetant d'un pont. Il avait survécu après un coma de plusieurs jours. "Pris dans l'euphorie de son retour à la vie, je n'ai pas cherché à comprendre davantage. Je suis prêt à le dire maintenant : il y avait une part de déni en moi. Je n'ai pas vu venir cette récidive." La souffrance et le mal-être de Tanguy étaient tels qu'il éclipsait lui-même toute allusion.

Je crois que j'étais coupé de mes émotions, comme un automate. Je n'ai versé aucune larme lors des cérémonies. C'était comme un rempart psychologique qui m'a permis de tenir et de survivre.

Pascal

à franceinfo

Les souvenirs des jours suivants sont baignés de brouillard, d'un mélange flou de sidération, de douleur, d'images des voitures de police et des pompiers penchés sur le corps de Tanguy. Pascal se retrouve au cœur d'un tourbillon administratif qui lui laisse peu de répit : répondre aux questions de la police, des pompiers, signer des papiers, prévenir l'entourage, organiser les cérémonies pour sa famille et celle de son épouse. Et veiller sur son autre enfant, Elsa. "Elle était à la maison quand on a retrouvé Tanguy. Elle n'avait que 12 ans."

"Il n'y a pas d'aide pour la mort d'un enfant"

Si la mort est un acte administratif, elle a aussi un coût. En plus des papiers à remplir, des appels à passer aux assurances, les familles doivent verser des sommes conséquentes pour les frais d'obsèques. "Il n'y a pas d'aide pour la mort d'un enfant. Et s'il y a en a, c'est à nous d'aller les chercher et de les demander", reprend Séverine, la mère d'Elouan. Sa famille a dû verser 7 000 euros de frais d'obsèques après la mort de leur garçon. "Ce n'est pas une somme qu'on sort comme ça. Surtout quand on a passé des mois sans travailler pour s'occuper de son fils."

Pour payer les frais médicaux, les courses du quotidien, Séverine a dû vendre son cabinet d'infirmière libérale, sa voiture, faire des concessions, être à découvert. "Vous passez d'une situation financière correcte à pas grand-chose pour vivre. Après le décès d'Elouan, je me suis retrouvée dans une misère psychologique et financière", décrit-elle.

Quand les jours de votre enfant sont comptés, vous n'avez pas envie de lui montrer que vous galérez. Vous avez juste envie de lui donner un maximum de plaisir, qu'il parte en ayant l'impression qu'il avait vécu ce qu'il avait à vivre.

Séverine

à franceinfo

La veille de sa mort, alors qu'il sentait qu'il s'affaiblissait brusquement, Elouan a demandé à goûter un taco, une spécialité mexicaine. "Il a dit : 'Je n'en ai jamais mangé, j'aimerais bien en goûter un avant de mourir', se souvient Séverine. A ce moment, tu n'as pas envie de lui répondre que tu ne peux pas le lui payer et que c'est difficile à trouver où on habite." Elle finit par trouver le sandwich. "Elouan a picoré deux-trois bouts de viande, il a surtout mangé la galette. Même manger était fatigant pour lui."

"J'ai enchaîné les arrêts-maladie"

Personne n'a la même réaction face à la mort. Pour certains, l'énergie dépensée à accompagner son enfant ne retombe pas. "Les premiers mois, j'avais du mal à redescendre de ce niveau de combat que je m'étais imposé. Je continuais à parler énormément d'Elouan, je me disais que je devais continuer à être forte pour lui", témoigne Séverine.

Il y a toute une période où j'essayais de me sentir bien. J'allais à des concerts, des festivals avec des amis. Dans un monde idéal, on peut rester comme ça, mais à un moment donné, on s'écroule et on réalise que notre vie ne sera plus jamais la même.

Séverine

à franceinfo

Pour d'autres, il s'agit de reprendre le travail le plus vite possible. Pour penser à autre chose, pour s'occuper, reprendre un rythme… David n'a tenu que quelques mois après la mort de César, à l'âge de 10 ans, d'un cancer du système nerveux. "J'ai repris le travail rapidement et je n'aurais pas dû. Je n'étais pas prêt, j'ai enchaîné les arrêts-maladie", raconte ce père de 43 ans, originaire d'Istres (Bouches-du-Rhône). La mort de son fils a pu parfois lui faire perdre pied. Comme ce jour où il s'est levé de son bureau à 16h30 pour aller chercher César à l'école.

"Il y a au moins une année où l'on a des ressentis très forts, de la colère, de la tristesse, de la joie…", reprend David. Il se rattache à ses souvenirs, notamment aux questions ingénues que César posait. "Il me disait : 'On va se séparer pendant longtemps, tu vas être triste ?'", sourit-il. Je lui répondais : 'L'éternité te paraîtra comme un claquement de doigt, et pour moi, ce sera le temps qui restera avant de te retrouver'."

Les choses de la vie comme les séparations n'ont plus d'emprise sur moi. J'ai énormément de mal à aimer comme avant. Je vis avec mon fils et je ne cesserai de vivre pour lui. Mais je sais qu'il faut que j'apprenne à donner une nouvelle place au monde des vivants.

David

à franceinfo

Au bout d'un an, David démissionne. Il devient travailleur indépendant dans la communication. Il rejoint une association, Le Point Rose, avec laquelle il rencontre d'autres parents endeuillés, dont les témoignages l'aident à se sentir moins seul. "Globalement, je crois que je voulais de la vie dans ce qui paraissait ne plus en avoir", confie-t-il.

"Ils sont tous partis"

A mesure que les semaines, mois, années passent, tout le monde ne reste pas auprès des parents inconsolables. Avec le temps, les mots, les gestes, les attentions se font plus rares. Il faut apprendre à vivre avec l'absence et la solitude. "Tu n'es jamais préparée. Tu as porté cet enfant, tu as plein de projets pour lui, tu projettes ta vie à travers lui et d'un seul coup, il n'est plus là, et tu te demandes ce que tu dois faire", pleure Mélisa, 36 ans. Gisèle, son bébé de 6 mois, est morte dans ses bras, en 2017. Elle était née avec une grave malformation gastrique.

"Le papa de Gisèle m'avait abandonnée en début de grossesse, j'ai dû tout gérer seule", reprend Mélisa. Ses parents et sa cousine restent à ses côtés, mais le reste de la famille disparaît. "Personne n'a supporté, ils sont tous partis. La plupart sont parents et c'était trop pour eux de faire face à la maladie et la mort d'un enfant, et à ma tristesse", raconte-t-elle, des sanglots dans la voix.

On considère que perdre un parent, un frère ou une sœur, c'est 'normal', car c'est un adulte. Mais dès que la mort touche un enfant, les gens sont terrorisés, comme si c'était contagieux.

Mélisa

à franceinfo

Dans l'entourage, il y a ceux qui ont trop peur d'affronter la douleur et vous évitent, ceux qui conseillent de "passer à autre chose" ou qui relativisent. "J'ai entendu des choses horribles. On m'a conseillé de 'prendre un petit mois pour me requinquer', ou de me 'reprendre en main pour que ma fille soit fière de moi'", reprend Mélisa, amère. On lui fait même comprendre que le décès de Gisèle est peut-être "une bonne chose", puisqu'elle était malade.

On vit dans une société où les gens attendent que vous vous reconstruisiez de manière révolutionnaire. On le voit dans les thèmes des émissions l'après-midi. C'est toujours 'J'ai eu un cancer, voilà comment j'ai superbement reconstruit ma vie, etc.

Mélisa

à franceinfo

Un an plus tard, lorsque Mélisa tombe enceinte de son deuxième enfant, l'existence de Gisèle reste toujours tabou. "Durant la préparation à l'accouchement, la sage-femme m'a demandé de dire que c'était mon premier enfant. Il ne fallait pas que je parle de la maladie et de la mort de Gisèle pour ne pas angoisser les autres parents", illustre-t-elle. "En fait, c'est la personne qui va le plus mal qui doit se taire pour cajoler les autres. C'est quand même risible."

"Il n'y a même pas de mot pour le dire"

"Perdre un enfant est tellement impensable qu'il n'y a même pas de mot dans la langue française pour le dire", renchérit David, le père de César. Les enfants sans parents deviennent orphelins, les épouses privées de leur mari, des veuves… Les parents qui ont perdu leur enfant ? On les appelle parfois des "parents orphelins", mais "même pour l'administration, il n'y a pas de case pour eux. Ils sont effacés des registres. Je suis devenu 'père sans enfant', alors que c'est faux", relève-t-il. Pourtant, "tous les jours, quelque chose vous rappelle que votre enfant est mort". Ce gâteau qu'il aimait tant, ce parc qu'il fréquentait, cette chanson qu'il fredonnait, cet ami qu'il aurait pu avoir ou ce métier qu'il aurait peut-être choisi.

Même si on avance, même si on est heureux à nouveau, on a toujours cette blessure. C'est un deuil qu'on ne fait jamais vraiment. Il y a la résilience qui vient, mais on n'arrête jamais de pleurer son enfant.

Mélisa

à franceinfo

Seize ans après la mort de Tanguy, Pascal confie avec pudeur s'être "enrichi" de son deuil. "Je crois que je vaux plus que ce que je valais avant. Je suis plus à l'écoute de mes émotions, de ce que je ressens. La souffrance de la perte d'un enfant nous oblige à aller au plus profond de nous-même", décrit Pascal. Une semaine avant sa mort, Tanguy lui avait demandé : "Est-ce que la vie est noire ?" Pascal avait répondu qu'elle pouvait aussi être "rose et belle". "A 45 ans, je ne savais pas tout ce que je sais de la vie à 61 ans. Aujourd'hui, je lui demanderais sans doute ce qui est noir pour lui", regrette-t-il.

Après la mort d'Elouan, Séverine s'est séparée de son mari. "Son décès a fini d'achever notre couple, on avait nos souffrances de nos côtés et on n'a jamais réussi à se dire : 'Qu'est-ce que tu ressens aujourd'hui ? Qu'est-ce qui te fait mal ?'" Son mode de vie et ses priorités ont aussi changé. "Ça m'a appris à distinguer ce qui est important et ce qui ne l'est pas. Je ne m'énerve plus sur des futilités, je n'en ai plus rien à faire d'avoir de beaux objets. J'essaie de vivre plus simplement", confie-t-elle. Une chose ne changera jamais. "Je serai toujours la maman d'Elouan, décédé à l'âge de 11 ans. Je vis avec et j'aimerais être reconnue pour ça."

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