Cet article date de plus de quatre ans.

Bruno Retailleau a-t-il raison d'affirmer que la France a le plus haut taux d'homicides en Europe ?

Le chef de file des Républicains au Sénat, Bruno Retailleau, a déclaré sur France Inter que le taux d'homicides français était le plus élevé d'Europe. Les données d'Eurostat lui donnent tort.

Article rédigé par franceinfo - Julien Nguyen Dang
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
La police scientifique inspecte une scène de crime, le 18 juin 2020, à Ajaccio (Corse), où un homme d'une trentaine d'années a été abattu par balles. (PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP)

"Il y a un 'ensauvagement' de la société française." C'est ce qu'a avancé sur France Inter le président du groupe Les Républicains au Sénat. Bruno Retailleau était interrogé, mardi 21 juillet, sur les débuts du gouvernement de Jean Castex, et notamment les premiers pas du nouveau garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti.

"Vos auditeurs savent-ils que la France est le pays d'Europe qui affiche le taux d'homicides le plus élevé ?" a lancé Bruno Retailleau. "C'est catastrophique. J'attends de Monsieur Dupond-Moretti, non pas des déclarations, des discours qui soient vus à la télé, j'attends des actes." Franceinfo a vérifié cette affirmation.

La France au 11e rang au sein de l'UE

L'institut Eurostat agrège les données statistiques des pays européens, notamment des membres de l'Union européenne. Il recense, entre autres, le nombre d'homicides volontaires* perpétrés chaque année. Il y a toutefois une limite à l'exercice : les Etats n'utilisent pas tous les mêmes définitions pour comptabiliser ces homicides volontaires, comme le détaille cette note méthodologique*. Les données des homicides involontaires ne sont par ailleurs pas disponibles.

En ce qui concerne les homicides volontaires, donc, le constat est sans appel : avec 1,16 homicides volontaires pour 100 000 habitants en 2018, le taux français est loin d'être le plus élevé d'Europe. Entrés en 2004 au sein de l'Union européenne, deux Etats baltes connaissent un taux bien plus haut : la Lettonie arrive en tête avec 5,22 homicides volontaires pour 100 000 habitants, devant la Lituanie (3,45). En ne comptant que les membres de l'UE, la France arrive en 11e position, derrière la Slovaquie (1,23). En comptant l'ensemble des pays d'Europe dont Eurostat agrège les données, la France recule à la 17e place. 

Sur le reste du continent, plusieurs Etats se démarquent par des taux d'homicides particulièrement élevés comme le révèlent les données de l'Office des Nations unies contre les drogues et le crime* (ONUDC). En Ukraine, où des affrontements ont lieu depuis 2014 sur fond de séparatisme, ce sont 2 751 personnes qui ont perdu la vie en 2017 (derniers chiffres disponibles), soit près de 6,2 pour 100 000 habitants. Frontalière de l'Ukraine, la Moldavie affiche elle aussi un taux élevé de 4,1 homicides pour 100 000 habitants, en 2018. Ces chiffres restent faibles au regard du classement mondial de l'ONUDC, dominé par le Salvador et ses 52 homicides pour 100 000 habitants en 2018, suivi de la Jamaïque (43,85) et du Honduras (38,92).

Outre les petits Etats de Saint-Marin, d'Andorre, de Monaco ou encore du Vatican qui ne dénombrent aucun homicide volontaire en 2018, la Norvège peut cependant se vanter d'être un des pays les plus épargnés avec 0,47 homicides pour 100 000 habitants, juste devant la Slovénie et le Luxembourg. 

Deux fois plus de tentatives d'homicides en 20 ans

Observe-t-on néanmoins une hausse du nombre d'homicides en France ces dernières années ? Pour le vérifier, franceinfo a compilé les données mensuelles du ministère de l'Intérieur relatives aux crimes et aux délits enregistrés par les services de police et de gendarmerie. Parmi les homicides comptabilisés se trouvent notamment les règlements de compte entre malfaiteurs et les coups et blessures volontaires suivis de mort, comme le précise la note méthodologique du ministère.

Alors qu'en 2002 la France déplorait 1443 homicides. Ce nombre a baissé pour atteindre un peu plus de 900 enregistrements par la police et la gendarmerie entre 2013 et 2014.

Depuis 2014, toutefois, le total annuel des homicides augmente de nouveau. En 2019, 1 218 ont été comptabilisés par les services de police et de gendarmerie, soit près de 100 de plus qu'en 2018 et 2017, sans pour autant atteindre les chiffres antérieurs à 2006. En France métropolitaine, la Corse et la Provence-Alpes-Côte d'Azur se distinguent par des taux d'homicides plus élevés que les autres régions, relève une analyse du service statistique du ministère de l'Intérieur.

Interrogé par 20 Minutes, le directeur de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales Christophe Soullez n'était pas en mesure d'expliquer cette hausse récente. Le ministère de l'Intérieur non plus. Il devait publier en mars un bilan plus complet, vraisemblablement reporté en raison de la crise sanitaire

Plus encore que les homicides eux-mêmes, le nombre de tentatives de meurtre a explosé : celles-ci ont plus que doublé entre 2000 et 2019, pour passer de 1 175 par an à près de 3 000 en 2019, alors que la population n'a augmenté que de 10% sur la même période.

Au total, le ministère de l'Intérieur a déploré une augmentation de la délinquance et de la criminalité en 2019 : le nombre des violences sexuelles enregistrées s'est accru de 19% en France métropolitaine, les violences de toutes sortes ayant quant à elles bondi de 12%. De même, les coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus (+8%). Pour le ministère, la hausse des violences intrafamiliales enregistrées pourrait peut-être s'expliquer par la tenue du Grenelle des violences conjugales, qui aurait encouragé les victimes à davantage déposer plainte.

Seule certitude : le confinement sanitaire a entraîné des "évolutions très atypiques" des délits et des crimes enregistrés par les forces de l'ordre avec, par exemple, la chute drastique du nombre de cambriolages, des vols violents ou des coups et blessures volontaires sur personnes de plus de 15 ans, analyse le ministère de l'Intérieur. Un constat "complexe" à analyser selon la place Beauvau du fait, notamment, de conditions de dépôt de plainte plus difficiles. Le nombre d'homicides, lui, n'a diminué que de 1% entre les deux premiers trimestres de 2020. 

* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des sites en anglais.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.