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Interpol : des avis de recherche qui interrogent

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Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
Depuis un siècle, c’est une alliance qui lutte contre la criminalité organisée et le trafic de drogue. Interpol, 195 pays qui échangent des informations au quotidien, avec une arme clé : la notice rouge. Un avis de recherche émis par les Etats membres. Aujourd’hui, les polices du monde entier se partagent plus de 60 000 de ces fiches rouges. Souvent justifiés, ils sont aussi parfois détournés à des fins politiques par des Etats autoritaires.

Dans sa vie passée, Yoann Barbereau a connu quelques tempêtes. Des mauvais souvenirs qui, aujourd’hui encore, remontent à la surface lorsqu’il quitte le territoire français, comme cet après-midi là, en direction de l’Italie. "Quand je passe une frontière, il y a toujours un petit quelque chose, décrit celui qui est aujourd'hui écrivain. C'est l'idée que le moindre contrôle peut déclencher une arrestation, des questions ou une enquête". Durant presque trois ans, Yoann Barbereau a été recherché par les polices du monde entier, visé par une fiche rouge Interpol. En février 2015, alors qu’il dirige l’Alliance française d’Irkoutsk en Russie, il est arrêté par la police russe. Elle l'accuse sans preuve de pédopornographie. C'est un coup monté. Un Kompromat, comme l’appellent les Russes. Emprisonné puis placé en résidence surveillée, Yoann Barbereau parvient à s'échapper. Mais à son retour en France, il découvre qu'Interpol, sur demande de la Russie, l'a placé sur ses listes de personnes recherchées. A chaque fois qu’il passe alors une frontière, même à 3000 km de Moscou, il risque l’arrestation. "Cela a été un palier supplémentaire dans la révolte de voir que je pouvais être pourchassé au travers la coopération des polices internationales", raconte-t-il aujourd'hui. En 2020, trois ans après le signalement russe, Interpol reconnaît dans ce document le caractère abusif de la notice rouge.

"Les régimes répressifs se sont emparés des puissants outils d'Interpol pour harceler et détecter leurs ennemis présumés n'importe où dans le monde."

Roger Wicker, sénateur républicain, 2019

La mésaventure vécue par ce Français est loin d’être un cas isolé. Des avis de recherche contestés font régulièrement la une des médias internationaux. Et les alertes ont même parfois été lancées depuis l’enceinte du Capitole, à Washington. Les régimes répressifs se sont emparés des puissants outils d'Interpol pour harceler et détecter leurs ennemis présumés n'importe où dans le monde”, a ainsi déclaré le 12 septembre 2019, le sénateur républicain Roger Wicker, alors vice-président de la commission sur la coopération et la sécurité en Europe. 

Russie, Chine, Qatar, Iran. Selon nos informations, plusieurs ressortissants de ces pays auraient fait l’objet d’une notice rouge pour leur engagement associatif ou militant. C’est notamment le cas de l'individu, fiché rouge Interpol pour blanchiment d’argent, que nous avons pu joindre au téléphone durant notre enquête. Au bout du fil, il évoque une manipulation politique et dit aujourd’hui être contraint de vivre cloitré, avec sa famille, quelque part au Proche-Orient. Il raconte, anonymement: "Je peux même pas sortir de chez moi, je vis comme en prison. Je ne peux rien faire, je peux même pas inscrire mes enfants à l’école. Je suis choqué qu’Interpol m’ait envoyé une notice rouge alors qu’il n’y a pas de preuve. Ca a complètement détruit ma vie."

Un contrôle limité des notices rouges

Alors, pourquoi Interpol publie-t-elle des notices rouges au caractère contestable? Comment l’organisation contrôle-t-elle les avis de recherches de ses Etats membres? Dans un acte de procédure que nous nous sommes procuré, Interpol reconnait noir sur blanc que son pouvoir de vérification est restreint : la Commission souligne qu'elle n'est pas habilitée à mener une enquête, à évaluer les preuves ou à prendre une décision sur le fond d'une affaire.” 

Une situation dénoncée par des défenseurs des droits de l’homme et par un avocat parisien, Maître Stéphane Babonneau. Selon lui, l’Etat émetteur de la fiche rouge peut sciemment refuser d’en communiquer les motifs. "Dans de très nombreux cas, décrit l'avocat, les pays s’opposent parce qu’ils savent que si cette info est communiquée, ça peut exposer le caractère abusif. Donc ils préfèrent garder le motif secret." Après plusieurs semaines d’enquête, nous avions beaucoup de questions à poser à Interpol. L’institution basée à Lyon a refusé nos demandes d’interview filmée mais elle a accepté de répondre, par écrit, sur les soupçons de détournement des notices rouges. Les notices rouges sont de puissants outils de coopération, précise Interpol et ajoute: certains pensent qu’Interpol est submergée par les notices rouges non conformes. Ce n’est tout simplement pas vrai.” Interpol reconnaît néanmoins que sur les 60 000 notices rouges en circulation, une fiche sur 20 pourrait poser question. Par ailleurs, l’alliance tient à rappeler son efficacité dans la lutte contre le crime organisé et la coopération policière internationale.

Parmi nos sources (liste non-exhaustive):

"Les outils de la répression transnationale", commission américaine sur la sécurité et la coopération en Europe, 2019.

"Sous influence, Interpol et les Emirats arabes unis", rapport de Sir David Calvert-Smith, 2021.

Service de presse, Interpol.

"Interpol: l'enquête", Mathieu Martinière et Robert Schmidt, Harper Collins, 2023.

"Dirty work: the misuse of Interpol red notices", Skynews, 2023

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