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Peut-on parler "d'acharnement judiciaire" contre Nicolas Sarkozy ?

L'ancien président de la République a été placé en garde à vue, mardi, dans une enquête sur un possible trafic d'influence et sur la violation du secret de l'instruction.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Nicolas Sarkozy avant un discours, à Nice (Alpes-Maritimes), le 9 mars 2012, pendant la campagne présidentielle. (VALERY HACHE / AFP)

"Complot", "acharnement", "déferlement de haine"… Les amis de Nicolas Sarkozy n'ont pas manqué de vocabulaire pour dénoncer le placement en garde à vue de l'ancien président, mardi 1er juillet, avant sa mise en examen pour corruption active et trafic d'influence actif, dans la nuit de mardi à mercredi.

Une affaire qui s'ajoute à d'autres : Bettencourt, Karachi, le financement libyen de sa campagne de 2007, l'arbitrage Tapie, les sondages de l'Elysée. C'est cette pile de dossiers, qui concernent de près ou de loin leur poulain, qui fait dire aux soutiens de Nicolas Sarkozy que la justice s'acharne contre lui pour l'empêcher de se représenter à la présidentielle de 2017.

Peut-on vraiment parler d'acharnement ? Eléments de réponse.

Non, son placement à garde à vue était logique

Nicolas Sarkozy bénéficie de la présomption d'innocence et aucun de ses adversaires politiques, pourtant nombreux à réagir, mardi, ne la remet en question. La garde à vue est une simple procédure, qui a plusieurs objectifs. Notamment celui de permettre aux enquêteurs d'interroger une personne pendant 24 heures, renouvelables une fois. Le second est d'empêcher les gardés à vue, lorsqu'ils sont plusieurs, de se concerter. Convoqués tous les deux et non interpellés, Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog, ont pourtant eu le temps de communiquer avant de se présenter, de leur plein gré, au siège de la police judiciaire, à Nanterre (Hauts-de-Seine).

Mettre en garde à vue un justiciable et son avocat peut-il être vu comme de l'acharnement ? "On pourrait estimer qu'il s'agit d'une stratégie qui vise à mettre hors d'état d'exercer un avocat", analyse le pénaliste Christian Saint-Palais, pour Le Point, reconnaissant toutefois ne pas avoir "d'élément objectif pour le penser". Et c'est bien "la suspicion d'un délit commun (...) qui avait justifié les écoutes téléphoniques de Sarkozy et d'Herzog", constate l'avocat Léon-Lef Forster, et donc leur garde à vue. Nicolas Sarkozy avait en outre la possibilité de faire appel à un autre avocat.

Non, les juges d'instruction n'ont rien inventé

L'acharnement judiciaire n'a pas de définition. Pour Benoît Garnot, spécialiste de l'histoire de la justice, auteur de l'ouvrage Histoire des juges en France, de l'Ancien Régime à nos jours (Nouveau monde éditions, 2014), "quand des éléments à charge sont inventés, quand un juge d'instruction en fait plus que ce qu'il devrait, alors on peut parler d'acharnement".

Cela ne semble pas être le cas dans cette affaire. Les écoutes sur le téléphone de Nicolas Sarkozy ont éveillé de sérieux soupçons de trafic d'influence et de violation du secret de l'instruction. Toutefois, la mise sur écoute de Me Herzog avait soulevé des interrogations quant à leur nécessité et à leur légalité. Elles témoignaient, au minimum, du zèle des juges dans les enquêtes qui concernent l'ancien président.

Oui, il y a au moins l'obstination de certains juges

Entre Nicolas Sarkozy et les juges d'instruction s'est installé depuis longtemps un rapport de force teinté de mépris réciproque. Le Nouvel Observateur racontait, en mars 2013, une "guerre sans merci". Déjà, au ministère de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy prenait les juges d'instruction pour cible. Une fois à l'Elysée, il a voulu supprimer les juges d'instruction, en 2009. Il n'a jamais caché qu'il en détestait certains et les magistrats se souviennent bien d'avoir été comparés à des "petits pois" ayant "la même couleur, le même gabarit et la même absence de saveur".

"En France, il y a toujours un problème de lien entre le politique et la justice", explique l'historien Benoît Garnot. "La façon dont Nicolas Sarkoy a traité la justice a poussé les juges d'instruction à devenir plus indépendants", estime ce spécialiste. Pas seulement indépendants, peut-être revanchards. Nicolas Sarkozy faisait par exemple partie des personnalités épinglées sur le "mur des cons", dans les locaux du Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche. Et une des juges qui a placé l'ex-chef de l'Etat en garde à vue, Claire Thépaut, est justement membre de ce syndicat. 

Non, les affaires ne sortent pas "à chaque fois qu'il bouge une oreille"

La formule est signée Sébastien Huyghe, député UMP du Nord. Mais il n'est pas le seul à soupçonner la justice de sortir les dossiers gênants "à chaque fois que Nicolas Sarkozy bouge une oreille". Nombreux sont les soutiens de l'ancien président qui dénoncent des juges politisés qui veulent empêcher son retour en politique.

Mais c'est oublier que le nom de Nicolas Sarkozy est sorti dans le dossier Bettencourt en 2010, alors qu'il occupait l'Elysée et bénéficiait donc de l'immunité présidentielle. L'enquête sur les sondages de l'Elysée a été ouverte début 2013, à un moment où Nicolas Sarkozy se faisait très discret. Il n'est réapparu qu'en juillet, après le rejet de ses comptes de campagne de 2012.

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