A La Rochelle, le service militaire volontaire prône l'emploi, pas la guerre
Un troisième centre du SMV a ouvert dans cette ville de Charente-Maritime, mercredi, accueillant une centaine de jeunes âgés de 18 à 25 ans.
"Regarde, ils l'ont rasé à blanc. RIP [adieu] ses cheveux, il va avoir trop froid à la tête." Ce mercredi 13 janvier, quelques jeunes femmes se marrent en voyant défiler les hommes. Les mèches recouvrent peu à peu le carrelage, sous les assauts d'une tondeuse cruelle, brandie d'une main de fer par la coiffeuse de la base aérienne de Rochefort (Charente-Maritime). Les plus bravaches ne veulent pas du tout de sabot. Pour d'autres, c'est un crève-cœur. "J'aurais préféré me prendre une balle que d'avoir cette tête", peste Jordan, dégoûté. Un officier le rejoint et l'invite à souffrir en silence.
Comme lui, une centaine de volontaires inaugurent le centre du service militaire volontaire (SMV) de la caserne Beauregard de La Rochelle, le troisième du genre en France, avec ceux de Montigny-lès-Metz (Moselle) - ouvert le 15 octobre - et Brétigny-sur-Orge (Essonne). Lancé début juillet, ce dispositif reprend en grande partie le modèle ultra-marin du service militaire adapté (SMA), éprouvé depuis 1961. Ce dispositif de "seconde chance" vise les jeunes âgés de 18 à 25 ans, peu ou pas qualifiés, hommes et femmes - celles-ci représentent un quart des effectifs. Après un mois de formation à la vie en collectivité, une formation professionnelle est dispensée aux volontaires.
Arrêter les "parties de PS4 jusqu'à 5 heures"
Motivé par "l'aspect disciplinaire", Julien compte en profiter pour passer son permis de conduire. Et mettre le holà sur ses "parties de PS4 jusqu'à 5 heures" qui lui ont fait manquer son bac pro. "En colonne propre ! Vous m'appelez brigadier-chef et ça va bien se passer." Tous ces jeunes vont vivre pendant au moins six mois dans un environnement martial. Au coin fumeurs, un jeune homme veut devenir cuisinier, pour décrocher des jobs saisonniers. "Ce n'est pas tellement pour l'attrait de l'uniforme, mais plutôt pour être cadré et finir une formation", confie-t-il. Comme lui, beaucoup de volontaires sont conscients de leur dilettantisme. Encouragés par leurs proches, ils s'en remettent à la rigueur militaire pour entrer dans la vie active. Et se lever tous les matins à 6 heures.
Signes religieux, rasage, portables... Tout est réglementé et les relations sexuelles, "même consenties", sont prohibées. Après tout, résume un volontaire : "Tu ne viens pas à l'armée pour pécho des meufs." Sous statut militaire, les volontaires bénéficient d'un solde de 313 euros par mois et de la réduction SNCF associée (75% sur tous les voyages). Avant la signature du contrat, dans un bureau du rez-de-chaussée, le ton est solennel. Les officiers rappellent que la désertion en groupe est punie jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. Pour quitter l'aventure, il est donc indispensable d'avertir l'encadrement. A Montigny-lès-Metz et Brétigny-sur-Orge, d'ailleurs, certains ont déjà jeté l'éponge. Des cas isolés, assure l'armée, qui évoque une "faible attrition" (c'est-à-dire un abandon).
"On ne forme pas des combattants !"
Alors, bienvenue soldats ? Pas tout à fait. Malgré les dockers inconfortables, la gourde et le treillis, ce volontariat a le goût du militaire, sans être du militaire. "On ne forme pas des combattants", martèle d'ailleurs le lieutenant-colonel Rigault. A la différence du SMA, par exemple, les participants ne sont pas formés au maniement des armes. "On explique quand même aux volontaires de la filière sécurité qu'ils risquent d'être en première ligne en cas d'attentat", glisse un officier. Les autres stagiaires sont répartis dans trois autres filières : aide à la personne, hôtellerie-restauration et agent d'entretien du bâtiment. Et les places sont chères. "Je suis très déçue, confie une jeune fille, un brin gênée, à un officier. J'avais tout prévu pour assurer des saisons comme serveuse, mais je me retrouve en aide à la personne, alors que j'avais demandé hôtellerie-restauration." Trop tard, elle a déjà signé.
Ponctualité, respect, vie en communauté… L'armée insiste sur les valeurs du vivre-ensemble. "Cela permet de renforcer le sentiment de résilience, mais cela n'a pas d'action directe pour la sécurité du pays", concède une officier de communication. A la différence des Centres d'information et de recrutement des forces armées (Cirfa), dont la fréquentation a bondi avec les attentats, le nombre de dossiers reçus dans les SMV n'a pas connu une hausse sensible après les attaques du 13 novembre. Le terrorisme a tout au plus conforté leur choix. "Les gens disent qu'on se fait attaquer, mais ils ne font rien, résume Courant, 21 ans. Sans armée, un pays ne peut pas se protéger."
"La fonction première des armées n'est pas l'insertion sociale et professionnelle des jeunes, est-il expliqué dans la présentation du dispositif. Néanmoins, elles disposent d'une expertise dans la formation de la jeunesse." Du service civique aux établissements publics d'insertion et de défense (Epide), les autorités multiplient les formules citoyennes "de la seconde chance", pour tenter de donner corps aux valeurs républicaines. Ici, le SMV est plutôt vu comme une aubaine, dans une caserne abandonnée par le 519e régiment du train, dissous en 2011. La peinture est encore fraîche, et le bâtiment n'a été livré que deux jours plus tôt. Les trois centres français sont dotés d'un budget de 40 millions d'euros. Mais la pérennité de ce dispositif, symbolique et expérimental, est encore incertaine.
L'armée et le monde du travail ? "Ce n'est pas antinomique"
Le général Vianney Pillet a donné des objectifs clairs et chiffrés : au moins 66% des volontaires devront être insérés sur le marché du travail, au terme de leur service. Un objectif raisonnable, compte tenu des bons résultats du SMA, qui obtient, en moyenne, 75% de réussite, selon la Défense. "On va tout faire pour que ça soit 100%", veut croire un officier de communication, qui tente actuellement de nouer des partenariats avec des entreprises locales. A Brétigny-sur-Orge, le centre forme déjà des jeunes destinés à rejoindre la SNCF ou Disneyland Paris. Pour autant, est-ce à l'armée de former des jeunes pour le compte de grandes entreprises ? "Ce n'est pas antinomique, balaie le lieutenant-colonel Rigault. C'est aussi l'intérêt de la France, de travailler à la cohésion nationale."
A la fin du service, certains comptent bien s'engager dans l'armée. D'ailleurs, de nombreux volontaires sont des candidats déçus, redirigés là après conseil auprès du Cirfa. Jonathan, ancien volontaire du SMA en Martinique, a depuis roulé sa bosse en tant que militaire, avec trois missions au Mali, dont Barkhane. "J'étais à leur place, ça me fait plaisir de les voir", glisse ce soldat encadrant, sourire aux lèvres. Avant même de commencer les pompes et les tours de piste, Hugo en est déjà convaincu : "Quand on entre dans l'armée, on n'a pas envie de la quitter." ll devra se contenter d'un simple avant-goût.
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