Mais où est donc passé le clitoris ?
Un sexologue retrace l'histoire de l'organe du plaisir féminin dans "La Fabuleuse Histoire du clitoris". L'occasion de se pencher sur ce qui reste un mystère pour nombre de femmes et d'hommes.
Sortie le 16 mai, La Fabuleuse Histoire du clitoris (éditions Blanche) se penche sur le seul organe féminin à vocation purement sexuelle et décrit son évolution au fil des siècles. Son auteur, le sexologue Jean-Claude Piquard, est parti d'un constat : en 2012, "les jeunes adolescentes ne connaissent pas bien leur clitoris et leur vulve" alors que la majorité savent situer le pénis, le gland et les testicules. Il a donc cherché à comprendre pourquoi le clitoris, que l'Italien Colombo a parfaitement cerné dès 1550, a quasiment disparu des manuels d'anatomie et reste un mystère pour de nombreuses femmes.
D'organe vénéré à responsable de tous les maux
"Au 18e siècle, la masturbation clitoridienne est prohibée en solo. En couple, elle reste vénérée, car suivant la pensée d'Hippocrate, la femme doit libérer une semence - et donc jouir - pour se reproduire", explique le sexologue. Mais vers 1870, "le couperet tombe : on découvre les mécanismes de la reproduction, le cycle de l'ovule... et que le clitoris ne sert à rien dans ce processus".
A l'époque, la sexualité est toujours à visée nataliste et la révélation que le plaisir de la femme est indépendant de la reproduction mène les scientifiques à attaquer le clitoris. Freud, surtout, qui décrète que la sexualité d'une femme adulte doit passer par son vagin et non son clitoris, jugé "enfantin". Pour Alix Lemel, auteure de l'essai Les 200 clitoris de Marie Bonaparte, "Freud n'avait pas vu que ce phallus que les femmes réclamaient à grands cris hystériques n'était autre que le clitoris qu'il leur avait ôté."
Qu'on leur ôtait physiquement, aussi. L'excision existe depuis la nuit des temps. Dans les années 1860, le gynécologue et chirurgien obstétricien britannique Isaac Baker Brown soupçonne le clitoris d'être notamment responsable de l'hystérie et de l'épilepsie. Il préconise alors son ablation, qu'il pratique sur de nombreuses patientes, parfois sans leur consentement. Au début du 20e siècle, la masturbation féminine est violemment réprimée, notamment dans les pays protestants, comme en Allemagne, où de nombreuses petites filles subissent des clitoridectomies. Actuellement, on estime à 130 millions le nombre de femmes excisées dans le monde.
Dix centimètres de long
Au-delà de l'excision physique existe l'excision culturelle et intellectuelle. "La bibliographie médicale nous dit la vérité sur notre mépris des femmes. Depuis trois siècles, on trouve des milliers de références à la chirurgie du pénis, rien sur le clitoris, hormis quelques cancers ou en dermatologie", regrette Pierre Foldès, anatomiste et chirurgien primé par l'Académie de médecine, et qui reconstruit des clitoris de femmes excisées depuis une vingtaine d'années. Car les manuels d'anatomie régressent, même la bible du genre, le célèbre Gray's Anatomy. "En 1900, le clitoris est très bien représenté, documenté sur plusieurs pages, mais vers les années 60, il n'y a plus que 10 lignes à son sujet, il est traité avec mépris", raconte Jean-Claude Piquard. Le statut du clitoris recule d'ailleurs avec celui de la femme, "plus libre en 1930 qu'en 1950".
Pas étonnant qu'en 1998, l'urologue australienne Helen O'Connell jette un pavé dans la mare : les reproductions contemporaines du clitoris, qui datent pour beaucoup du début du siècle, sont inexactes, affirme-t-elle. "Les premiers anatomistes ne s'intéressaient pas au clitoris. Un pénis, c'est bien plus intéressant ; c'est plus gros et on n'a pas besoin de chausser des lunettes pour l'observer", raconte la docteure Margaret Davy (article en anglais), directrice de l'unité de gynéco-oncologie du Royal Adelaide Hospital (Australie).
La docteure O'Connell se rend en effet compte que le clitoris ne se réduit pas à un "bouton" mais qu'il mesure de 8 à 10 centimètres de long et de 3 à 6 centimètres de large. Il ressemble un peu à un oiseau, avec un gland recouvert d'un prépuce et quatre branches érectiles qui s'enfoncent le long de l'os pubien.
Représentation du clitoris - Crédit : AMPHIS / CC / WIKIMEDIA
Une découverte qui remet en cause la distinction polémique entre femmes "clitoridiennes" et "vaginales" puisque, dans tous les cas, l'orgasme est une conséquence de la stimulation de l'appareil clitoridien dans son ensemble - que ce soit du gland directement ou bien des racines profondes du clitoris qui sont en contact avec les parois vaginales. "Ils l'ont négligé. C'est une question de rivalité entre les sexes : l'idée que l'un [des deux organes] est sexuel et l'autre reproductif. En vérité, ils sont les deux à la fois", explique Helen O'Connell (en anglais). "Le clitoris est l'équivalent du gland du pénis", écrivent Maïa Mazaurette et Damien Mascret dans La Revanche du clitoris (La Musardine, 2008). Mieux encore : le clitoris compte environ 8 000 fibres nerveuses, contre 3 000 à 6 000 sur le gland d'un pénis.
41% des filles de 4e ne savent pas si elles en ont un
En 2011, le collectif Osez le féminisme a lancé la campagne Osez le clito ! Pourquoi ? Parce qu'il reste un "organe méconnu" et "souvent oublié", même par les femmes. La faute, en partie, à l'école. Au collège, "les cours d'éducation sexuelle dispensés en SVT n'abordent que la fonction reproductive et les dangers du sexe - maladies, contraception…", regrette Jean-Claude Piquard.
Le clitoris, s'il est mentionné, est rarement présenté comme organe du plaisir féminin. En 4e, 49% des adolescentes ont répondu "oui" à la question "Avez-vous un clitoris ?" alors que 10% pensaient ne pas en avoir, selon une étude menée dans un collège de Montpellier en 2009. Et seulement 14% d'entre elles connaissent sa fonction érogène, indique le sexologue dans son livre. Presque tous les élèves de 13-14 ans savent dessiner et annoter le schéma d'un pénis, mais pour ce qui est de reproduire une vulve, ils sont nombreux à sécher. L'orgasme et la masturbation sont passés sous silence, alors qu'il s'agit de sujets qui intéressent les ados de 13-14 ans en pleine puberté et qui découvrent le désir.
Mais "l'éducation nationale n'a pas grand-chose pour appuyer une modernisation des cours d'éducation sexuelle ; même dans la dernière grande enquête sur la sexualité en France [Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, de Nathalie Bajos et Michel Bozon, La Découverte, 2008], il n'est pas une fois fait mention du clitoris !", relève le sexologue. "Et puis, certaines communautés religieuses font du lobbying. Rappelez-vous quand on a voulu introduire la question du genre et de l'orientation sexuelle dans les manuels scolaires."
La communauté scientifique montre le mauvais exemple
Si les choses semblent néanmoins s'arranger et que de plus en plus de femmes connaissent leur clitoris, ce sont les magazines qu'il faut remercier, estime Jean-Claude Piquard.
Du côté de la médecine, "l'obscurantisme progresse", dit-il. Le manuel américain de psychiatrie (DSM pour les intimes), qui traite aussi les troubles sexuels, associait ainsi orgasme et clitoris dans les années 1980. Or, "dans la dernière version parue en 2000, le mot clitoris a complètement disparu. La prochaine est en préparation [elle devrait être publiée en 2013] ; il faut mobiliser l'opinion".
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