Vols dans l'espace : des "activités de visionnaires" pour "imaginer comment l'espace pourrait se développer au service de l'humanité", selon un astronaute
Alors que Jeff Bezos effectue mardi son premier vol au-dessus de la Terre, le tourisme spatial se développe.
Les vols touristiques dans l'espace constituent des "activités de visionnaires" pour "imaginer comment l'espace pourrait se développer au service de l'humanité", a estimé l'astronaute Jean-François Clervoy mardi 20 juillet sur franceinfo. Alors que le fondateur d'Amazon Jeff Bezos doit s'envoler cet après-midi à bord de son vaisseau New Shepard avec trois touristes, Jean-François Clervoy a expliqué que le tourisme spatial financé par les milliardaires pourrait permettre de diminuer "la part des contribuables dans ce genre d'activités".
franceinfo : Jeff Bezos, Elon Musk et Richard Branson dans l'espace, c'est un concours de milliardaires ou ce sont les prémices d'un vrai tourisme spatial ? C'est possible, le tourisme spatial à la portée de tout le monde ?
Jean-François Clervoy : Je pense que ce sont surtout des activités de visionnaires qui depuis longtemps essaient d'imaginer comment l'espace pourrait se développer au service de l'humanité. On sait que l'espace est très utile mais difficilement accessible. En astronautique, c'est une activité industrielle très difficile. C'est très risqué, ça prend toujours plus de budget que nécessaire, il y a beaucoup de retard. 90% de l'argent mis dans ces activités part en salaires donc ça crée surtout des emplois à haute valeur ajoutée. Chacun a sa vision : Elon Musk est plutôt un visionnaire de l'humanité vivant sur d'autres corps célestes, Richard Branson est un aventurier et Jeff Bezos est un rêveur qui rêve depuis tout petit d'aller dans l'espace. Ils se font bien sûr plaisir mais ceux qui achèteront des billets financent indirectement des salaires d'hommes et de femmes. Quelque part, ça diminuera le coup de l'exploration spatiale financée sur fonds publics. Donc ça diminuera la part des contribuables dans ce genre d'activités. Le tourisme spatial consiste à faire vivre à des non-professionnels l'expérience du vol dans l'espace, la vue de la Terre, l'apesanteur, le gros coup de pied dans le dos au décollage… Mais les lois de la physique sont incontournables : pour atteindre l'espace, ne serait-ce que suborbital, je ne parle même pas du vol orbital qui nécessite des vitesses et des énergies cinquante, cent fois plus grandes, ça prend beaucoup d'énergie. C'est donc forcément un niveau de risque supérieur à celui d'un avion de ligne et c'est cher. Au lieu de 200 000 euros aujourd'hui pour aller à 100 km, ce sera peut-être 30, 50 000 euros, mais pas moins cher.
Que vont vivre précisément les passagers de ce vol cet après-midi ? Est-ce une vraie expérience de l'espace ? Vont-ils aller plus haut que Richard Branson et Virgin Galactic il y a neuf jours ?
C'est une vraie expérience totale de l'espace mais très courte. Ils vont vivre la poussée phénoménale dans le dos qui les pousse vers le haut : vous vous sentez accélérer verticalement, au bout de deux minutes vous êtes au-dessus de l'atmosphère pendant cette propulsion, quand vous atteignez 30, 40 kilomètres le ciel devient noir même en décollant en plein jour. La troisième caractéristique quand on éteint les moteurs, c'est que vous êtes en apesanteur : vous êtes en pure chute libre et rien ne vous freine ou vous arrête, vous montez puis vous redescendez. Pour ce vol ça ne va durer que trois minutes, mais l'expérience la plus sensationnelle de toute personne qui est allée dans l'espace c'est la vue de la planète vue depuis tellement haut qu'on voit la courbure de la Terre. On voit que c'est un corps fini sur fond vide, noir du cosmos. Ça donne une perspective sur la condition de l'humanité, sur cet objet fini qu'est notre planète et ça fait réfléchir. Les passages du vol de cet après-midi vont aller un peu plus haut mais il n'y a pas de différence visuelle. Il y a une petite différence de durée d'apesanteur, deux minutes pour Branson, trois pour Bezos, mais la vue sera la même.
En quoi est-ce différent de ce que propose l'autre milliardaire fasciné aussi par l'espace, Elon Musk ? Est-ce que ces fusées polluent ?
Elon Musk joue lui dans la cour des beaucoup plus grands, dans ce qu'on appelle l'espace orbital. Pour être en orbite, il faut atteindre une vitesse horizontale de 28 000 kilomètres à l'heure alors que dans le cas de Jeff Bezos et de Richard Branson, quand ils atteignent le sommet de leur trajectoire, ils ont une vitesse nulle et redescendent verticalement. Pour rester en orbite, il faut donc atteindre une vitesse très élevée et ça coûte cent fois plus cher. Le billet, au lieu d'être de quelques centaines de milliers d'euros, c'est quelques dizaines de millions d'euros. On le vivra à l'automne avec la mission Inspiration4. Sur la pollution, ça dépend du type de propulsion : il y en a qui produisent des gaz toxiques et polluants, c'est le cas du moteur de Virgin Galactic, mais s'il ne vole pas trop souvent ce sera vraiment très négligeable. Celui de Blue Origin [la société de Jeff Bezos] ne crache que de la vapeur d'eau donc il est propre. Si l'oxygène et l'hydrogène liquide qui servent à remplir les réservoirs sont produits à partir d'énergies renouvelables, on pourra dire que l'activité est 100% propre.
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