Quatre questions terre à terre sur la future colonisation de la planète Mars
Alors que six scientifiques ont retrouvé l'air libre après avoir vécu pendant un an sous un dôme, à Hawaï, dans les conditions de la vie dans une base martienne, franceinfo se demande où en sont les ambitions des explorateurs spatiaux.
"Je peux vous donner mon impression personnelle : une mission habitable sur Mars est réaliste dans un futur proche." Quelques jours avant de retrouver une vie de Terrien ordinaire, Cyprien Verseux tirait pour La Croix les conclusions de son expérience : pendant un an, cet exobiologiste français a vécu avec cinq autres scientifiques sous un dôme censé recréer les conditions de la Planète rouge, dans un cratère de l'archipel d'Hawaï (Etats-Unis). Libéré dimanche 28 août, le vrai-faux astronaute estime que "les difficultés technologiques et humaines sont surmontables".
Du même avis, la Nasa mais aussi Elon Musk, le papa de SpaceX, envisagent de mener au plus vite des missions habitées sur Mars. Autour de 2030, estime l'Agence américaine. Mais où en sont ces projets ? Franceinfo revient sur les défis que les explorateurs de l'espace entendent relever d'ici à quinze ans.
On y va comment, sur Mars ?
Mars est la planète la plus proche de la Terre, mais pas franchement la porte à côté non plus. En 2012, le robot Curiosity a voyagé pendant huit mois avant de se poser sur le sol de la Planète rouge. En fonction de la distance qui la sépare de la Terre (elle varie entre 55 millions et 400 millions de km), une mission comprenant un aller-retour devrait durer au minimum deux ans. Or, aucun astronaute n'a passé autant de temps en un seul séjour dans l'espace : le record, détenu par le Russe Valeri Poliakov et décroché en 1995 dans la Station Mir, s'élève à 438 jours. Pour faire la longue route vers Mars, la Nasa et le géant de la Défense américain Lockheed Martin misent sur un camping-car de luxe : la capsule Orion.
Ce tout nouveau vaisseau spatial est le premier à avoir été exclusivement conçu, dès 2006, pour des vols au-delà de l'orbite terrestre basse –cette zone bien connue des astronautes dans laquelle se promène notamment la Station spatiale internationale (ISS). Après un premier test concluant en 2014, la capsule Orion doit être placée en orbite en novembre 2018. Ce lancement sera crucial, puisqu'il donnera également l'occasion de tester le nouveau lanceur lourd de la Nasa, le Space Launch System (SLS). Avec Orion, il est l'un des deux équipements conçus dans l'optique de réaliser, à terme, des vols habités vers Mars. Cette fois propulsée par cette puissante fusée, Orion devra dépasser la Lune de 64 000 km, avant un premier voyage habité prévu pour 2021 ou 2023, selon le site SpaceFlight Insider (en anglais).
Les scientifiques cherchent par ailleurs à raccourcir le temps de trajet, toujours estimé à plusieurs mois. Pour le patron de l'Agence spatiale américaine, Charlie Bolden, cité par Space.com (en anglais), il est possible de réduire la durée du voyage de moitié en adoptant des "techniques de propulsions ultra-rapides". Energie solaire ? Nucléaire ? Dans le podcast Nasa 360 (en anglais), le physicien Philip Lubin assurait, en 2015, qu'un propulseur laser permettrait d'emmener des astronautes sur Mars en à peine un mois, résumait le Huffington Post (en anglais). Plus farfelu, l'inventeur canadien Charles Bombardier a révélé, le 26 août, son idée de navettes voyageant à travers le système solaire. Selon lui, le Solar Express, sorte de train permanent, pourrait relier la Terre à Mars en deux jours, explique ScienceAlert (en anglais).
Et quand on y est, on trouve un endroit coquet et on se gare ?
Sur Mars, l'atterrissage constitue un défi tout aussi crucial que le voyage. "Aujourd’hui, on ne sait pas se poser avec précision sur Mars", notait en 2014 l'astrophysicien Francis Rocard, responsable des programmes d'exploration du système solaire au Centre national d'études spatiales (Cnes), cité par francetv info. "Le robot Curiosity a touché le sol à 2,5 kilomètres du point visé. La statistique d’erreur était de 20 kilomètres, le mieux que l'on puisse faire actuellement", expliquait-il. Rodée au storytelling captivant, la Nasa avait même baptisé cette séquence "les sept minutes de terreur", en référence au temps qu'il faut à la capsule pour traverser l'atmosphère martienne avant d'atterrir, plus ou moins intacte, sur le sol. "Si la moindre petite chose ne fonctionne pas, c'est la fin de la partie", dramatise un ingénieur dans cette vidéo, rappelant que quiconque veut squatter Mars risque, au choix, de finir brûlé dans l'atmosphère ou écrabouillé au sol.
Quant aux derniers tests effectués fin août en Virginie (Etats-Unis), démontrant la capacité d'Orion à se poser dans l'eau à l'occasion de son retour sur Terre, ils ne donnent pas particulièrement envie d'y occuper le siège passager.
Plus sérieusement, la Nasa et l'Agence spatiale européenne auront l'occasion dès octobre de travailler à l'atterrissage de modules envoyés en mars dernier dans le cadre des missions InSight et ExoMars. Baptisé Schiaparelli, le module européen permettra de tester les phases d'entrée dans l'atmosphère, de descente et d'atterrissage sur Mars, en vue de préparer de futurs vols habités. "Nous avons donc prévu de nombreux capteurs disposés à l'arrière de la capsule, qui analyseront les réactions de frottement et d'échauffement à l'entrée de l'atmosphère martienne", prévenait Pierre Bousquet, chef de projet de la contribution française, interrogé par francetv info.
Et après, on déplie la tente ?
Quid de l'emménagement sur la Planète rouge ? Les scientifiques pourront-ils installer leurs laboratoires et leurs lieux de vie comme on planterait sa tente dans un camping ? Evidemment, non. Pour préparer le terrain, Lockheed Martin a présenté en mai son idée de "camp de base". Le groupe américain suggère de mettre des astronautes en orbite autour de la Lune, dès 2021, pour préparer sur place le futur voyage martien. "En 2026, des équipements de surface destinés à devenir des soutiens de la future station seraient envoyés vers Mars, ainsi qu'un premier 'laboratoire spatial', et en 2028, le [camp de base] quitterait l'orbite lunaire pour son voyage vers la Planète rouge, avec deux capsules Orion accueillant (en tout) six astronautes à bord'', détaillait alors Le Nouvel Obs.
S'établir à proximité de la Planète rouge (ou du moins, un peu plus près d'elle) permettrait par ailleurs de commander à distance les robots-déménageurs, susceptibles de construire notre campement sur place. A la mi-août, l'agence américaine a ainsi dévoilé un nouveau concours de robotique qui, en mettant en concurrence les ingénieurs du monde entier, ambitionne de créer des robots assez sophistiqués pour réaliser des travaux de maintenance sur les futures installations humaines sur Mars. Les robots humanoïdes, comme Valkyrie, pourraient donc rejoindre les sondes et les véhicules déjà au travail à la surface de ce mystérieux caillou.
Pour ce qui est du look de nos cottages martiens, la Terre compte déjà des "Marschitecte" (soit des architectes qui se consacrent à imaginer des habitats sur la planète), comme Vera Mulyani. Début juillet, son projet, Mars City Design, a récolté plus de 30 000 dollars sur Kickstarter, afin de réaliser d'ici trois ans des prototypes d'habitats martiens, construits à l'aide d'imprimantes 3D dans le désert du Mojave, aux Etats-Unis, racontait Quartz (en anglais). Des ingénieurs et architectes s'y mettront au travail dès septembre. Par ailleurs, la Nasa a sélectionné, début août, six entreprises chargées de développer en 24 mois des prototypes de lieux de vie en prévision de missions habitées longues dans l'espace (Bigelow Aerospace, Boeing, Lockheed Martin, NanoRacks, Orbital ATK et Sierra Nevada Corp), relevait Inquisitr (en anglais).
Et là-bas, on fait comment sans supermarché?
"Vivre sur Mars, c'est la partie facile. Ce qui est difficile, c'est d'y aller", expliquait en 2015 Elon Musk, le patron de SpaceX et partisan d'une colonisation rapide de la Planète rouge. Pourtant, s'y installer demande de faire quelques sacrifices. Cyprien Verseux en a pris conscience lorsqu'il a cassé un flacon en verre dans son laboratoire hawaïen, un endroit dans lequel il a passé un an afin de reproduire les conditions d'un voyage sur Mars. "Les scientifiques sur place devront faire face à la restriction, écrit-il sur son blog. Ce dont nous n'avons pas l'habitude dans les laboratoires occidentaux." Isolés ("Je n'ai pas vu un supermarché depuis huit mois", plaisante-t-il), les Martiens devront être ingénieux et, dans la mesure du possible, autosuffisants. Ainsi, le biologiste français a étudié la possibilité de recréer un écosystème miniature capable de produire sur Mars tout ce dont les astronautes ont besoin.
"Au lieu d'envoyer des tonnes de nourriture, d'oxygène et de ressources sur Mars, ils pourraient transporter [des] microbes, les nourrir avec ce qu'ils trouvent sur Mars et créer des systèmes de production qui soient presque indépendants de la Terre", a-t-il expliqué sur franceinfo, enthousiasmé par ses recherches. "Cela a très bien marché", s'est-il même réjoui.
Si lui a dû se contenter de nourritures déshydratées, les futurs vrais colons pourraient cuisiner des légumes martiens, cultivés sous serre. Car aussi accueillants que puissent être les modules imaginés par les explorateurs spatiaux, aucune innovation scientifique ne permet de contrer la véritable nature de la Planète rouge : un monde dépourvu d'oxygène et bombardée de radiations fatales pour le corps humain.
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