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Pourquoi les Inuits s'inquiétent-ils du lancement d'un satellite européen ?

L'Agence spatiale européenne a lancé, vendredi, un satellite transportant Tropomi, un instrument chargé de traquer les polluants atmosphériques et de collecter des données.

Article rédigé par franceinfo
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Un iceberg tabulaire, à proximité de l'île de Baffin, dans le territoire du Nunavut (Canada). (MICHAEL NOLAN / ROBERT HARDING PREMIUM / AFP)

Il a été baptisé Sentinel-5 Precursor et ne plaît pas aux Inuits. De quoi vous parle-t-on ? De ce satellite de l'Agence spatiale européenne (ESA) qui a été lancé, vendredi 13 octobre, à 11h27 (heure de Paris), depuis l'ex-cosmodrome soviétique de Plessetsk, à 800 km au nord-est de Moscou (Russie). Il transporte Tropomi, un dispositif charger de surveiller les polluants présents dans l'atmosphère, comme les oxydes d'azote. Ces derniers, désignés par le sigle NOx, "sont principalement issus du secteur des transports", selon le Commissariat général au Développement durable (CGDD), mais aussi des sites industriels.

Dans le détail, "Tropomi cartographiera une multitude de gaz à l'état de traces, ou aérosols, tels que le dioxyde d'azote, l'ozone, le formaldéhyde, le dioxyde de soufre, le méthane, le monoxyde de carbone et les aérosols, qui se trouvent dans la troposphère, c'est-à-dire la couche de l'atmosphère terrestre située au plus proche de la surface du globe jusqu'à une altitude d'environ 8 à 15 kilomètres, et la distribution de nuages affectant la qualité de l'air et le climat", précise le Centre spatial de Liège, qui a calibré et validé ce nouvel instrument de mesure considéré comme ultraperformant.

Mise en orbite avec une fusée de l'ère soviétique

Le satellite a été lancé grâce à une fusée Rockot. Le Parisien explique qu'il s'agit d'"un ancien missile nucléaire intercontinental SS-19 démilitarisé. Pendant la guerre froide, il s'agissait de pouvoir frapper les Etats-Unis". Voici une vidéo de la société exploitant ces engins, Eurockot (détenue à 51% par Airbus), montrant des lancements de la fameuse fusée.

Problème : cette fusée fonctionne à l'hydrazine. Ce carburant est hautement toxique. "Il peut s'attaquer au système nerveux, aux reins et au foie. Son impact sur les écosystèmes marins demeure inconnu, même si l'on sait que l'hydrazine a tué un grand nombre de poissons nageant en eaux douces", rappelle Radio Canada. "Il a été plusieurs fois accusé (...) d'être impliqué dans la dégradation de la santé des enfants vivant à proximité du cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan", a souligné l'universitaire canadien Michael Byers, dans la revue scientifique Polard Record (en anglais). L'hydrazine est si toxique que "pratiquement tous les programmes spatiaux dans le monde, dont ceux de la Russie, l'ont abandonnée", insiste Radio Canada. "Tant que les Russes utiliseront de l'hydrazine, l'ESA devra renoncer à ce type de lanceur", préconise Michael Byers.

L'un des écosystèmes les plus riches au nord du cercle polaire

En attendant, les fusées Rockot sont toujours utilisées. Et lorsque leur deuxième étage retombe sur Terre, il peut contenir de l'hydrazine non brûlée. Vendredi, il devait chuter quelque part "entre le Groenland et l'île de Baffin, dans un secteur qui fait partie de la zone économique exclusive du Canada", précise Radio Canada.

Ce qui inquiète les nombreux Inuits qui vivent dans la zone. "Nous demandons au Canada et au Danemark de prendre des actions rapides au niveau international pour dissuader ces activités et aller de l'avant pour protéger cette région sur le plan local et international", a déclaré Peter Taptuna, le premier ministre du Nunavut, territoire fédéral du Nord du Canada. 

"Près d'une douzaine de communautés parcourent ces territoires et y chassent massivement. Cette zone est située dans la polynie des eaux du Nord, une grande partie de l'océan qui est généralement libre de glace à longueur d'année et qui abrite l'un des écosystèmes les plus riches au nord du cercle polaire", expliquait le quotidien canadien La Presse, en 2016. D'autant plus que l'hydrazine est connue pour être persistante dans l'eau.

Ces eaux sont le jardin des espèces que nous chassons.

Larry Audlaluk, de la communauté Grise Fiord au Nunavut

à Radio Canada

Mais Affaires mondiales Canada, le ministère des Affaires étrangères canadien, s'est montré rassurant. "Comme la plupart des débris spatiaux se désintègrent et brûlent complètement au moment de leur rentrée dans l'atmosphère, les risques de voir un débris ou du carburant non brûlé atteindre l'environnement marin sont très bas", a-t-il assuré. Même geste d'apaisement du côté de l'ESA. "On ne peut exclure qu'il y ait des rejets (...) Mais s'il y en a, ils seront très faibles et localisés", a-t-elle déclaré au Parisien.

Un autre lancement d'un satellite avec une fusée Rockot doit être réalisé en 2018. Il y a dix ans, quand cette partie du programme Copernicus a été lancée, "le petit lanceur européen Vega C, beaucoup plus écologique, n'avait pas fait ses preuves. L'offre d'Eurockot était alors la meilleure, la moins chère aussi", a expliqué au Parisien un scientifique sous couvert d'anonymat. L'Agence spatiale européenne est donc liée à Eurockot et le lancement prévu l'an prochain ne pourra être annulé qu'avec un dédommagement.

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