Alunissage d'une sonde chinoise : "Une démonstration de force redoutable", salue Alain Cirou, de la revue "Ciel et Espace"

Il s'agit de la deuxième mission chinoise sur la face cachée de la Lune, une région qu'aucun autre pays n'a jamais atteinte.
Article rédigé par franceinfo
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La sonde chinoise Change'6 a atterri sur la phase cachée de la Lune, le 2 juin 2024. (JIN LIWANG / XINHUA / VIA MAXPPP)

Chang'e 6, la sonde lancée par la Chine début mai, a atterri dimanche 2 juin sur la face cachée de la Lune. Elle a aluni dans le bassin Pôle Sud-Aitken afin d'y collecter des échantillons. Un exploit pour la Chine qui entend rattraper les leaders américain et russe. En quoi est-ce un coup de force ? Les explications d'Alain Cirou, le directeur de la rédaction de la revue Ciel et Espace, au micro de franceinfo..

franceinfo : À quel point est-ce une prouesse de poser une sonde spatiale sur la face cachée de la Lune ?

Alain Cirou : Quand on voit tous ceux qui n'ont pas réussi, on se dit que c'est une très belle démonstration de force. En fait, c'est extrêmement compliqué et il suffit de regarder l'histoire de la compétition qui a eu lieu entre les États-Unis et l'URSS dans les années 1960 pour se rendre compte qu'il y a eu beaucoup de dégâts du côté soviétique pour poser, ne fût-ce que des robots à la surface de la face visible.

"La Chine réussit chaque étape et on a l'impression qu'on a devant nous une échelle avec des barreaux. On connaît le nombre de barreaux, on connaît la date d'arrivée et chaque barreau est franchi avec succès."

Alain Cirou, directeur de la rédaction de la revue "Ciel et Espace"

à franceinfo

Donc c'est une démonstration de force extrêmement redoutable que de réussir à se poser sur la face cachée avec un satellite de relais, qui transmet les communications entre la face caché et la Terre et d'opérer deux engins : celui qui va collecter en quelque sorte les échantillons, et puis celui qui est resté au sol et qui va devoir nous ramener des échantillons de sol lunaire. C'est quelque chose de très compliqué et que les Chinois ont aussi réussi sur Mars, donc on voit qu'ils avancent très vite et très fort.

Comment est-ce que vous expliquez que la Chine est le seul pays à y être parvenu ?

Je pense que d'abord ils ont un programme très clair, c'est-à-dire qu'on sait exactement quelle est la stratégie et quels sont les outils. Les outils sont tous en cours de préparation.

"L'objectif, ce n'est pas la science, c'est la démonstration de ce que la Chine est capable d'emmener. D'abord des hommes sur la Lune et puis ensuite vers Mars."

Alain Cirou

à franceinfo

Mais le plan est très clair, le train lunaire chinois est en cours de constitution. On voit les lanceurs, on voit les alunisseurs, donc l'équivalent du module d'exploration du LEM. On voit la fabrication de la jeep lunaire, des scaphandres. Le scénario est très clair et les étapes sont franchies les unes derrière les autres. Il y a des moyens, il y a une technologie qui est au rendez-vous. Ce n'est pas seulement de l'argent, ce n'est pas seulement une décision, une volonté, ils ont les moyens de leurs ambitions. Je pense qu'en fait la démonstration la plus importante pour la Chine, c'est de réussir en 2029. Au moment où la Chine fêtera le 80ᵉ anniversaire de la République populaire , elle posera des taïkonautes vraisemblablement sur le pôle sud de la Lune, face visible et donc bien avant les Américains en quelque sorte. C'est un peu la compétition. Les Chinois l'ont dit, ce qui est très curieux. Ils ne cachent rien alors qu'on était tellement habitué à ce que l'Union soviétique ne communique que sur les succès et cache les échecs. Là, on voit tout ce qui se passe. Pour les Chinois, [l'objectif]c'est donc 2029/2030, on se pose sur la Lune et l'objectif final, si je puis dire, c'est Mars. Parce que Mars n'a été atteint par personne.

Est-ce que ça pose quand-même une question de territorialité ?

C'est évident, d'autant que les endroits pour se poser et pour rester [sont restreints], parce que l'objectif de la Chine, c'est aussi d'installer une sorte de station scientifique au pôle Sud, qui serait alimentée par l'énergie solaire, par la collecte de l'eau qui sont dans les cratères lunaires du pôle Sud. Finalement, il n'y a pas beaucoup de place et le statut juridique de cet endroit est assez délicat. Il n'y a pas de gendarmes dans l'espace. On a une loi en quelque sorte, mais qui date des années 1950, qui n'a pas été ratifiée par la plupart des parties prenantes. Donc, il y a vraisemblablement effectivement un problème territorial. Et le premier qui arrivera aura un avantage certain. Mais je dirais que c'est en contraste avec ce qui se passe en ce moment même aux États-Unis avec le programme Artémis qui connaît des difficultés certaines. On voit bien que le Starship de SpaceX d'Elon Musk, qui est censé amener des hommes et poser les Américains sur la Lune en 2025, ne tiendra pas. On sait que c'est dans un mouchoir de poche, mais le programme lunaire chinois prend encore une fois, avec ce barreau franchi, un avantage certain.

À quoi ça ressemble la face cachée de la Lune ?

J'utiliserais le mot de de Buzz Aldrin, lorsqu'il s'est posé. Il disait : "Cette magnifique désolation", c'est-à-dire vraisemblablement un endroit sinistre, sans atmosphère. Avec le ciel noir, ça doit être très beau parce qu'on doit voir les étoiles parfaitement. Mais tous les astronautes qui se sont posés sur la Lune lorsqu'ils sont revenus, nous ont sorti une petite pièce de leur poche en disant : "Vous vous rendez compte, la Terre, c'est ça ?" Ça a cette taille-là quand on la tend au bout du doigt. C'est tout bleu. C'est là où est la vie, c'est là où sont vos amis, le restaurant proche, etc.Et en fait, la Lune vous montre que finalement, le plus important, c'est là où nous habitons et qu'on est bien sur Terre.

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